Années 1920 en Russie : La mode malgré tout

© RIA Novosti . Sverdlov / Accéder à la base multimédiaTableau de Gueorgui Riajski Déléguée (1927)
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La mode en Union soviétique intéresse de nombreux chercheurs et historiens du costume.

La mode en Union soviétique intéresse de nombreux chercheurs et historiens du costume.

Elle suscite également l'intérêt des femmes ordinaires, qui conservent les patrons des magazines de mode soviétiques. Mais si, dans la seconde moitié du XXème siècle, on pouvait parler de nouveaux styles et tendances de mode, cette nuance n’existait pas dans les années postrévolutionnaires 1910-1920 : les gens portaient, en général, les vêtements qu'ils pouvaient se permettre. Les femmes faisaient pourtant attention à leur apparence et connaissaient plusieurs astuces pour contribuer à leur bonne tenue.

Les symboles de l'époque et le cap sur l'Occident

La révolution d'octobre, qui a marqué un tournant dans l'histoire de la Russie, pouvait difficilement ne pas se refléter sur la mode : elle a radicalement changé après 1917.

Les tenues luxueuses des représentantes de la classe noble et de la bourgeoisie n'avaient pas leur place dans l'Etat soviétique. Chaque citoyen du pays était "constructeur" de la nouvelle société et n'était pas censé penser à la mode : la principale tâche de l'industrie était la conception de costumes pratiques pour les ouvriers qui, si possible, devaient convenir aux femmes comme aux hommes.

Après la révolution, la Première guerre mondiale et la guerre civile, la population masculine du pays s'était réduite et les femmes ont du apprendre des métiers autrefois exercés par les hommes – elles intégraient la marine, la police, l'armée et réalisaient même des travaux physiques.

Tout cela a eu un impact sur le style vestimentaire : les jeunes femmes portaient alors des tenues unisexe et empruntaient à la garde-robe des hommes les chaussures, les coiffes, les chemises et les pantalons. Les vestes en cuir de la Première guerre mondiale, conçues pour les aviateurs, sont devenues à la mode et étaient généralement assorties de casquettes en cuir. Les vareuses ceinturées étaient tout aussi populaires. Les hommes les portaient avec un pantalon et les femmes avec des jupes droites en feutre. Les robes en toile, les chemisiers en calicot et les vestes en tissu étaient également prisées. Quelle que soit la tenue, les femmes portaient foulard rouge – un autre symbole de l'époque – noué derrière la nuque et non pas sous le menton. La mode postrévolutionnaire soulignait l'égalité des sexes et contribuait à la construction de ce nouveau monde égalitaire.

La mode soviétique des années 1920 est apparue alors que le pays manquait de tissu. Pour cette raison, l'industrie de l’habillement avait pour tâche de créer une mode unique pour tous.

"Pour remplacer tous les types de robes, on a fixé un modèle commun de chemise russe pour les hommes et les femmes. On a conçu le style de la jupe de la même façon. Toute finition, pli, ornement ou manchette étaient proscrits", écrivait le responsable d'une fabrique de vêtement de Moscou.

Les autorités de la Russie postrévolutionnaire avaient fermement décidé de se débarrasser de l’héritage historique et des éléments se rapportant à la Russie impériale, y compris en ce qui concerne le style vestimentaire. Les travailleurs des usines de textile ont travaillé plusieurs années sur le costume universel du citoyen soviétique. Les fabricants de vêtements devaient créer des costumes pour le prolétariat, qui ne devaient pas être trop étroits et adaptés pour le travail. Etant donné que les designers n'avaient pas d'autres restrictions, ils ont pu laisser libre cours à leur imagination et ont lancé le constructivisme. Les nouveaux modèles se distinguaient par une coupe géométrique et des dessins identiques sur le tissu. Ce style complètement nouveau a suscité l’intérêt des citoyens ordinaires mais pas des femmes fortunées, qui préféraient rester fidèles à la mode prérévolutionnaire. D'où le paradoxe de la mode de l'époque : pour créer les tenues des travailleurs, les couturiers ont expérimenté et testé de nouveaux tissus et dessins, alors qu'ils conservaient l'ancien style dépourvu de toute nouveauté pour l'élite.

