Les femmes, les réseaux sociaux et l'avis des autres

© Flickr / Perfecto InsectoLes femmes, les réseaux sociaux et l'avis des autres
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Je pense que le manque de motivation me poursuivra, moi et mes amies, jusqu'à ce que chacune de nous ferme sa page Facebook et écrive au rouge à lèvres sur le miroir de la salle de bains: "Peu importe ce que les autres pensent et font aujourd'hui. Je ferai ce que j'ai moi-même envie de faire".

Je pense que le manque de motivation me poursuivra, moi et mes amies, jusqu'à ce que chacune de nous ferme sa page Facebook et écrive au rouge à lèvres sur le miroir de la salle de bains: "Peu importe ce que les autres pensent et font aujourd'hui. Je ferai ce que j'ai moi-même envie de faire".

Je n'ai pas vu Cyril depuis sept ans. A l'époque, il était designer informatique à Ekaterinbourg et j'étais étudiante en deuxième année. Aujourd'hui, il a créé sa propre société et se rend dans la Silicon Valley comme je rends visite à ma grand-mère en Ukraine - c'est un fin connaisseur de la cuisine moléculaire comme des hautes technologies et il est réalisateur et écrivain. Bien sûr en sept ans, j'ai, moi aussi, réalisé beaucoup de choses mais en disant au revoir à Cyril je me sentais comme le rocher dans le poème de Lermontov: "Enfoui dans ses pensées, il pleure doucement dans la solitude".

Nous avons presque le même âge et nous avions le même intervalle de temps pour nous lancer. Mais les résultats de son travail sont visibles et palpables alors que les miens sont plus que douteux. J'ai commencé à énumérer les raisons pour lesquelles je n'ai pas ouvert ma propre société, n'ai pas acheté de maison en Californie et n'ai pas rendu célèbre ma ville natale dans tout le pays. J'ai commencé à me comparer à mes amies et j'en ai déduit que les hommes de mon âge avaient largement mieux réussi que les femmes. J'ai conscience qu'il est trop facile de faire porter le chapeau au sexe faible - mais jugez par vous-mêmes.

Anna travaille en tant qu'enseignante dans la meilleure université du pays pour 8 000 roubles par mois (environ 200 euros). Marina est diplômée de la British Higher School of Design, qui coûte une fortune, et passe ses journées à la maison. Olga est chef de service dans une grande société de marketing et se plaint tout le temps de ne pas pouvoir comprendre pourquoi, d'année en année, elle va travailler.

Toutes sont mécontentes mais n'ont pas suffisamment de détermination et de motivation pour changer quelque chose. Toutes ont beaucoup d'idées, de rêves et de projets mais aucune ne serait prête à faire ce qu'elle voudrait le plus dans la vie. Anna ne pratique pas la science, Marina n'est pas devenue directrice artistique, Olga n'a pas ouvert sa propre société. Parmi toutes mes connaissances féminines, seulement deux sont épanouies dans leur activité: la première écrit de merveilleux livres, la seconde joue au théâtre. Et tous ceux qui ont lancé leur propre affaire sont des hommes.

Et ce n'est pas que l'homme soit supérieur à la femme en termes d'initiative et de détermination. Les femmes dépensent seulement plus souvent que les hommes leur force et énergie à analyser l'avis des autres.

J'ai essayé de convaincre Anna d'abandonner sa vie minable d'enseignante et de trouver un travail correct mais pour elle, il est primordial que son nom soit associé à l'Université d'Etat de Moscou (MGU). Marina pourrait devenir directrice artistique dans n'importe quelle boîte de design mais elle craint que son mari et sa mère lui en veuillent d'accorder moins de temps à la famille. Olga a suffisamment d'ambitions et de connaissances pour lancer sa propre société mais elle a peur de quitter son travail actuel dans une compagnie prestigieuse pour devenir inconnue. Et que diront les collègues? Et les recruteurs de LinkedIn? Je pense que les hommes agissent également avec plus d'audace et, pour cette raison, sont plus indépendants dans leurs actes. D'où une meilleure réussite.

On sait que le champ de vision des femmes est plus large que celui des hommes. Et savez-vous comment elles l'utilisent? En scannant la réaction des gens qui les entourent face à leur aspect et à leurs actes. Est-ce que l'homme à droite me regarde? Est-ce que mon sac à main est mieux que celui de cette femme, à ma gauche? Peut-on mettre des chaussures à talons avec des chaussettes blanches, comme le fait la femme devant moi?

Parfois, il semble que toute l'énergie des femmes passe à traiter les avis et les appréciations de leur entourage. Comment une femme de mon milieu est-elle censée s'habiller? Quelle voiture conduire? Quoi lire? Où travailler? Qu'est-ce que les hommes pensent de moi? Dois-je augmenter la taille de ma poitrine ou non? Combien d'amis ont mis un "j'aime" à mon statut disant comme il est difficile de vivre seule? Pourquoi Pierre n'a pas cliqué sur "j'aime"? Est-ce qu'il me regarde vraiment ou est-ce mon imagination?

Ces préoccupations empêchent également une femme de devenir chef. Il est primordial pour elle d'être "gentille" aux yeux de tout le monde. Or "chef" et "gentille" ne collent pas ensemble. Je comprends que le maintien des contacts sociaux et l'attention accordée à l'opinion de l'entourage sont inscrits dans le code génétique de la femme mais, si cette programmation génétique empêche l'évolution, il faut la corriger.

Avec l'apparition des réseaux sociaux, la dépendance des femmes à l'opinion publique est devenue encore plus marquée. Ils nous lient autant que la morale patriarcale ou l'Eglise. Car les réseaux sociaux sont d'immenses machines de recueil et de traitement d'avis, d'évaluations – bref, un outil pratique pour se comparer aux autres.

Si je vois que mes amis passent souvent au bar Kamtchatka – il faut donc que j'y aille aussi. Paul écoute Scissor Sisters - il faut que je télécharge leur album. Des amis sont allés voir le film Shame. Comment se fait-il que je ne l'ai pas encore vu? Sans qu'on le remarque, les réseaux sociaux forment une culture de consommation mais également les valeurs, les convictions et les attitudes habituelles de notre milieu. Où travailler, quels amis avoir, où est le bien et le mal – toutes les réponses se trouvent dans notre liste d'amis.

Pierre, Paul et Jacques sont partis vivre à l'étranger. Et moi? Peut-être devrais-je aussi le faire? Et voilà que j'ai déjà oublié mes propres objectifs en les remplaçant pas les ambitions de mon groupe de référence - et je vais tranquillement me coucher.

Ce groupe de référence est toujours dans nos esprits. On s'y tourne comme un ordinateur vers le presse-papiers quand on rêve que nos objectifs se réalisent. Mais en général, ils ne le seront jamais. Il est impossible à la fois d'avancer rapidement et de regarder sur les côtés.

Je pense que le manque de motivation me poursuivra, moi et mes amies, jusqu'à ce que chacune de nous ferme sa page Facebook et écrive au rouge à lèvres sur le miroir de la salle de bains: "Peu importe ce que les autres pensent et font aujourd'hui. Je ferai ce que j'ai moi-même envie de faire".

D'ailleurs, Cyril est rarement "en ligne". Il n'a simplement pas le temps pour ça.

L’opinion de l’auteur ne coïncide pas forcément avec la position de la rédaction


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