La narco-mafia dans les écoles d'Ekaterinbourg

© RIA Novosti . Pavel LisitsinLa narco-mafia dans les écoles d'Ekaterinbourg
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Les vacances d'été sont terminées, les enfants retournent à l'école, temple de la connaissance pour certains, un endroit où il y a davantage de drogues chaque année pour d'autres.

Les vacances d'été sont terminées, les enfants retournent à l'école, temple de la connaissance pour certains, un endroit où il y a davantage de drogues chaque année pour d'autres. Nourris par des films et des reportages TV, les écoliers avides de plaisirs interdits et d'argent facile puisent "l'expérience" de l'écran de télévision et créent dans les écoles des réseaux de trafic de drogues – et cela a l'air même plus terrible que chez les adultes.

Le correspondant spécial de RIA Novosti Dmitri Vinogradov a tenté de découvrir à Ekaterinbourg comment fonctionne le trafic de drogues dans les écoles.

Jouer à la narco-mafia

Un adolescent portant un sweet à capuche se tient devant l'école, le visage caché sous une casquette. De toute évidence, il attend quelqu'un. En effet, quelques minutes plus tard, un autre adolescent, marchant à la façon des rappeurs américains au cinéma, s'approche de lui.

En tendant leurs mains pour se saluer, les collégiens échangent discrètement de l'argent contre des sachets. Dans les secondes qui suivent, ils sont appréhendés par des agents du service de contrôle des stupéfiants et de la fondation "Une ville sans drogues" d'Evgueni Roïzman. Les adolescents qui jouaient les durs peu avant se retrouvent face contre terre et regardent autour d'eux d'un air confus.

Comme le montrera plus tard l'expertise, dans les sachets se trouvent ce qu'on appelle du spice, un cannabinoïde synthétique JWH à base de plantes. Avant, les collégiens fumaient des cigarettes dans la cour, mais le tabac n'est plus à la mode. C'est bien plus cool d'ajouter du JWH dans les cigarettes. Bien que cela revienne plus cher et que ce soit bien plus dangereux pour l'organisme.

"Le développement du narco-trafic dans les écoles est un problème qui pourrait devenir central dans les prochaines années, compte tenu de l'épidémie de narcomanie qui a frappé le pays, estime le créateur et le sponsor de la fondation d'Oural "Une ville sans drogues", Evgueni Roïzman. Les collégiens s'accoutument à la drogue dès l'enfance, lorsque leur organisme et leur psyché sont largement plus réceptifs à cette contagion." Selon le chef du service toxicologique de la région de Sverdlovsk, Oleg Zabrodine, durant l'année scolaire 2011-2012, 160 300 collégiens et lycéens ont passé un test médical dans la région de Sverdlosvk. Des traces de consommation de drogues ont été découvertes auprès de 700 personnes. 5,6% des parents d'élèves de la région de Sverdlovsk ont refusé de se soumettre au dépistage de drogues.

Comment Kristina a troqué le sport et la musique contre l'héroïne et un "crocodile"

Anna a 31 ans. C'est une belle femme avec une coupe de cheveux à la mode. Sa fille Kristina, à 15 ans, marche sur les pas de sa mère, athlète et chanteuse. Mais Kristina est également toxicomane depuis deux ans, passée des drogues douces à l'héroïne et à la désomorphine, surnommée "Crocodile".

"Kristina a toujours fait du karaté, du sambo et de la musique. Elle fait partie du corps d'estrade d'Ekaterinbourg, explique Anna, vantant les mérites de sa fille. Avant, elle partait souvent en tournée, en Bulgarie, en Espagne, etc., et elle a fait le tour du pays. Le corps s'apprête à participer à l'Eurovision junior."

Il y a un an, la mère a commencé à remarquer des changements de comportement chez sa fille: elle dort beaucoup, perd du poids et boit beaucoup d'eau. Ensuite, des objets ont commencé à disparaître de la maison, même des collants de sa mère. Des bijoux en or ont disparu. Sous la pression de sa mère, Kristina a reconnu qu'elle fumait de la marijuana synthétique. Mais ni les menaces, ni les avertissements, ni les visites chez les médecins n'ont permis de faire renoncer la jeune fille à son nouveau "loisir".

"Elle a volé un portable. Elle a volé un fer à cheveux à quelqu'un. Je lui ai demandé: pourquoi tu n'as pas pris le tien? Mais elle a besoin du sien pour être belle", ironise amèrement Anna.

"Qu'est-ce qui lui manquait?", s'interroge sa mère. Elle ne semblait pas faire partie de ceux qui restaient sans rien faire. "On l'a laissée aller quelque part", reconnaît Anna.

Anna travaille et étudie (elle vise un second diplôme) sans arrêt. Le mari d'Anna n'est pas le père biologique de Kristina et s'occupe plutôt de sa sœur cadette. Laissée à son propre sort, Kristina est tombée sous l'influence de mauvaises fréquentations – des bad boys du quartier et de l'école. Rapidement les drogues ont représenté pour elle plus d'intérêt que tout le reste.