Au début des années 1920, l'influence du style occidental s’est fait clairement sentir sur la mode soviétique. En particulier, cette tendance était due à l'abandon général du corset et aux nouveautés du couturier parisien Paul Poiret. La robe-chemise taille basse, qui ne souligne pas les formes et cache la taille, les hanches et la poitrine, était devenue très populaire en URSS.

Ce style a formé une vraie tendance pendant toute la décennie et seule la longueur de la jupe changeait, remontant progressivement au-dessus du genou.

En 1921, après l'autorisation du commerce privé dans le cadre de la Nouvelle politique économique, les journaux et vêtements occidentaux sont arrivés dans le pays : les Moscovites ont immédiatement adopté les tendances de la mode mondiale. Dans le milieu bourgeois, les femmes ont recommencé de porter des colliers, des cols en fourrure et des chapeaux melon. Les hommes suivaient également la mode avec des chapeaux en feutre, des bottes, des costumes en cover-coat et les fracs. Cependant, cette nouvelle tendance ne concernait qu'un cercle restreint de personnes aisées, tandis que la majorité de la population s'habillait autrement : des longues jupes droites avec des chaussures à sangles pour les femmes - et des chemises boutonnées sur le côté, des pantalons en toile et des chaussures en toile pour les hommes.

A l'époque de la Nouvelle politique économique, la population voulait s'amuser et profiter de la vie – et cela se sentait. Les femmes étaient à l'affût de toutes les nouveautés, comme les tenues de soirées parisiennes. L'image de la femme-vamp en fourrure avec des diamants, populaire à l'étranger, a été adoptée par les actrices soviétiques qui brillaient à l'écran avec des parures et des bijoux aussi éblouissants qu’inaccessibles pour le prolétariat. Les artisans soviétiques essayaient d'imiter les vêtements importés d'autres pays mais ces tenues conçues sur commande et sur mesure n'étaient également accessibles qu’à une partie très réduite de la population.

Le constructivisme et le style parisien ont disparu à la fin des années 1920 - plus précisément en 1928 - lorsque la Nouvelle politique économique a été suspendue. Les autorités n'avaient plus l'intention de tolérer l'ingérence de la mode occidentale dans les rues soviétiques et ont tout fait pour que les citoyens du pays se ressemblent. Les usines fabriquaient des manteaux grossiers et des robes de coupe simple, tandis que les derniers adeptes du constructivisme étaient très critiqués. Alexandre Perelitsyne et Vera Mounitsyna, qui étaient à la tête du conseil artistique d'une association de l'industrie du coton, ont fait partie des derniers couturiers qui ont tenté, dans les années 1920, d'apporter du nouveau au style et à la coupe des vêtements.

Les premiers journaux de mode

D'après les archives, 204 ateliers de couture spécialisés dans les vêtements pour hommes œuvraient dans la capitale russe en 1923, contre seulement 32 pour les femmes. Pratiquement tous se trouvaient à cette époque dans le centre dans les rues Petrovka, Pokrovka, Tverskaïa et Malaïa Bronnaïa.

A la même époque sont apparus les premiers magazines de mode soviétiques. Atelier, par exemple, fondé par le premier "Atelier de mode" soviétique, se fixait pour objectif de "se consacrer corps et âme à découvrir ce qui est artistiquement magnifique et mérite le plus d'attention dans la culture matérielle". Les articles du magazine étaient préparés par les artistes et les auteurs les plus connus et au fil des pages, hormis les croquis et les articles, on y trouvait des photos d'actrices célèbres portant des tenues fabriquées, malgré la situation économique, en matériaux de grande qualité. Le magazine proposait par exemple une esquisse de la robe-bouton de Vera Moukhina - la tenue doit son nom à la jupe drapée en tissu blanc qui fait penser aux pétales de fleur. La tenue était complétée par un large chapeau rouge et une canne.

Le magazine avait beaucoup de succès auprès des lecteurs et était édité à deux mille exemplaires. Son second numéro n'a pourtant jamais vu le jour. Son contenu a été critiqué par les journalistes d'une autre publication, "Chveïnik" (Habillement) et en 1925, Atelier de mode a subi d'importants changements. Après la nomination d'une nouvelle direction, son personnel a commencé à fabriquer des tenues pour les célébrités et les femmes de dirigeants.

