L'alliance russo-américaine sur la Syrie est-elle viable ?

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"Une semaine, ça peut paraître très long en politique", disait dans les années 1960 Harold Wilson, alors premier ministre britannique.

"Une semaine, ça peut paraître très long en politique", disait dans les années 1960 Harold Wilson, alors premier ministre britannique. Les événements de septembre 2013 ont prouvé qu'il avait parfaitement raison. Encore hier la Russie et l'Amérique étaient des ennemis jurés sur la question syrienne. Aujourd'hui elles travaillent main dans la main.
Et demain ?

Harold Wilson est l'auteur d'une autre citation célèbre : "Je suis un optimiste, mais un optimiste qui porte un imperméable". Les nuages ne reviendront-ils pas ? L'entente actuelle entre Moscou et Washington ne sera-t-elle pas un simple interlude éphémère ?

Avant de quitter son poste d'ambassadeur d'Israël aux USA, Michael Oren a accordé une interview très franche au Jerusalem Post. Ses propos ne doivent pas être considérés comme sa position personnelle ni celle du gouvernement israélien. C'est une sorte de manifeste des politiciens occidentaux, qui souhaitent le départ d'Assad à tout prix.

"Nous avons toujours voulu le départ de Bachar al-Assad. D’une manière générale, nous préférons toujours les mauvais éléments qui ne sont pas associés à l'Iran aux mauvais éléments soutenus par la république islamique", affirme-t-il.

Les "mauvais éléments soutenus par l'Iran" ? Le régime d'Assad et son allié libanais, le mouvement du Hezbollah. Et les "mauvais éléments qui ne sont pas associés à la république islamique" ? Tous les opposants au régime d'Assad.

Mais qui a établi ce classement ? Et comment ? La palme d'or dans cette "compétition" ne revient-elle pas à Al-Qaïda ? Non : il s'avère que les successeurs de Ben Laden ont chuté dans le classement des criminels. Du point de vue de l'élite politique israélienne Assad reste le plus grand mal.

"Nous sommes conscients que l’opposition – pas toute – était composée d'assez mauvais éléments, a déclaré l'ambassadeur. Mais le plus grand danger pour Israël c'est l'axe stratégique qui s'étend de Téhéran jusqu'à Damas et Beyrouth. Et nous percevons le régime d'Assad comme l'élément clé de cet axe."

On pourrait remercier ce diplomate israélien pour avoir dit tout haut ce que les autres préfèrent taire. La voici, la véritable cause de l'aversion de l'Occident à l'égard d'Assad. Et la véritable raison pour laquelle l'entente russo-américaine sur la Syrie reste fragile.

Washington n'a pas accepté l'accord avec Moscou sur les armes chimiques d'Assad par plaisir. Et ce pas en avant ne signifie pas que l'Amérique a, tout à coup, trouvé l'argumentation russe raisonnable. L'entente avec Poutine est une démarche tactique d'Obama appelée à éviter une défaite de ses propositions sur la Syrie au congrès, humiliante pour le président.

Le scénario suivant est donc parfaitement réaliste : le temps passe, un nouvel incident important se produit en Syrie pour lequel il est impossible d'établir l'identité des auteurs. Pendant ce temps, grâce au travail acharné de l'administration Obama le rapport des forces change au congrès et l'idée d'attaquer la Syrie commence à être soutenue par la majorité.

Et là, le gouvernement américain annonce qu’il s’est efforcé honnêtement de respecter son entente avec les Russes mais qu’elle ne fonctionne pas. Qu’Assad triche et les Russes ne peuvent pas - ou ne veulent pas - faire pression sur lui. Pour cette raison, à notre plus grand regret, nous revenons à l'idée de l'attaque contre la Syrie.

Que faut-il faire pour exclure cette éventualité ? Un "rien" suffirait. Washington, Tel-Aviv, Londres et d'autres capitales occidentales doivent changer radicalement leur compréhension des processus géopolitiques à l’œuvre au Moyen-Orient.

"Je pense que Carthage dois être détruite" : c’est ainsi que le politicien romain Caton l'Ancien terminait tous ses discours au sénat, quel que soit le sujet. Aucun député américain contemporain n'a pour habitude de terminer son discours par la phrase : "Je pense que nous devons nous venger de l'Iran !" Mais cette idée bat dans le cœur de la majorité des représentants américains.

A une époque, l'Iran était un allié clé des USA dans le monde islamique. L'Amérique considérait ce pays comme l'un de ses principaux avant-postes dans la confrontation contre l'URSS et le récompensait généreusement par des armes et d'autres ressources. Téhéran a répondu par une ingratitude totale à Washington. Le chah d'Iran s'est senti pousser des ailes, et en pleine crise énergétique américaine avait osé de faire du chantage à son "frère aîné" avec l'arme pétrolière.

Mais le pire restait à venir – et est arrivé après le renversement du chah. L'incapacité du pays le plus puissant du monde à libérer les otages de son ambassade de Téhéran n'a pas seulement entraîné l'échec de la carrière politique du président Jimmy Carter. Pour les politiciens américains des deux partis cet incident est devenu le symbole d'une humiliation nationale.

Depuis cette époque Washington manque rarement l'occasion de nuire à Téhéran.
Souvenez-vous de la guerre irako-iranienne, pendant laquelle l'Amérique aidait tranquillement le régime de Saddam Hussein.

Washington regarde la crise syrienne actuelle sous le même angle. Premier objectif : priver l'Iran de ses alliés - on s'occupera d'Al-Qaïda plus tard. Et d'ici là, Al-Qaïda n'a qu'à nous aider à vaincre le régime d'Assad !

De mon point de vue, tant que l'élite américaine ne renoncera pas à cette logique, rien de bon n'attendra la Syrie et la région. Washington n'a pas à porter l’accolade à l'Iran avec son nouveau président modéré. Tout le monde sait que ce n'est pas le président qui décide de tout en Iran : c'est le guide spirituel. Mais l'Amérique devrait absolument établir correctement la "hiérarchie de ses ennemis".

Car Al-Qaïda n'est pas un acteur qu'il faut renforcer. Cette organisation est cent fois plus dangereuse que le régime d'Assad.

Il serait bien plus productif, aussi bien pour Moscou que pour Washington, si l'on parvenait à arracher le régime d'Assad de l'Iran. Cette idée est-elle si fantasque ?

La Russie peut être considérée comme un partenaire tactique ou comme un partenaire stratégique. La situation actuelle en Syrie peut être perçue comme une crise dont il est impossible de sortir avec succès. Ou alors comme une tragédie qui, néanmoins, laisse une chance de changer le rapport des forces au Moyen-Orient sans aider Al-Qaïda. La balle est dans le camp des Américains.

L’opinion de l’auteur ne coïncide pas forcément avec la position de la rédaction

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