L’attentat de Nairobi, premier écho d'une nouvelle guerre d'Afrique

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L'attentat survenu dans un centre commercial de Nairobi, la capitale kenyane, a déjà fait plus de 60 victimes. Il peut être considéré comme la première bataille d’une guerre d'Afrique, peu visible pour l'instant mais pas près d’être terminée.

L'attentat survenu dans un centre commercial de Nairobi, la capitale kenyane, a déjà fait plus de 60 victimes. Il peut être considéré comme la première bataille d’une guerre d'Afrique, peu visible pour l'instant mais pas près d’être terminée.

Ce n'est pas le premier attentat à toucher le Kenya ces dernières années : ils surviennent par dizaines ces derniers temps. Depuis 2011, le territoire kenyan subit attaque sur attaque. Nairobi, par contre, n’était jamais tombée sous le coup d’une opération si importante.

Ce qui se passe aujourd'hui au centre commercial n'a plus vraiment d'importance : cela ne diminuera pas le nombre des victimes ni n’accélérera la capacité des forces kenyanes antiterroristes à nettoyer les bâtiments. Il est aussi intéressant de découvrir ce que le Kenya a fait de mal à l'organisation islamiste somalienne Al-Chabab, accusée d'avoir perpétré récemment une série d’attentats, dont celui-ci ? Nous y reviendrons. Pour l’instant essayons de comprendre d'où vient cette organisation.

Place aux jeunes

On pourrait dire beaucoup de choses sur l'infiltration du salafisme radical et des émissaires
d'Al-Qaïda dans la Corne de l'Afrique. Mais ce n'est pas la principale explication à l'apparition du Chabab. En cause ? Les autorités éthiopiennes qui ont déroulé le tapis rouge à la radicalisation de l'islam somalien.

A la charnière des XXe et XXIe siècles le chaos sanguinaire insensé en Somalie, décrit dans la Chute du faucon noir de Ridley Scott, a commencé à céder la place à une nouvelle image de stabilité. La lutte entre les clans a progressivement cessé au profit du renforcement d'un régime spécifique, non gouvernemental mais, étrangement, de droit : l'Union des tribunaux islamiques. Ce régime a commencé à rassembler les chefs de guerre et leurs bandes sur la base d'une approche supra-tribale commune de la pratique de la charia dans le pays.

En principe, cela aurait pu donner naissance à une nouvelle forme d'Etat somalien. Ou du moins rétablir un certain ordre, ce qui n'est pas une mauvaise chose pour l'Afrique. Mais les têtes brûlées dans les rangs des islamistes ont commencé à exiger une "campagne libératrice" chez les "frères rejetés" – autrement dit lancer une seconde guerre pour la province éthiopienne Ogaden (la première date de 1977), mais cette fois avec des arguments nationalistes et religieux.

Les "tribunaux" s'opposaient alors directement aux autorités officielles de Mogadiscio, principalement parce qu'ils pouvaient déjà se le permettre : pratiquement tous les territoires du sud et du centre de la Somalie étaient derrière eux et les autorités contrôlaient uniquement la capitale - sans ses banlieues – qu’ils ont perdue en juin 2006.

L'Ethiopie a toujours été tendue par les revendications somaliennes sur ses territoires.
En décembre 2006 les nerfs d'Addis-Abeba ont lâché et le pouvoir a lancé une opération en Somalie. Les Ethiopiens ont pris Mogadiscio et ont dispersé les organismes officiels islamistes qui avaient déjà pris le pouvoir dans le pays.

Au final, la dissolution de l'Union des tribunaux islamiques a entraîné le regroupement des mouvements radicaux autour de l'organisation Al-Chabab (jeunesse), devenue depuis cette époque le point de rassemblement des islamistes dans la région. En détruisant les structures de communication élémentaires pour l’autonomie locale, les militaires éthiopiens ont poussé les islamistes somaliens à se retirer dans la clandestinité et l'extrémisme, tandis que le pays est retourné au chaos qu’il avait déjà connu dans les années 1990.

La faiblesse flagrante du gouvernement fédéral central de Mogadiscio et, parfois, le soutien direct de la part de jeunes pays reconnus et non reconnus de la Corne de l'Afrique (avant tout l'Erythrée et le Somaliland) a permis aux Chabab de prendre le contrôle de presque tout le sud et une grande partie du centre de la Somalie.

En 2009, même l'arrivée au pouvoir en Somalie de l'un des dirigeants de l'Union des tribunaux islamiques, Sharif Sheikh Ahmed, n'a pas été d'une grande aide : le génie de l'islamisme radical était sorti de sa lampe.

