Poutine, l'Otan et le transit afghan par Oulianovsk

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Oulianovsk - Sputnik Afrique
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Le 1 août l'espace aérien russe a été ouvert au transit du fret destiné à la Force international d'assistance et de sécurité (Isaf) en Afghanistan. L'aéroport Vostotchny d'Oulianovsk deviendra le principal centre logistique de la branche russe du Réseau dit du nord.

Le 1 août l'espace aérien russe a été ouvert au transit du fret destiné à la Force international d'assistance et de sécurité (Isaf) en Afghanistan. L'aéroport Vostotchny d'Oulianovsk deviendra le principal centre logistique de la branche russe du Réseau dit du nord.

Cet un événement historique dans une certaine mesure: la Russie adhère directement à l'opération de transport réalisée au profit de l'Otan, des Etats-Unis et de leurs partenaires. L'apparition de Vladimir Poutine à Oulianovsk, où le 1 août il a passé en revu la brigade aéroportée à la veille de la fête professionnelle des troupes aéroportées, n'était certainement pas un hasard. Comme c'est souvent le cas dans ce genre de situations, on a entendu un vétéran qui avait combattu en Afghanistan, demander de but en blanc "Pourquoi la Russie aide aujourd'hui l'Otan?".

Cette question n'a pas pris au dépourvu le président russe et il a expliqué en détails les motifs de cette mesure. "Ce n'est tout de même pas nous qui allons refaire la guerre. Laissons-les guerroyer là-bas. Mais ce n'est pas une raison pour laisser ces gars s'exposer aux dangers qui les menacent?", a-t-il déclaré.

Poutine a évoqué les "otaniens qui doivent être aidés pour accomplir leurs tâches en Afghanistan de manière à ne pas utiliser les forces armées russes, y compris grâce au transit". "Cela répond à nos intérêts nationaux", a déclaré le président, sans répondre vraiment à la question, mais en exposant plutôt la formule du consensus national "ce n'est à nous de refaire la guerre là-bas…".

La veille, un événement tout aussi important s'est produit – les Etats-Unis et le Pakistan ont signé un mémorandum d'entente mutuelle sur le transit de fret pour les troupes américaines en Afghanistan. Cela signifie le rétablissement du "réseau sud" de fourniture via le territoire pakistanais, interrompu par Islamabad en novembre 2011, après l'attaque de l'aviation américaine contre un poste-frontière militaire, qui a fait plus de vingt morts parmi les soldats pakistanais. Les Américains ont dû payer le prix fort pour obtenir d'Islamabad la réouverture de sa frontière pour laisser passer le fret. La secrétaire d'Etat Hillary Clinton a dû appeler son homologue pakistanaise Hina Rabbani Khar et lui dire "pardon…". Par ailleurs, le département d'Etat était contraint d'accepter la formulation des excuses imposée par les généraux pakistanais, qui avaient rejeté la proposition de Washington. Par rapport à cela, la somme de 1,1 milliard de dollars accordée par les Etats-Unis au Pakistan immédiatement après la signature du mémorandum paraît insignifiante. L'octroi de ces fonds avait été bloqué après la fermeture du "réseau sud" par Islamabad l'année dernière.

Comment le Kremlin a trahi la patrie

Après ces événements, le rôle et l'importance primordiale du transit afghan par ses frontières nord en passant par les pays d'Asie centrale et la Russie, paraissaient absolus. Quelques mois précédaient le début du retrait des troupes de l'Otan d'Afghanistan annoncé pour 2014, et l'Asie centrale était la seule région disponible pour effectuer le transit.

Les émissaires américains haut placés scionnaient les capitales de la région en discutant les détails et les tarifs du transit.

Tachkent, Douchanbé, Astana et Bichkek ont commencé à compter les futurs profits. Des propositions très intéressantes ont été également faites à Moscou.

En mars dernier, Dmitri Medvedev, président à l'époque, a évoqué un autre accord convenu avec l'Otan portant sur la création à Oulianovsk d'un centre de transbordement aérien et terrestre. Le parti communiste a réagi par une puissante campagne en accusant le Kremlin de haute trahison: "Une base de l'Otan sera déployée à Oulianovsk, la partie de Lénine!".