"Tout a commencé par des gin-tonic et des cigarettes, mais la jeune fille a rapidement voulu quelque chose de plus", constate sa mère. Kristina a commencé à consommer des spices, puis des tropicamides (gouttes pour les yeux) et la plus terrible des drogues, le crocodile (désomorphine, un dérivé de la codéine de fabrication artisanale), que les jeunes s'injectent dans les veines.

Kristina a commencé à avoir des problèmes dans le corps d'estrade. Elle a abandonné la musique, et a même volé quelque chose au superviseur et d'autres filles.

Actuellement, la jeune fille suit une cure dans l'un des centres de la fondation "Une ville sans drogues". Ses parents construisent une maison dans un autre quartier d'Ekaterinbourg afin qu'elle ne revienne pas dans le même environnement. La jeune fille fait également l'objet d'une enquête sur le vol d'un téléphone portable – Kristina a vendu à la sauvette un modèle haut de gamme de Nokia pour acheter de la drogue.

"Plus de la moitié des élèves consomment des drogues dans notre lycée, a déclaré à RIA Novosti Kristina. Au moins des amphets, de l'herbe et des spices. Et les gars qui n'en consomment pas sont pris pour des attardés. Ils n'ont aucun ami."

Une autre collégienne est en cure dans un centre de désintoxication d'Une ville sans drogues. Ainsi que cinq autres jeunes toxicomanes. Tous ont été plus ou moins impliqués dans le trafic de drogues. Leur nombre met en évidence le fait qu'il ne s'agit pas de cas isolés, mais d'une tendance.

La nouvelle Route de la soie

Selon les experts, les cannabinoïdes synthétiques arrivent en Russie principalement de Chine, où ils sont fabriqués par des laboratoires clandestins. Les spices arrivent sur le territoire russe en provenance de l'Extrême-Orient avec des marchandises industrielles qui passent la frontière grâce aux "navettes". De là, les cannabinoïdes se répandent à travers le pays.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

En août, les services antidrogues de Vladivostok ont interpellé un lycéen qui tentait d'envoyer à différentes adresses en Russie sept colis avec des drogues synthétiques pour un poids total de presque 1 kg, valant près de 1 million de roubles (environ 25.000 euros).

Récemment, un grand réseau de trafiquants de drogues de Saint-Pétersbourg spécialisé dans l'acheminement de drogues dans les écoles, a été également démantelé. Dans le cadre d'une opération spéciale, les forces de l'ordre ont procédé à la perquisition simultanée de 14 appartements dans quatre quartiers différents de la ville – 2,5 kg d'amphétamines ont été saisis.

Les destinataires étaient des dealers relativement importants. Ils mélangent le produit avec une base organique et revendent à des distributeurs moins importants.

Le lycéen Roustan fait partie des jeunes qui suivent une cure dans les centres de désintoxication d'Evgueni Roïzman. Il a déjà 16 ans, et pour cette raison, il risque une peine pénale pour trafic de drogues. Actuellement, son affaire est examinée et Roustam se présentera devant le tribunal cet automne, mais les policiers lui ont déjà promis cinq ans de prison.

Il a expliqué à RIA Novosti le schéma de fonctionnement de la "narco-mafia" dans les écoles. Les dealers comme Roustam, qui vendent des drogues au détail, les achètent par internet, chose très simple aujourd'hui. Ils ne connaissent ni le nom, ni la localisation du vendeur.

300% de retour sur investissement

Ce schéma complique le travail des services de contrôle des stupéfiants, reconnaît l'un des agents du service dans une interview accordée à RIA Novosti. Même s'ils mettent la main sur quelqu'un comme Roustam et que celui-ci accepte de coopérer, il ne pourra rien dire de plus que le numéro ICQ de son fournisseur.

La difficulté de la lutte contre la drogue dans les écoles réside dans l'impossibilité d'y intégrer des agents du service antidrogue ou du FSB qui peuvent se faire passer pour des toxicomanes en achetant des stupéfiants aux dealers adultes, mais les collégiens n'en vendent qu'aux adolescents, a expliqué un agent du service fédéral de contrôle des stupéfiants (FSKN) qui a souhaité garder l'anonymat.

Il existe un autre sérieux obstacle – la responsabilité pénale à partir de 16 ans. Les jeunes "narcomafiosos" en sont parfaitement conscients. "L'un d'eux nous a dit ouvertement qu'il dealerait jusqu'à l'âge de 16 ans et arrêterait ensuite, explique l'agent. Il faut bien commencer par quelque chose."

Après avoir acheté une certaine quantité de drogue, Roustam la revendait à ses amis et camarades de classe. La formule est simple: 10 grammes de spice valent en gros 3.000 roubles (environ 75 euros). Au détail, un gramme vaut 1.200 roubles (environ 30 euros). Bénéfice – 300%, ce même profit pour lequel un capitaliste ne reculerait devant aucun crime (Karl Marx). "Certains font exprès d'impliquer des jeunes de familles aisées pour faire du chantage et ainsi de suite", explique Oleg Zabrodine.

