Le suicide et la crise financière

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Au vu de l'instabilité de l'économie mondiale, les psychiatres sont de plus en plus préoccupés par le problème des suicides commis en raison de catastrophes financières personnelles.

Au vu de l'instabilité de l'économie mondiale, les psychiatres sont de plus en plus préoccupés par le problème des suicides commis en raison de catastrophes financières personnelles. Le 10 septembre est justement la journée internationale de prévention du suicide, qui se tient à l'initiative de l'Organisation mondiale de la santé (OMS). Est-ce que le monde - y compris la Russie - est menacé par une vague de suicides économiques?

Les experts n'écartent pas un tel danger mais estiment que tout dépend de l'ampleur de la crise financière et de la perception des problèmes à l’échelle de chaque individu.

Une spirale inéluctable

Selon les statistiques de l'OMS, une personne met fin à ses jours toutes les 40 secondes quelque part sur la planète et ce fort taux de suicide est, depuis longtemps, un grand problème à l’échelle mondiale. Chaque année, 900 000 personnes décident de mettre fin à leurs jours.

Au cours des 20 dernières années, la Russie fait partie des pays les plus touchés par ce phénomène avec un indice moyen de mortalité suite au suicide dépassant la limite critique fixée par l'OMS - à savoir 20 cas sur 100 000 habitants.

Toutefois, les experts font remarquer que depuis le début des années 2000, la tendance est à la baisse dans le pays. En 2010, on enregistrait une moyenne de 23,3 suicides pour 100 000 habitants pour 21,4 en 2011.

Mais ces statistiques pourraient facilement décoller, avertissent les experts. L'instabilité financière dans le monde, qui selon les économistes touchera tôt ou tard les Russes, pourrait provoquer un pic de suicides dans le pays. L'Europe a déjà été confrontée à ce problème, à en juger par la presse locale qui rapporte périodiquement des histoires tragiques d'individus qui ont mis fin à leurs jours, faute d’avoir pu gérer leur propre crise financière.

Selon les experts, les Russes ne sont pas psychologiquement à l'abri d'une telle situation, même si la population du pays a déjà traversé plusieurs crises financières. Comme le fait remarquer le suicidologue Vladimir Voïtsekh, le mois d’octobre 1998, qui suivait de quelques semaines la crise financière d’août 1998, avait connu un triplement du nombre de suicides par rapport à l’année précédente, notamment parmi les jeunes.

La crise de 2008-2009 n'a pas considérablement affecté ces statistiques en Russie mais les experts font remarquer que les catastrophes financières laissent toujours des traces sur le moral de la population, notamment chez ceux qui sont habitués à la croissance des revenus et à la stabilité.

"Le changement radical de statut social et de revenus est un facteur de risque connu", déclare Evgueni Lioubov, responsable du département de suicidologie à l'Institut de recherche psychiatrique de Moscou, auprès du ministère de la Santé.

Des crédits omniprésents

Il est difficile de prédire comment les Russes réagiront psychologiquement à la crise imminente car son ampleur est imprévisible. "Mais l’on peut affirmer qu'actuellement, les Russes sont plus endettés qu'en 2008", remarque Stanislav Bojenko de la Banque de Moscou.

"Dans l'ensemble, la solvabilité de la population augmente depuis 2009-2010. Le chômage se réduit, l'inflation est plutôt modérée et les gens sont enclins à faire des prêts en dépit de la récente crise financière. La situation économique générale et les tarifs du pétrole stables contribuent à cette situation", déclare l'expert. Et de souligner que ces dernières années, les banques ont activement grossi leur portefeuille de crédits malgré le durcissement de la politique créancière.

Pour exemple, entre août 2008 et août 2012, la délivrance de prêts aux particuliers par Sberbank a connu une hausse supérieure à 90%, de 187% pour VTB, de 71% pour Rosbank, déclare l'expert. "Si la récession économique se révèle très forte, la situation sera désespérée et beaucoup d'emprunteurs pourraient se retrouver incapables de rembourser leurs prêts", avertit l'expert.

La crise dans la tête

Les psychologues affirment pourtant que, quelle que soit l’ampleur des problèmes financiers auxquels une personne est confrontée, ils ne sont pas la véritable cause du suicide mais seulement un prétexte, dans un contexte de troubles dépressifs et d'autres problèmes connexes complexes.

"Les gens sont poussés au suicide par une souffrance mentale insupportable, dont la seule issue est la privation de la conscience", estime Ioulia Ovtchinnikova, de la chaire de psychologie générale et expérimentale à l'Institut de recherche du Haut collège d'Economie.