Le premier numéro d'un autre magazine des années 1920, "L'art de s'habiller", est paru en 1928 et s’ouvrait par un article d'Anatoli Lounatcharski intitulé "Est-il opportun pour un ouvrier de réfléchir à l'art de d'habiller ?". Parmi les rubriques du magazine, on trouvait des conseils pratiques, l'histoire du costume et les bizarreries de la mode. Les lecteurs étaient invités à participer aux débats sur le costume de l'ouvrier soviétique, où l’on soulignait l'importance de créer sa propre mode au lieu d'imiter Paris. Dans le magazine "Couturière au foyer", paru également en 1928, les croquis et dessins de vêtements étaient publiés accompagnés d'explications. D'autres magazines sont également apparus durant cette décennie mais la majorité d'entre eux a rapidement fermé. D'autres étaient édités pendant plusieurs années et étaient très populaires auprès des lecteurs.

Nadejda Lamanova, déjà reconnue à l'époque impériale, faisait partie des couturiers les plus populaires, dont les croquis étaient publiés dans ces magazines pendant les premières années de l’ère soviétique. Après avoir créé des tenues pour la famille impériale et la classe aisée, Lamanova a été forcée de s'adapter aux nouvelles conditions après 1917 – non seulement suite au changement de "cap" vestimentaire mais également à cause du manque de tissus. La couturière a réussi à tourner les difficultés à son avantage : c'est grâce à elle que l'élite artistique s'est mise, par exemple, à s'intéresser à la lirette. Sous le nouveau gouvernement, en continuant à travailler avec les femmes des dirigeants, elle s'est aussi penchée sur la production de vêtements pour les masses. En raison du délabrement de l'après-guerre, il fallait fabriquer des vêtements en matériaux grossiers et bon marché, ce qui demandait aux couturiers énormément de patience et d'ingéniosité. A la demande de Lamanova, le ministre de la Culture Alexandre Loutchanarski a autorisé la création de l'Atelier du costume moderne. Elle était également directrice artistique du premier Atelier de mode soviétique, où elle travaillait avec d'autres couturières connues et a participé à la préparation du magazine Atelier. Les tenues de Lamanova étaient souvent présentées par la muse de Vladimir Maïakovski, Lili Brik.

La couturière Alexandra Exter a également collaboré avec Atelier. Ses travaux se distinguaient des autres et étaient faciles à reconnaître : elle créait des costumes en se laissant guider par les principes du cubisme. Parmi ses travaux les plus célèbres, on compte notamment ce vêtement complexe de plusieurs matériaux faisant penser à un kimono. Les esquisses d'Exter ont été publiées sur la couverture d'Atelier et à l'intérieur, on pouvait lire son article "Sur le vêtement constructif". "En choisissant la forme du vêtement, il faut tenir compte des proportions naturelles de la silhouette et grâce à une structure correcte du vêtement on peut arriver à le faire correspondre aux formes et à la taille du corps. Le vêtement de travail doit assurer la liberté de mouvement et pour cette raison, il ne peut être moulant. Le costume doit être pratique pour travailler, c'est l'une des règles à respecter", écrivait la couturière. Pour Atelier, Exter a conçu des uniformes de travail et des costumes à la mode avec des variations sur le thème historique.

Elle a ensuite émigré vers la France dans les années 1920.

Varvara Karinskaïa était directrice de l'école de couture ARS. Comme Lamanova, c'est Lountcharski qui l'a aidée à ouvrir son atelier. Plus tard, elle a organisé un salon, Haute Couture, pour l'élite moscovite. Il accueillait le milieu aisé et les femmes de dirigeants, qui appréciaient également le salon de Karinskaïa, où l’on pouvait acheter des bijoux. Varvara Karinskaïa a créé une nouvelle technique de broderie et de collage, qui donnait au tissu un air de peinture.

En 1928, elle quitte l'Union soviétique pour s’installer en Allemagne, puis à New York, où elle possédait l'atelier le plus populaire de la ville. Le talent de Karinskaïa a été également récompensé par l'Oscar des meilleurs costumes pour le film Jeanne d'Arc (1948) avec Ingrid Bergman dans le rôle principal.

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