L’Ukraine, bientôt une deuxième Syrie?

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"La rigueur est indulgente avec les vautours, mais dure envers les colombes" dit le proverbe. Il s’applique bien à l'approche occidentale de la crise politique ukrainienne actuelle.

"La rigueur est indulgente avec les vautours, mais dure envers les colombes" dit le proverbe. Il s’applique bien à l'approche occidentale de la crise politique ukrainienne actuelle.

Parmi les principaux acteurs de la confrontation à Kiev, il n'y a aucune "colombe" - que des "vautours". Les seules "colombes" sont les citoyens ordinaires, qui sans le vouloir se sont retrouvés à l'épicentre de la tourmente sanglante. Mais les capitales occidentales ont une vision complètement différente de la situation.

Le noir absolu contre le blanc absolu. Des opposants courageux et à cheval sur les principes contre les serviteurs pourris du régime dictateur. Sans parler de la démagogie de ceux qui "condamnent la violence des deux côtés". C'est comme ça que se présente la situation en Ukraine du point de vue des dirigeants occidentaux.

Imaginez-vous marchant tranquillement dans la rue et tout à coup un molosse agressif apparaît de nulle part et vous frappe sur la tête de toutes ses forces. Vous n'avez aucune envie de rejoindre l'autre monde avant l'heure et ripostez. C'est là qu'apparaît un autre personnage : le président de la Communauté des pères la morale.

Ce dernier vous dit, indigné : "Non, comment osez-vous frapper ce représentant de la société civile ? Vous devez négocier avec lui une solution pacifique au conflit ! Sinon, je vais adopter des sanctions contre vous !".

Absurde et fantasmagorie ? Non, uniquement une description allégorique de la ligne occidentale actuelle à l'égard de l'Ukraine. On a l'impression que la diplomatie occidentale a perdu tout sens critique.

Essayons de voir pourquoi l'Occident adopte cette attitude envers l'Ukraine.

La première chose qui vient à l'esprit est un calcul cynique et pragmatique. La Russie est un pays qui a d'innombrables liens avec l'Ukraine. Moscou ne peut pas rester indifférent vis-à-vis de ce qui se passe chez son voisin. La Russie compatit avec l'Ukraine.

Pour les Etats-Unis, l'Ukraine est tout autre. En 1938, le premier ministre britannique Neville Chamberlain avait qualifié la Tchécoslovaquie de "pays lointain" peuplé de "gens dont on ignore tout". La grande majorité des politiciens américains semble avoir la même attitude envers l'Ukraine.

Pour les stratèges de Washington, les Ukrainiens ne sont pas des hommes, des femmes et des enfants concrets et familiers. Ils ne sont à leurs yeux ne des gens-schémas, des gens-fonctions, des pions dans un grand jeu géopolitique qu'il faut gagner à tout prix.

Mais peut-on compatir avec un jeton au casino ? Bien sûr que non. Le jeton est fait pour jouer, prendre des risques. Celui qui ne prend jamais de risques n'a aucune chance de gagner.

Voilà comment expliquer en partie l'attitude de l'Occident envers Ianoukovitch, celle d’une dame expansive voulant se venger d'un jeune homme qui lui promettait le mariage mais a changé d'avis. Ianoukovitch avait donné sa parole à l'Occident avant de faire marche-arrière. Il devait donc être sanctionné à titre d'exemple. Tout est parfaitement logique.

Mais ce n'est là qu'une partie de l'explication. Ce qui surprend le plus dans le comportement de l'Occident à l'égard de l'Ukraine, ce n'est pas l'aspiration des USA et de l'UE à pincer l'ours russe et à le priver de la marge de manœuvre - c'est tout à fait logique et prévisible. Mais ce qui est absolument illogique et inattendu, c'est l'incapacité de l'Occident à faire un calcul élémentaire sur les conséquences de leurs propres actions.

Admettons que vous n'appréciez pas beaucoup votre voisin. Admettons que vous ne soyez pas vraiment opposé à ce que quelque chose explose dans sa maison. Seriez-vous pour autant heureux si l'explosion dévastait sa maison, mais aussi la vôtre ? Peut-être pas, tout compte fait.

On peut détester Ianoukovitch. Mais on ne peut pas fuir la réalité : pour la première fois depuis de nombreuses années un immense pays au centre de l'Eurasie pourrait être dévasté par une véritable guerre civile. Serait-ce réellement le but de l'Union européenne et de l'Amérique ? L'Occident est-il prêt à payer un tel prix pour "dompter les ambitions impériales du Kremlin"?

On a vraiment du mal à le croire. Les architectes de la politique occidentale contemporaine ne sont pas des malfaiteurs. Ce sont des gens intelligents et présomptueux qui se séparent de leurs préjugés avec beaucoup de réticence et de lenteur.

Souvenez-vous de la récente situation en Syrie. Rappelez-vous les politiciens occidentaux qui chantaient en chœur : "Assad est un malfaiteur, Assad est un criminel, alors que ses opposants sont des anges ! Et les Russes sont méchants aussi ! Ils empêchent de renverser Assad et avancent des idées farfelues sur les fortes positions d'Al-Qaïda chez les opposants!".

Tout le monde s'en souvient. Puis le chœur a changé de disque : "Oui, évidemment, les Russes sont méchants ! Mais ils avaient quelque part raison alors que nous étions sur le point de soutenir activement Al-Qaïda."

On espère que les politiciens occidentaux seront bientôt frappés par la grâce en ce qui concerne l'Ukraine. Ce n'est pas le moment de régler ses comptes géopolitiques avec Moscou. Il est temps de décider l'orientation de l'Ukraine – euro-atlantique ou prorusse. Il est temps d'unir ses efforts pour éteindre l'incendie politique ukrainien. Dans ce cas, le vecteur des événements à Kiev pourrait alors changer.

L'Occident dispose de leviers de pression réels sur l'opposition ukrainienne. On doute que Barack Obama soit une autorité pour les leaders radicaux Oleg Tiagnibok et Dmitri Iaroch. Mais c'est il en est une pour les leaders d'opposition "civilisés" tels qu'Arseni Iatseniouk et Vitali Klitchko.

Une démarcation rapide au sein de l'opposition est la clé vers une amélioration relative de la situation en Ukraine. Les radicaux doivent être isolés et soumis à une pression de tous les côtés, et pas uniquement par Ianoukovitch et les structures officielles. Cela ne serait possible que si l'Occident changeait sa politique.

L’opinion de l’auteur ne coïncide pas forcément avec la position de la rédaction

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