Kudankulam vs Fukushima, ou la renaissance nucléaire mondiale

© RIA Novosti . Evgeniy BezekaKudankulam vs Fukushima, ou la renaissance nucléaire mondiale
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Le lancement de la centrale nucléaire de Kudankulam, fleuron de la coopération indo-russe au sud de l'Inde, est un long processus qui pourrait prendre plusieurs mois, à partir de mercredi. Aujourd'hui débute la première phase des opérations: le chargement du combustible nucléaire.

Le lancement de la centrale nucléaire de Kudankulam, fleuron de la coopération indo-russe au sud de l'Inde, est un long processus qui pourrait prendre plusieurs mois, à partir de mercredi. Aujourd'hui débute la première phase des opérations: le chargement du combustible nucléaire. Loin d'être une simple manipulation technique, cet événement sort largement du cadre de l'industrie énergétique indienne et marque la première étape d'une renaissance nucléaire à l'échelle mondiale. Kudankulam est en effet un projet particulier, adoptant des technologies qui le sont tout autant.

Sans oublier les poissons

Ce projet est l'événement le plus important dans le secteur nucléaire depuis la catastrophe de Fukushima, en mars 2011, si l'on omet la construction d'une centrale nucléaire à Boucher en Iran. A l'époque, l'accident nucléaire avait résulté d'un tremblement de terre et d'un tsunami; ce qui avait provoqué, entre autres, la contamination de la faune marine.

Kudankulam, qui se trouve également sur un rivage, a déjà résisté au tsunami qui s'est abattu en 2004 sur les côtes indonésiennes et thaïlandaises, s'étendant ensuite jusqu'aux côtes opposées, à l'est de l'océan Indien. Le système de sécurité de la nouvelle centrale avait alors été testé.

Dans les années qui ont suivi, la centrale a connu plusieurs innovations techniques. Alexandre Kvacha, directeur adjoint du projet de construction de Kudankulam, a déclaré au correspondant de RIA Novosti à New Delhi, Evgueni Pakhomov, que le réacteur pouvait notamment se refroidir lui-même, sans l'intervention de l'homme, en cas de besoin – même en cas de coupure de courant. Qui plus est, la centrale résisterait au crash d'un avion.

Enfin, elle dispose également d'un système de protection des poissons dans les eaux côtières – le plancton et 95% des poissons se retrouvant dans le système de refroidissement de la centrale en sortiraient sains et saufs.

L'accident de Fukushima s'est produit très récemment, en mars 2011. A ce moment, les technologies d'Atomstroïexport étaient, évidemment, déjà prêtes et en cours d'installation.

Autrement dit, les ingénieurs de la centrale indienne semblaient se préparer aux accidents similaires à celui survenu au Japon et ont conçu une centrale nucléaire de nouvelle génération - ses innovations concernant précisément la sécurité et l'écologie.

Les anciennes centrales ferment, de nouvelles voient le jour...

Après Fukushima, le Japon et l'Allemagne ont tenté de renoncer à l'énergie nucléaire – ou ont annoncé l'abandon progressif des centrales. On parlait alors déjà de la fin du secteur.

Le résultat inverse a été obtenu: mercredi 19 septembre, le gouvernement japonais a adopté un nouveau programme pour réduire sa dépendance à l'énergie nucléaire mais n'envisage plus l'abandon total des centrales pour 2030. En Allemagne, on constate un changement dans l'opinion publique, quant à la mise hors service de toutes les centrales nucléaires du pays pour 2017…

Début septembre à Vladivostok se tenait la "semaine des leaders" du Pacifique, l'APEC (Coopération économique pour l'Asie-Pacifique). Pendant la dernière activité de la semaine - le sommet des chefs d'Etat des 21 pays du Pacifique - les dirigeants présents ont plutôt évoqué les perspectives de l'APEC au lieu de faire le bilan annuel de son activité. L'énergie nucléaire a notamment été mentionnée. Selon des sources bien informées, le sommet de l'APEC a souligné la perspective d'une forte croissance du secteur nucléaire mondial.

C'est probablement un résultat assez inattendu - mais logique - de Fukushima. La croissance du secteur ne sera pas due à la création de nouveaux réacteurs mais à l'arrivée d'une nouvelle génération de systèmes de sécurité, comme à Kudankulam. Certes, les anciennes centrales seront fermées. Mais elles cèderont la place à des centrales modernes.

Et c'est précisément ce que l'on constate par le changement significatif des principaux acteurs du nucléaire mondial. Le marché opère sa redistribution.