"L'homme ne souhaite pas la mort mais que la souffrance cesse", déclare-t-elle. Néanmoins, toute personne confrontée à des problèmes ne se retrouve au bord du suicide. "Le risque du suicide survient lorsqu’un cataclysme vital touche une personnalité vulnérable, dans laquelle la détresse psychologique "s'emboîte" comme une clé dans une serrure", déclare Evgueni Lioubov. 

Qui se trouve dans le "groupe à risques" du point de vue social ? Avant tout des personnes dont les revenus augmentaient, ces derniers temps, plus rapidement que leur niveau professionnel, estime le psychothérapeute Konstantin Olkhovoï.

"Un tel groupe a fait son apparition ces dernières années au sein de la population. Par ailleurs, ces gens ont été exposés aux idées de l'opinion publique, à la publicité et souvent, ils achètent des produits au-dessus de leurs moyens. En perdant leur emploi et leur revenu habituel, ils pourraient être confrontés à une profonde crise psychologique, en interprétant la situation comme une chute dans la pauvreté, une perte de leur statut et de leur image", déclare l'expert.

Selon lui, dans cette situation, il est primordial de revoir sa vision de la consommation.
 "C'est une situation malsaine lorsqu'un individu qui gagne environ 1 000 euros par mois s'achète à crédit une voiture valant 40 000 euros", déclare-t-il en soulignant qu'en ayant une approche objective, une voiture ne devrait pas valoir plus de six mois de salaire.

Hormis les cols blancs qui tiennent à leur image et leur statut, les hommes d'affaires se retrouvent également dans le groupe à risques, selon Konstantin Olkhovoï. "Le travail d'un homme d'affaires ou d'un entrepreneur important implique une forte pression psychologique et ces gens sont plus souvent soumis aux débordements émotionnels", déclare le psychothérapeute, en soulignant que la crise financière pourrait être, pour eux, la dernière goutte d'eau dans le vase.

En ce qui concerne la population moins aisée, enfin, elle semble moins soumise aux troubles psychiques dans le contexte d'une crise. La plupart du temps, elle ne souscrit pas de crédits, déclare Evgueni Lioubov. "Ces gens sont habitués à compter sur eux-mêmes et à survivre en fonction de ce qu'ils ont", déclare Konstantin Olkhovoï.

La solution existe

Comment prévenir un suicide ou un comportement suicidaire en cas de problèmes financiers ? Les experts font remarquer qu'il n'existe aucune méthode particulière. "Il faut avoir à l'esprit que dans 90% des cas, le suicide résulte d'une dépression, lorsqu'il s'agit d'un adulte", déclare Konstantin Olkhovoï. Par conséquent, il faut lutter contre la dépression.

Si le problème s'avère insoluble, il faut savoir que toute situation est réversible, à l'exception de la mort, fait remarquer Konstantin Olkhovoï, en appelant les gens songeant au suicide à penser à leurs proches.

"Ceux qui ont aujourd'hui 40 ans et plus se souviennent parfaitement des anciennes crises, lorsque les gens tombaient et se relevaient en toute circonstance", explique l'expert en soulignant que tout le monde est loin de céder à la dépression en période de crise : certains l’interprètent comme un défi.

"C'est une étape à franchir et le fait que l’issue en sera positive ou négative dépend avant tout de chaque individu", déclare l'expert.

De plus, les psychologues rappellent à quel point il est important de se fixer de véritables objectifs. "Ce ne sont pas les résultats concrets qui distinguent un vainqueur d'un loser, mais le fait d’atteindre ou non l’objectif que l’on s’est imposé soi-même. Et le sentiment intérieur d'être un loser est la base d'un comportement dépressif et suicidaire", explique l'expert.

Les proches et la famille jouent un rôle important dans la lutte contre un comportement suicidaire, fait remarquer Evgueni Lioubov. "Comme dans toute situation défavorable, l'union fait la force. Une famille saine traverse mieux les épreuves grâce à l'amour et à la tolérance", déclare Evgueni Lioubov, mais il avertit qu'il faut être attentif et ne pas commettre d’erreurs banales.

"Par exemple, il ne faut pas dire : "C'est encore pire pour les autres". Celui qui songe au suicide est plongé dans son malheur et ne s'intéresse par vraiment à celui des autres". Néanmoins, l'expert souligne que même les pensées éphémères vers le suicide sont un signe dangereux, qui plus est si elles sont répétées et obsédantes. Dans ce cas, Evgueni Lioubov conseille simplement de demander de l'aide à un professionnel.

L’opinion de l’auteur ne coïncide pas forcément avec la position de la rédaction

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