Les communistes ont une position assez logique, c'est indéniable. Pourquoi les dirigeants russes s'obstinaient-ils à qualifier le centre de transit américain de Manas, dans la capitale kirghize, de base militaire américaine et exigeaient-ils sa liquidation (ce n'est pas un secret que la promesse non remplie de le fermer donnée à Moscou par l'ex-président kirghize Kourmanbek Baliev lui a finalement coûté sa place), mais les communistes n'auraient pas le droit de considérer l'aéroport d'Oulianovsk comme une base américaine?

Les responsables russes étaient embarrassés pour répondre à cette question. Le représentant de la Russie à l'Otan Nikolaï Kortchounov a expliqué fin juin qu'aucun personnel militaire étranger ne serait présent pour le transbordement ou la protection des frets.

"L'Otan a affirmé que le transit de frets via le territoire russe serait effectué en respectant la législation russe. Le transit des chargements de l'Isaf serait soumis à un régime commercial. Il est prévu d'utiliser seulement les sites civils de l'aéroport d'Oulianovsk et les voies ferroviaires d'accès prévues pour le transit de fret international", a déclaré Nikolaï Kortchounov. "Ce fret ne pourra pas tirer ou exploser et ne représente aucun danger pour la population, rassurait le diplomate russe. Le transport d'armement, de matériel ou de munitions est exclu."

Selon Nikolaï Kortchounov, le fret non létal inclut les catégories telles que les containers avec des affaires personnelles des militaires, les vêtements, les tentes, les lits, les couvertures et les appareils ménagers. Le transport des véhicules à roues non armés est également autorisé.

Le représentant de la Russie à l'Otan a déclaré que le transit serait assuré dans les deux sens principalement par des compagnies de transport russes et serait "combiné", incluant le transport routier, aérien et ferroviaire.

Le fret sera transporté d'Afghanistan à Oulianovsk par avion, puis transbordé sur les moyens de transport terrestre et envoyé à destination de l'Europe ou vers les ports européens.

La "juste cause" des Américains

Le 25 juin 2012, le premier ministre Dmitri Medvedev a signé un décret autorisant le transit combiné à certaines conditions. Les armements et le matériel militaire suivront la procédure de transit douanier. Un certificat officiel devra être fourni pour l'armement transporté spécifiant la nomenclature, le nombre d'armements et le matériel, ainsi que le but de leur déplacement. Les opérations de transport d'armements se dérouleront en présence de douaniers.

Le rétablissement du réseau pakistanais de transit à destination et en provenance d'Afghanistan attenue dans une certaine mesure le rôle politique exclusif des itinéraires passant par la Russie et l'Asie centrale, mais ne réduit pas leur profit commercial. Pendant la rencontre avec la brigade aéroportée à Oulianovsk, Vladimir Poutine n'a pas parlé de cet aspect de la coopération avec l'Otan, sans doute le format ne convenait pas pour l'occasion…

"Dans ce cas concret, ils travaillent pour une cause juste, et nous les aidons, a déclaré Poutine. Et j'estime que nous faisons ce qui doit être fait. Dommage seulement que pratiquement tous les acteurs de l'opération en Afghanistan ne pensent qu'à déguerpir le plus vite possible. Ils n'ont qu'à y rester et y travailler, ils ont endossé cette lourde responsabilité et doivent porter ce fardeau jusqu'au bout."

Il convient de noter que quelques années auparavant, avant l'annonce du retrait des troupes américaines d'Afghanistan par l'administration actuelle de la Maison blanche, Moscou et Pékin appelaient Washington à fixer le plus rapidement possible les délais de ce retrait…

Aujourd'hui, lorsque les délais ont été établis, à la question de savoir pourquoi le ton de Moscou a changé, les diplomates russes répondent: "Les Etats-Unis n'ont pas rempli le mandat délivré par l'Onu en 2001 pour l'opération antiterroriste en Afghanistan: la paix n'a pas été rétablie, l'économie non plus, et la production de drogues a augmenté significativement…".

Une telle appréciation de l'opération Enduring Freedom (Liberté Immuable) lancée par les USA en Afghanistan il y a plus de dix ans, soutenue par Poutine après les événements du 11 septembre 2001, permet d'encore près d'une dizaine d'année de continuer à critiquer avec modération les actions de Washington à l'égard de l'Afghanistan.

Selon l'accord stratégique, dont la signature se prépare entre les Etats-Unis et l'Afghanistan, la présence militaire américaine en Afghanistan, y compris cinq grandes bases militaires, pourrait être maintenue jusqu'en 2023.

L’opinion de l’auteur ne coïncide pas forcément avec la position de la rédaction

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