Russie - Etats-Unis: à chacun son utopie pour 2030

© RIA Novosti . Artur Alexandrov"Enfin, ils ne nient pas que l'ascension de l'Asie - et notamment de la Chine - se poursuivra..."
Enfin, ils ne nient pas que l'ascension de l'Asie - et notamment de la Chine - se poursuivra... - Sputnik Afrique
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Comment les espions américains voient-ils le monde de 2030? Ils sont étonnamment optimistes.

Comment les espions américains voient-ils le monde de 2030? Ils sont étonnamment optimistes.

Bien qu'en réalité il ne s'agisse pas vraiment – ou uniquement - d'espions mais de divers experts formant une équipe chargée de rédiger, tous les quatre ans, le rapport du Conseil national du renseignement (National Intelligence Council, NIC) américain. Ce document est ensuite déposé sur la table du Directeur du renseignement national, James Clapper, coordinateur de tous les services de renseignement américains. Le rapport n'est pas confidentiel et il est possible de le lire dans son intégralité.

Le monde de la classe moyenne

Le plus étonnant, dans ce rapport, est son optimisme prudent. A première vue, en voyant ce qui se passe actuellement au Moyen-Orient, on serait pourtant peu enclins à l’optimisme.

Qui aurait pu croire il y a 100 ou 150 ans, alors que les régimes militaires de la région commençaient à imposer des Etats laïcs et à encourager un islam éclairé, que le résultat de leurs efforts serait une évolution de courants islamiques complètement différents - et qu'ils seraient renversés ? Aujourd'hui, au Proche-Orient, les islamistes, plus ou moins radicaux, accaparent le pouvoir.

D’autre part, l'Europe remet en question non seulement l'idée d'un Etat européen unifié, mais également les frontières nationales – deux phénomènes qui se déroulent en même temps. Son principal problème interne est précisément l'essor d'un islam radical au sein de la population immigrée en Europe, dont personne ne sait que faire aujourd’hui.

Les Etats-Unis cherchent sincèrement à se détourner du Proche-Orient, où ils ne nourrissent plus d’espoir, pour se concentrer davantage vers l'Est. Dans l'ensemble, on ne perçoit rien de positif dans ces processus et les scénarios imaginés pour l'avenir sont des plus désagréables.

Et dans cette situation difficile, un organisme de recherche proche du renseignement américain n'a rien d'autre à nous montrer qu'un monde magnifique et douillet semblable à la "Cité du Soleil" de Campanella, pour 2030. Mais pourquoi donc ? Parce qu'à ce moment là, la population mondiale vivra majoritairement en ville, la classe moyenne urbaine passera de 1 milliard actuellement à 3 milliards de personnes sur les 8,3 milliards d'êtres humains prévus pour 2030.

Or la classe moyenne suscite moins d'inquiétude – elle sera nouée par internet et par l'idéologie mondialiste tandis que les mégapoles dépasseront les frontières, réduisant l'importance de ces dernières.

Il faut vraiment aimer la classe moyenne pour laisser reposer autant d'espoirs sur elle.

Qu'en est-il du Proche-Orient et du terrorisme? Les auteurs du rapport affirment que le terrorisme "s'épuisera" même s’il ne disparaîtra pas complètement pour autant.

Enfin, ils ne nient pas que l'ascension de l'Asie - et notamment de la Chine - se poursuivra, à la suite de quoi les Etats-Unis perdront leur rôle actuel de première puissance.

Tout cela, on le savait déjà. Mais la Chine, rappelle le NIC, ne veut pas prendre le leadership mondial. De plus, en 2030, nous vivrons dans un monde où l'économie aura doublé par rapport à aujourd'hui. Et la Chine et  les USA ainsi que d'autres leaders, chercheront les moyens de se partager le gâteau.

La Russie? Elle est mentionnée dans ce rapport mais ne suscite pas d'inquiétude (ni d’intérêt) particulière de la part des auteurs.

Cet optimisme sans fin est le scénario que les chercheurs considèrent comme le plus plausible. Mais il en existe d'autres.