Par exemple, l'Inde projette de construire plus de 20 nouvelles centrales nucléaires. Après Fukushima, le gouvernement a exigé de suspendre tous les travaux dans le domaine pour examiner la situation. Le lancement de Kudankulam est un signe clair témoignant du résultat de leur analyse.

La Chine… est-ce que quelqu'un se rappelle comment la Russie a décroché le contrat pour la centrale nucléaire de Tianwan, mise en service en mai 2006? Aujourd'hui, les autorités chinoises construisent 26 centrales nucléaires. Par leurs propres moyens? Non, c'est chose impossible dans le secteur nucléaire, domaine de large coopération technologique et financière entre ceux qui, habituellement, pouvaient être considérés comme concurrents. Mais la Russie seule, même théoriquement, ne pourrait pas satisfaire l'ensemble des commandes mondiales de nouvelles centrales - ou même un dixième de celles-ci. La Russie coopère, comme tout le monde.

Bien qu'il arrive que la coopération soit assez inattendue. Si certains pensent que le schéma classique est celui d'une puissance européenne obtenant un contrat pour une centrale nucléaire dans l'ancien "Tiers monde", ils devraient regarder ce qui se passe actuellement au Royaume-Uni.

Le pétrole du plateau continental de ce pays est pratiquement épuisé. Huit des neuf centrales nucléaires doivent être prochainement mises hors service - Fukushima n'a rien à voir, ces centrales sont simplement obsolètes - et les Britanniques ont décidé d'en construire de nouvelles. Et qui prend en charge ce projet? Les Chinois, parce qu'ils ont de l'argent pour cela. Par ailleurs, hormis les Chinois, ce ne sont pas les Russes mais les Allemands et les Français - malheureusement pour les Américains - qui apporteront leur aide à la Grande-Bretagne pour les technologies et les travaux nécessitant des connaissances spéciales. Dans tous les cas, les Chinois toucheront du doigt à une nouvelle génération de technologies.

Les deux "sortes" d'écologistes

Le retard dans la construction de Kudankulam s'explique non seulement par la révision de la stratégie nucléaire de l'Inde, mais également par les protestations des habitants de six villages de pêche situés à proximité de la centrale. Ils ont contesté le projet jusqu'au dernier jour, recourant même parfois à la violence. Ils affirmaient que la centrale les priverait de poisson.

Le fait est intéressant. En réalité, les manifestations de pêcheurs ne sont pas du tout populaires dans d'autres zones de l'Etat Tamil Nadu, qui manquent d'électricité...

Finalement, les unités spéciales de police sont entrées en action: selon certaines sources, les manifestations sortaient de l'ordinaire. En effet, les pêcheurs ont récupéré les informations disponibles concernant les systèmes de sécurité de la centrale et les ont retournées sens dessus-dessous. Admettons qu'une technologie de protection du poisson ait été inventée: les manifestants se sont mis à déclarer que le poisson était justement menacé par ces technologies. Mais comment en ont-ils pris connaissance?

On sait, depuis les années 1980, que dans notre monde les écologistes sont parfois plus que ça – quand sont apparues les notions de "terrorisme écologique" ou d'éco-terrorisme.

A l'époque, on évoquait surtout l'utilisation des protestations écologiques pour faire du tort aux concurrents, y compris les gouvernements. Imaginons une Inde privée de réserves de pétrole, de gaz et sans énergie nucléaire. Or l'on commence à peine à dire que c'est la future deuxième économie du monde, après la Chine…

Aujourd'hui, tout est plus complexe. Bien sûr, utiliser une activité civile à des fins politiques est une méthode connue et banale mais aujourd'hui, les écologistes se sont également divisés en deux groupes, qui luttent l'un contre l'autre. Par exemple, prenons la publication, dans le Foreign Policy, dans laquelle les "autres" écologistes s'expriment sur le thème de l'énergie nucléaire. Pas ceux qui organisent des manifestations ni ne s'intéressent au réchauffement climatique.

Ils rappellent que, de toute l'histoire du secteur atomique, 4 000 personnes sont mortes à cause du nucléaire, pratiquement toutes suite à Tchernobyl - les chiffres sont discutables - tandis que près de 100 000 personnes meurent chaque année en raison de la combustion du charbon - ces chiffres sont également discutables. Mais que l'on parle toujours de la même chose: la renaissance nucléaire après Fukushima...

L’opinion de l’auteur ne coïncide pas forcément avec la position de la rédaction

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