La Lettonie et ses "non-citoyens" russes

© Flickr / Dita MargaritaLa Lettonie est ses "non-citoyens" russes
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Le sort législatif du statut des non-citoyens en Lettonie sera scellé jeudi pendant la réunion de la Commission électorale centrale (CEC). Le rendez-vous sera certainement un échec, susceptible pourtant d'engendrer un sérieux conflit juridique.

Le sort législatif du statut des non-citoyens en Lettonie sera scellé jeudi pendant la réunion de la Commission électorale centrale (CEC). Le rendez-vous sera certainement un échec, susceptible pourtant d'engendrer un sérieux conflit juridique.

Le Mouvement pour les droits de l'homme, qui se positionne en Lettonie comme le protecteur des droits de la population russophone, a préparé un projet d'amendements pour la loi sur la citoyenneté. D'après ces derniers, il est prévu d'offrir la citoyenneté à ceux qui sont arrivés dans la république lettone après son adhésion à l'URSS en 1940, ainsi qu'à leurs enfants. En d'autres termes, à tous ceux qui vivent actuellement en Lettonie.

Les initiateurs du projet doivent présenter à la CEC au moins 10 000 signatures pour soumettre ces amendements à un référendum. Si la Commission électorale centrale reconnaissait la validité des signatures et le projet proposé comme suffisamment développé, commencerait alors la seconde étape de la préparation du référendum, où les organisateurs devraient présenter cette fois 150 000 signatures – c'est-à-dire 10% des électeurs lettons, suite à quoi, après une nouvelle vérification des signatures, la CEC fixerait une date pour le référendum.

Les organisateurs de ce scrutin populaire ont déjà présenté à la commission 12 000 signatures au mois d'août. Se souvenant de la critique dont la CEC avait fait l'objet, quelques mois auparavant, pour l'organisation du référendum sur la reconnaissance du russe comme langue nationale – un scrutin perdu par les organisateurs  -, la commission a préféré cette fois assurer ses arrières. Pour évaluer le développement du projet, la CEC a fait appel aux experts, dont le ministère de la Justice, ce qui est possible mais pas obligatoire.

Et le ministère de la Justice a rendu son verdict : l'idée des amendements enfreint la constitution car selon la législation, la citoyenneté est un lien juridique persistant entre l'individu et l'Etat, qui repose sur la loyauté. Quant au statut de non-citoyen, il n'implique pas la loyauté mais un séjour en Lettonie. Par conséquent, il est impossible d'accorder automatiquement la citoyenneté aux personnes concernées.

La conclusion du ministère de la Justice n'est qu'une recommandation mais, selon le politologue Ivera Kazoka, les avocats n'arrivent déjà pas à se mettre d'accord pour déterminer si la CEC peut interpréter la conclusion du ministère sur la non-constitutionnalité comme une réaction à un projet insuffisamment développé. La commission prendra une décision définitive le 27 septembre et, en cas de refus, les organisateurs du référendum pourraient faire appel.

Mais quelle que soit la décision juridique, on peut affirmer que l'intrigue politique a déjà été provoquée.

Citoyen depuis l'enfance

Il y a quelques semaines, sans organiser de référendum, des amendements à la loi sur la citoyenneté ont été adoptés, prévoyant son obtention automatique pour les enfants des non-citoyens, au moment de la délivrance de leur acte de naissance.

De cette façon, la citoyenneté de ceux qui naissent en Lettonie a cessé d'être un choix pour les parents non-citoyens. Auparavant, ils avaient également la possibilité d'obtenir la citoyenneté pour leurs enfants en en faisant la demande mais peu l'ont signée, comme d'ailleurs beaucoup ne s'empressaient pas de profiter de l'occasion pour devenir citoyens eux-mêmes.

Les autorités chargées de l'immigration, régulièrement accusées de xénophobie, l'ont plusieurs fois souligné, chose que les militants des mouvements russes n'ont jamais niée, ne comprenant pas comment on pouvait exiger du demandeur la connaissance d'une langue étrangère et sa loyauté.

On ignorait également pourquoi, en acceptant la citoyenneté, il fallait se retrouver privé de séjours sans visa en Russie tandis que le passeport de non-citoyen permet de voyager librement de l'ouest de l'UE jusqu'à l'est russe.

Mais malgré cela, le nombre de non-citoyen continu à diminuer, ils sont aujourd'hui moins de 16% alors qu'ils semblaient être un tiers encore hier.

Bref, la citoyenneté et la langue ne correspondaient jamais à ce que s'imaginaient les militants pour les droits des russophones. Au fil des ans, ce fait devient de plus en plus évident y compris pour les Russes. Les partis qui se positionnent comme "russes" dépassent de plus en plus rarement les limites de l'erreur statistique, et grosso modo, il n'en reste qu'un seul : le PCTVL (Pour les droits de l'homme dans une Lettonie unie).