De l'argent qui n'est pas "de poche"

En plein accord avec les théories de Marx, la narco-mafia doit se disputer les marchés d'écoulement et commettre des crimes pour les conserver. Même si les choses n'en viennent pas encore aux coups de feu. Mais des bagarres ont déjà eu lieu.

Par exemple, dans une école, le collégien Matveï, dont le "narco-schéma" avait déjà englobé tout le lycée, avait fait appel à son ami Alexeï pour l'aider à écouler la marchandise. Mais à un certain moment, Alexeï a compris qu'il était bien plus rentable d'acheter lui-même auprès des vendeurs en gros pour revendre la drogue au consommateur final. Les collégiens se sont battus très violemment. Matveï a eu le dessus sur Alexeï et lui a interdit de dealer.

Dans une autre école d'Ekaterinbourg, pour régler un litige entre concurrents, un jeune dealer a eu recours aux "grands frères du quartier", qui ont "coincé" le concurrent. Toutefois, l'affaire n'en est pas venue aux mains, car ce dernier a vite compris. Après avoir payé une "pénalité" de 50.000 roubles, soit environ 1.250 euros (et ce, dans une région où le salaire moyen est de 15.000 roubles, soit moins de 400 euros), il a reçu le droit de dormir sur ses deux oreilles, mais il lui a été interdit de vendre des stupéfiants à l'école.

Le trafic de drogues permet aux écoliers de régler le problème de l'argent de poche. Sans permis de conduire, pour 30-50.000 roubles (750-1250 euros) ils achètent des Lada pour se promener dans le quartier et impressionner les autres jeunes.

Un jour, le trafiquant Mikhaïl a acheté avec ses copains une Lada. La fête n'a pas duré, car la gendarmerie locale a voulu savoir qui étaient ces Schumachers en herbe qui sillonnaient les rues de la ville. Les jeunes ont fui en abandonnant le véhicule. Il s'est avéré que la voiture n'était même pas enregistrée à leur nom. Le propriétaire a reconnu qu'il avait vendu sa voiture aux collégiens sans même avoir demandé à voir leurs papiers d'identité.

La mère d'un autre dealer a senti que quelque chose ne tournait pas rond lorsqu'en faisant la lessive, elle a commencé à trouver dans les jeans de son fils des sommes d'argent équivalentes à son salaire mensuel, et dans sa chambre des iPhones et baladeurs MP3 qui ne lui appartenaient certainement pas. Elle a rempli un sac plastique d'iPhones et d'iPad pour les présenter au commissariat de police.

A l'école on trouve de tout

Le marketing agressif est une autre arme des jeunes "businessmen". On connaît des cas où des lycéens obligent des jeunes à goûter à la drogue littéralement par la force, en espérant qu'ils deviendront des clients permanents.

Où les collégiens trouvent de l'argent pour acheter de la drogue? "Je pouvais vendre un appareil électronique. Ou demander de l'argent aux parents sous prétexte d'avoir besoin d'acheter des cahiers", reconnaît un toxicomane de 15 ans surnommé Zodiac, en raison de sa passion pour les graffitis.

Mais on ne peut pas demander beaucoup d'argent aux parents, ils pourraient se douter de quelque chose. Il faut alors voler ou prendre aux autres adolescents de son quartier des gadgets, des téléphones, de l'or, des boucles d'oreille, des chaînes.

Zodiac affirme qu'on trouve tout ce qu'on veut à l'école – des amphétamines, des spices, du haschisch et du cannabis. Selon lui, les élèves se droguent même pendant les cours. "J'ai déjà fumé en cours. Le prof sortait de la salle et je m'allumais un bang, ça prenait une quinzaine de secondes. Ensuite la bouteille passait par la fenêtre ou à la poubelle", raconte Zodiac.

Mais cela ne pouvait pas durer – en commençant par un "trip" par semaine, il est devenu dépendant est s'est mis à fumer quatre-cinq fois par jour. Ensuite, comme beaucoup de toxicomanes, il a compris que le meilleur moyen de payer sa dose était d'en vendre.

Plus tard, la mère d'un de ses "clients" a amené son fils à la fondation "Une ville sans drogues". Ce dernier a "balancé" Zodiac aux "stups".

Etant mineur, le collégien a pu éviter la sanction pénale, et il se trouve actuellement en cure de désintoxication. Mais il reconnaît qu'il n'est pas sûr de pouvoir renoncer à la drogue. Son rêve est d'entrer à l'école culinaire pour devenir cuisinier. "Je ne veux pas revoir mes anciennes connaissances, sinon tout recommencera comme avant. Mais j'ai aussi peur de déménager dans une autre ville, car les drogues sont partout aujourd'hui."

 

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