Pourquoi Moscou et Washington n'ont aucune raison de se quereller pour Damas

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En 1999, en signe de protestation contre les bombardements de l'Otan en Serbie, le premier ministre russe Evgueni Primakov avait annulé sa rencontre avec les dirigeants américains.

En 1999, en signe de protestation contre les bombardements de l'Otan en Serbie, le premier ministre russe Evgueni Primakov avait annulé sa rencontre avec les dirigeants américains.

Déjà en route pour les USA, il avait tout bonnement ordonné à l'avion de faire demi-tour au-dessus de l'Atlantique. En 2013, les dirigeants des deux pays se retrouveront à une table de négociations alors que les Etats-Unis se préparent activement à attaquer la Syrie, pays ami de la Russie. Cette fois, Poutine n'aura pas la possibilité de "retourner son avion".

L'accueil ne peut pas être refusé aux invités, même si ces derniers ont l'intention de se lancer dans une monstrueuse aventure en termes de politique étrangère du point de vue du pays hôte. On se retrouve alors avec une situation pleine d’humour noir : à l'apogée des différends russo-américains, Barack Obama et Vladimir Poutine vont se sourire pendant le sommet du G20 à Saint-Pétersbourg.

Ce n'est pas le plus surréaliste. Essayons de nous mettre de côté les préjugés et d’observer la situation en Syrie sans prendre en compte la politique étrangère aussi bien russe qu'américaine. On arrive alors à une conclusion décourageante : Moscou et Washington n'ont aucune raison de se quereller pour Damas.

Les intérêts de fond des deux pays coïncident en Syrie. Mais parfois, en politique étrangère, le poids du passé est plus fort que tout argument logique. Les chances que la Russie et l'Amérique constatent la coïncidence objective de leurs intérêts puis commencent à parler d'une seule voix sont quasiment nulles.

Quels sont ces intérêts communs, sachant que la Russie est un allié traditionnel du régime d'Assad et que les Etats-Unis sont un opposant tout aussi traditionnel à ce même régime ?

Pour l'élite politique syrienne et pour tous les Syriens en général, le nom du président du pays a, évidemment, de l'importance. Mais la Russie et l'Amérique doivent construire leur politique en partant de la fameuse déclaration du premier ministre britannique, le vicomte Palmerston, en 1858 : "L'Angleterre n'a pas d'amis ou d'ennemis permanents, elle n'a que des intérêts permanents. Notre devoir est de défendre ces intérêts".

Alors, quels sont ces intérêts permanents de la Russie et de l'Amérique en Syrie ? Premièrement, la stabilité politique et l'absence de guerre civile sont tout aussi favorables à Moscou qu'à Washington. Plus la situation sera calme en Syrie plus elle le sera au Moyen-Orient. Et plus la situation sera calme au Moyen-Orient, plus elle le sera dans le monde entier.

Ensuite, la poursuite du renforcement de l'Iran - qui plus est la possession de l'arme nucléaire par Téhéran - est défavorable aussi bien pour la Russie que pour les Etats-Unis.

La guerre en Syrie et les tentatives iraniennes de se doter de l'arme nucléaire n'ont pas vraiment de lien mais la supposée attaque américaine de la Syrie est directement liée à Téhéran, dont le régime du président Assad est un allié majeur. Voilà l’une des principales causes qui expliquent cette volonté américaine d’intervention en Syrie.

La situation syrienne semble avoir plongé les architectes américains de la politique étrangère dans un état de confusion totale. Ce ne serait pas le cas si Washington ne faisait pas erreur sur erreur en Syrie.

Avant de poursuivre, je voudrais noter que je n'ai pas l'intention de jouer le rôle du propagandiste et de l'avocat de la position officielle russe concernant la Syrie. Je ne pense pas du tout que la position de Moscou soit juste à 100% à ce sujet ni que la vision américaine soit erronée à 100%.

Cependant, dans la crise syrienne actuelle, l'Amérique joue le rôle de force active et la Russie de force réactive. Les USA cherchent à changer radicalement la situation politique intérieure en Syrie alors que Moscou ne fait que protéger le statu quo. La différence entre les ressources américaines et russes ainsi qu’entre leurs capacités à l'égard de la Syrie, est tout aussi importante.

Admettons que les Etats-Unis se fixent pour objectif d'anéantir le régime d'Assad quoi qu'il en coûte et que la Russie veuille le sauver. L'Amérique y arriverait. La Russie non, à moins qu'elle ne menace Washington d’une guerre nucléaire. Et c’est pourquoi on n’évoquera que les erreurs américaines durant la crise syrienne.

La première "erreur syrienne" n'a pas été commise par Obama. Cet "honneur" revient à son prédécesseur George W. Bush. Au début des années 2000 l'Occident avait manqué la chance historique de changer l'orientation politique étrangère du régime syrien.

Arrivé au pouvoir en 2000, Bachar al-Assad parlait ouvertement de sa volonté de "changer beaucoup de choses" dans ses entretiens avec les politiciens occidentaux, tels que le ministre britannique des Affaires étrangères Robin Cook. Tous ces signes envoyés par Damas ont été ignorés. L'Occident avait accepté le rapprochement avec Mouammar Kadhafi, pas avec Assad.

Et là encore revient l'ironie du sort. Les principaux acteurs du renversement de Kadhafi, en dépit de la participation active des forces étrangères, furent tout de même les forces intérieures. Alors que l'opposition syrienne semble ne pas avoir eu suffisamment de force pour renverser Assad.

Lorsque la guerre civile a éclaté en Syrie, beaucoup d'observateurs ne doutaient pas qu'Assad serait soutenu seulement par les alaouites. Par conséquent, l'arithmétique politique n’était pas en faveur du président car la population syrienne compte plus de 22 millions d'habitants, dont seulement 2,6 millions d'alaouites.

Ces observateurs avaient tort. Aujourd'hui, on voit bien que le président Assad est soutenu par au moins la moitié de la population. D'où cette conclusion : la rhétorique occidentale sur le "méchant dictateur" qui "combat son propre peuple" est un odieux mensonge.

La Syrie est victime d'une guerre civile cruelle où les deux belligérants commettent des actes atroces.

Pour cette raison, la position américaine "renversons Assad et tout ira bien en Syrie" n'est pas simplement une position malhonnête. C'est une position irréfléchie et erronée.

Cette position ne correspond à aucun intérêt national - ni de la Russie, ni de l'Amérique, ni certainement de la Syrie.

L’opinion de l’auteur ne coïncide pas forcément avec la position de la rédaction

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