D'autre part, dès que ce parti, dirigé par des individus ne portant pas de nom letton, tente de se positionner comme pan-letton et de renoncer aux revendications d'occuper la "niche russe", il obtient immédiatement le soutien de ceux dont le PCTVL cherche désespérément à gagner la sympathie. Et pas seulement, parce que le seul soutien des russophones ne suffirait pas aux centristes de gauche du Centre de l'harmonie pour remporter les élections à Riga, faire élire son leader Nil Ouchakov au poste de maire de la capitale et gagner les législatives.

Proches, mais pas ensemble

Comme l'explique Boris Tsilevitch, l'un des leaders du Centre de l'harmonie, le parti a laissé ses membres le soin de participer ou non à la préparation du référendum. M. Tsilevitch lui-même est sceptique à ce sujet. Il estime que cette initiative tient plus du jeu politique que du bon sens, sans parler des chances de succès, nulles bien avant la décision du ministère de la Justice.

Il ne s'agit en fait pas de citoyenneté. Et même pas du fameux nationalisme, que les Russes des les pays baltes ne ressentent pas au quotidien. Tous les syndromes russes en Baltique – l'auto-affirmation d'avant-hier, la crainte d'hier et la conviction d'aujourd'hui que c'est le seul endroit où il est possible de vivre – s'accumulent et se mélangent.

Au début des années 1990, certains adhéraient au Front populaire, d'autres défendaient la puissance disparue, puis tout s'est mélangé : les premiers sont devenus rancuniers non sans raison, les internationalistes se sont intégrés et ont même appris quelques mots en letton.

En se détachant de leur patrie historique et sans devenir lettons, il ne reste qu'une chose à faire : maîtriser la première et la plus simple phrase du cosmopolitisme, qui devient une forme d'auto-identification.

Comme le reconnaissent aussi bien les Russes que les Lettons, ils vivent en Lettonie les uns avec les autres, mais pas ensemble. Ils s'y habituent et le modèle se reproduit, même si les jeunes parlent la langue et reçoivent la citoyenneté. 80% des non-citoyens lettons vivent dans des grandes villes et, entre les lignes des statistiques impartiales, se cache un détail de taille : dans les grandes villes. Ce qui signifie souvent de façon compacte, là où les a conduits la construction du communisme, dans des cités de l'époque de l'internationalisme industriel. En effet, personne n'a besoin de parler letton ici. Mais le nombre de cours scolaires en russe se réduit- ce n'est la faute de personne et tout le monde en est conscient - mais les Russes ne peuvent rien faire avec ce sentiment désagréable et les Lettons haussent les épaules – sachant qu'ils en ont tous le droit.

Les Russes vivent en Lettonie et les autres pays baltes comme s'ils observaient ce monde de l'extérieur, sans être plongés dans les nuances politiques, et évaluent la qualité de la vie locale et les perspectives de l'adhésion à l'Europe avec bien plus d'optimisme que les Baltes.

Mais c'est dans les émissions de Pervy Kanal russe qu'ils apprennent que leur sort est difficile. Finalement, les Russes se mettent volontairement dans des ghettos – et plus il est confortable, plus ils rejettent ces problèmes à l'intérieur. Comme s'ils n'existaient pas.

Une troisième communauté

Une société séparée en deux communautés ? L'idée ne semble pas non plus poser problème aux Lettons. Ils ne remarquent simplement pas l'existence de cette seconde. Du moins, jusqu'à ce qu'elle fasse parler d'elle. Et on assiste alors à une mobilisation défensive, la société devient méfiante, le ministère de la Justice se met à parler de loyauté et le Centre de l'harmonie, qui remporte les élections, se retrouve dans l'opposition parce qu'aucun parti n'ose entrer en coalition avec ceux qui sont considérés comme un parti "russe", en dépit de tous les efforts.

Il existe également des clubs russes et des clubs lettons, des entreprises lettones et des entreprises russes, sans qu'il s'agisse de nationalisme ou de superpuissance. Simplement, ce modèle est devenu la norme et personne ne remarque qu'il devient progressivement un stéréotype.

Après tout, un mariage des Russes sur trois est mixte. M. Tsilevitch estime même que le niveau d'intégration des Russes dans la société lettone est largement plus élevé qu'on ne le pense.

On les appelle "troisième communauté" – ceux qui passent facilement du letton au russe et vice versa, ceux qui se sentent aussi confortablement avec un entourage russe que letton.

Et il ne s'agit pas seulement de la langue mais également de la perception de la réalité en général, même s'ils ne réfléchissent probablement pas à la question de leur loyauté.

Ils ont simplement réussi à sortir du ghetto et vu qu'ils se comportaient comme tous les autres ; ils ont été acceptés.

Ils ne sont pas nombreux. Environ 10%, estime M. Tsilevitch. Les autres désapprouveront probablement le refus de la CEC d'organiser le référendum pour la loi sur la citoyenneté. Mais certainement sans chagrin pour autant.

L’opinion de l’auteur ne coïncide pas forcément avec la position de la rédaction

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