La pénurie de ressources, comme l’eau par exemple, sera tangible. Des catastrophes imprévisibles sont également très probables, comme des cataclysmes naturels, des épidémies ou des cyberattaques terroristes.

Mais hormis ce que par nature on ne peut prévoir, la tendance générale est tout de même positive et les auteurs se réjouissent particulièrement à l'idée que les Etats-Unis parviendront à garantir leur autonomie énergétique et pourront observer plus calmement les événements extérieurs.

Se sont-ils mis d'accord?

Il faut à ce stade regarder toute l'industrie mondiale des études et des prévisions. Impossible de faire sans. Un gouvernement qui ne réagit qu'aux problèmes immédiats et à proximité, ce n'est pas une bonne chose.

J'ai eu l'occasion de discuter avec les fondateurs du ministère russe des Situations d'urgence au début des années 1990. "Si on ne fait pas ceci ou cela, notre pays sera en tant que tel une véritable situation d'urgence", disaient-ils. Et ils avaient raison. D'ailleurs, ils rédigeaient également des rapports qui s'avèrent aujourd'hui très utiles.

Dans le monde, en général, l'industrie des conférences, des rapports et des prévisions a connu une croissance significative au cours des 10-20 dernières années car le monde s'est déréglé, contrastant avec la structure bipolaire de l'époque de la Guerre froide. Et plus l'avenir est imprévisible, plus on cherche pourtant à le prévoir.

Les prévisions font désormais partie de la lutte politique intérieure, surtout en Russie, et surtout ceux qui concernent uniquement le développement national. Et on prend en compte ou non ces prévisions en fonction de leur auteur et de leur commanditaire.

Cependant, s'agissant des rapports traitant de thématiques globales, c'est autre chose. Bien sûr, ils pourraient refléter la lutte d'influence entre les grandes puissances mais, quoi qu'il en soit, on leur fait globalement davantage confiance.

Dans l'ensemble, les prédictions du NIC, qui paraissent tous les quatre ans, sont très respectées. Mais une étude très intéressante menée en Russie mérite le même traitement. D'ailleurs, elle a été réalisée un an plus tôt et concerne également l’état du monde en 2030. Il s'agit du "Pronostic stratégique global pour 2030. Version longue" de l'Institut d'économie mondiale et des relations internationales (IMEMO).

Fedor Loukianov, journaliste et analyste qui a travaillé sur ce rapport, reproche aux auteurs leur excès d'optimisme. Il fait remarquer que tout le monde n'adhérera pas aux allégations des auteurs selon lesquelles "d'ici 2030, l'idéologie dominante sera celle de la globalisation, de l'esprit de compromis et de l'aspiration à l'intégration".

"En constatant le chaos mondial croissant, qui exacerbe la concurrence soit pour l'influence, soit pour la survie, on voudrait sincèrement que les chercheurs aient raison", écrit-il.

Que M.Loukianov dira-t-il dès lors que l'optimisme des auteurs russes est confirmé par leurs collègues américains? Que ces derniers se sont mis d'accord?

C'est un simple fait: ils se consultent. Notre futurologie [russe] n'est plus isolée depuis longtemps, les chercheurs de l'IMEMO discutent avec leurs homologues américains, et au-delà. Si tout le monde convient que globalement, l'avenir sera plutôt bon - à moins qu'une catastrophe se produise -, cela cache forcément quelque chose.

La vie des prévisions est un sujet à part. Le rapport américain, comme on l'a dit précédemment, est écrit pour le principal analyste du renseignement du pays. Il est ensuite transmis à tous les membres importants de l'administration, pour y produire un certain effet.En fin de compte, tout le monde peut le lire. Quant à l'autre livre mentionné ci-dessus, publié par une institution russe très respectable et vendu en magasin, il n'a pas ce charme: mais s'il était confidentiel, alors, un très large public en discuterait discrètement – telles sont nos spécificités [à nous les Russes].

Mais peu importe qui rédige et publie ces rapports ou comment ils sont établis. Ce qui est important, c'est qui les lit et quelles conclusions en sont tirées.

L’opinion de l’auteur ne coïncide pas forcément avec la position de la rédaction

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