Le Kenya entre en scène

Etant donné que les Ethiopiens n'ont pas réussi à faire grand-chose, un autre grand allié des Américains dans la région s'est occupé du cas de la Somalie : le Kenya, qui souffrait également de "problèmes transfrontaliers" - les bandes somaliennes y pénétraient sans le moindre contrôle.

Les Kenyans ont eu une approche plus systémique. Ils bénéficiaient du soutien de Washington, notamment des services de renseignement et des frappes chirurgicales de drones, mais ils ne sont pas parvenus à renverser la situation en faveur des autorités fédérales sans intervention directe. L’AMISOM, contingent de la mission de l'Union africaine en Somalie, avait des capacités très limitées et après le retrait des troupes éthiopiennes, a préféré faire semblant de ne rien voir - selon l'ancienne habitude des casques bleus de l'Onu.

En octobre 2011 était lancée l'opération Linda Nchi (Protéger le pays en swahili), qui s’est transformée en attaque méthodique du gouvernement fédéral somalien contre les positions des Chabab avec le soutien de l'aviation, de blindés ainsi que de la marine et de l'artillerie kenyanes. Les militaires kenyans assuraient la stabilité opérationnelle des unités somaliennes et lançaient des attaques de suppression contre les positions des islamistes.

A leur tour les Kenyans recevaient beaucoup de choses utiles de la part des Américains, notamment les drones MW-9 Reaper qui œuvraient depuis le sud de l'Ethiopie. Ils étaient officiellement non armés mais il existe en réalité beaucoup d'autres informations à ce sujet.

Environ un an après le début de l'opération Linda Nchi, la supériorité territoriale des Chabab touchait à sa fin. En septembre 2012, après une longue attaque maritime et terrestre, la ville de Kismaayo, bastion des Chabab, est tombée. Grâce à leurs efforts réunis le Kenya, l'Ethiopie et le gouvernement fédéral ont chassé les islamistes de la majeure partie des points clés du sud de la Somalie – à tel point que les Chabab sont partis au nord dans le fameux nid de pirates du Pount.

Les dents du dragon

Le récent attentat de Nairobi est donc une vengeance des Chabab sur le Kenya, qui avait osé l'an dernier faire le ménage dans le nid islamiste du sud de la Somalie.

La situation militaro-politique en Afrique, du moins au nord de la ceinture tropicale dans la partie adjacente au Sahara et aux régions du Moyen-Orient, subit des pressions de la part des forces islamistes radicales comme les branches locales d'Al-Qaïda. Les islamistes usent habilement des conflits ethniques et intertribaux pour renforcer leur influence et déployer un grand réseau clandestin contre les régimes africains laïques, complètement corrompus et ne brillant pas par leur efficacité en politique intérieure.

Les récents événements au Mali ne sont qu'une vitrine de ces conflits mais pourraient devenir le modèle des guerres futures sur le continent. A côté de ça, depuis la fin des années 2000 les pays occidentaux travaillent à soutenir les régimes africains clés dans leur combat contre les islamistes. Le Mali est un cas d'intervention d'urgence - mais très révélateur.

Al-Chabab, devenu maître de tout un pays - même s'il ne s'agit d'un pays que dans le sens territorial et géographique du terme - sera écrasé, et l'Ethiopie et le Kenya devront accepter telle ou telle forme souple d'Etat islamique en Somalie – mouvement qui était déjà engagé il y a 10 ans et contre lequel on s’était nerveusement dressés en 2006.

En fait, Al-Chabab deviendra ce qu'il avait l'intention de devenir : Al-Qaïda dans la Corne de l'Afrique, dissimulé parmi la population des pays voisins et entretenant activement le contact avec ses homologues à travers le monde. On le voit déjà dans le profil des terroristes qui ont participé à l'attaque du centre commercial de Nairobi : il s’agit de citoyens américains et britanniques d'origine "non anglo-saxonne", ainsi que Samantha Lewthwaite, Britannique d'origine et veuve de l'un des kamikazes responsables des attentats du métro de Londres en 2005.

Cela ne concerne plus du tout la Somalie mais ce que les renseignements appellent le "terrorisme international" depuis le début des années 2000. Il est complètement détaché de l'aspect national et gouvernemental et vit selon le principe de Porthos (je me bats parce que je me bats) : s'il faut se battre en Somalie, alors on se battra. Puis on ira ailleurs.

D'une part, on a fait le ménage dans le principal nid du mal, mais de l'autre les dents du dragon poussent déjà, parasitant les réseaux salafistes d'entraide pacifique - alternatifs aux autorités locales.

Ce qui s'est produit à Nairobi ne semble être qu'une première frappe contre les régimes laïques d'Afrique qui avaient décidé de combattre l’islamisme transfrontalier.

L’opinion de l’auteur ne coïncide pas forcément avec la position de la rédaction

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