Réfugiés syriens : "Nous avons tout perdu"

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Des milliers de Syriens, otages du conflit qui secoue leur pays, se sont réfugiés là où ils se sentent en sécurité: au Liban. Certains soutiennent toujours l'opposition syrienne, d’autres s'opposent au régime de Damas parce que leurs proches ont été victimes de représailles par l'armée gouvernementale. L'envoyé spécial de RIA Novosti s'est rendu dans les villes libanaises situées à la frontière syrienne pour rencontrer ceux qui ont fui leur pays à cause la guerre civile.

Des milliers de Syriens, otages du conflit qui secoue leur pays, se sont réfugiés là où ils se sentent en sécurité: au Liban. Certains soutiennent toujours l'opposition syrienne, d’autres s'opposent au régime de Damas parce que leurs proches ont été victimes de représailles par l'armée gouvernementale. L'envoyé spécial de RIA Novosti s'est rendu dans les villes libanaises situées à la frontière syrienne pour rencontrer ceux qui ont fui leur pays à cause la guerre civile.

A la recherche des réfugié

Après un entretien avec les réfugiés, on se rend compte d’une chose : leurs histoires sont toutes semblables. La majorité a participé aux manifestations pacifiques qui ont commencé en Syrie au plus fort du printemps arabe, il y a plus d'un an. Ils ont ensuite été victimes de représailles s’étendant même à leurs familles. Bon gré mal gré, certains ont pris les armes et d’autres sont restés "révolutionnaires dans l'âme".

Les conditions de vie des réfugiés syriens au Liban sont loin des normes européennes: les autorités locales n'ont rien préparé pour les accueillir et il n'y a, par définition, pas de camps de réfugiés installés à l'avance - aussi un journaliste a-t-il du mal à les trouver.

Nous roulons dans une vieille Mercedes aux phares brisés et sans aucun revêtement intérieur. Pour fermer la portière, il faut tirer le cordage commandant la poignée.

Nous venons de quitter la ville de Chtaura, à une dizaine de kilomètres de la frontière syrienne.

Nous essayons d'assister les Syriens dans la mesure du possible mais il n'y a aucun moyen de les loger tous", déclare notre guide, Ossama Kadyr, habitant de Chtaura. Ossama fait le tour des familles syriennes, leur offre son aide, laisse son numéro de téléphone pour que les réfugiés puissent le contacter. Il est journaliste et s'occupe des réfugiés après le travail.

Les autorités libanaises ne s'intéressent pas aux problèmes des réfugiés syriens et ne leur offrent aucune aide, aussi cette tâche est-elle assumée par les habitants et le clergé. D'après leurs estimations, le Liban héberge déjà près de 35 000 réfugiés syriens.

"Vous êtes des journalistes russes ?", s'enquiert Ossama. En obtenant une réponse affirmative, il ne paraît pas surpris mais nous avertit que la majorité des réfugiés a des dispositions antirusses car ils sont persuadés que Moscou soutient le président syrien en exercice, Bachar al-Assad, ainsi que son armée.

En apprenant que nous sommes Russes, les réfugiés nous insultent et refusent de nous parler. Toutefois, le sage mullah tente de les calmer et les exhorte à ne pas mêler la politique aux valeurs humaines.

"C'est une bonne chose que les Russes cherchent au moins à connaître la situation réelle en Syrie", déclare le mullah cheikh Qassem al-Jahrah.

Nous partons visiter les familles de réfugiés qui se sont déjà installés à Bar Elias.

Au moins, nous continuons à vivre

Nous avons devant nous des cabanes : des enfants sortent en courant, nu-pied et vêtus de haillons crasseux. Ils sont suivis d'une jeune femme, leur mère Anaam, âgée de 33 ans. Elle est originaire d'Idlib, au nord-ouest de la Syrie.

"Nous sommes ici depuis peu de temps. En Syrie, mon mari vendait des légumes. Après son opération cardiaque, il n'est plus en mesure de travailler. Nous survivons grâce à l'aide des Libanais locaux, déclare-t-elle. Les conditions de vie sont terribles mais au moins nous continuons à vivre." Anaam et son mari ont sept enfants, âgés de 3 à 10 ans.

"Les enfants ne vont plus à l'école et on n'a pas toujours d'électricité ni d'eau. Nous vivons sans pain et sans nourriture. En fait, on n'a même pas de vêtements", déclare-t-elle. Anaam s'estime tout de même heureuse : au moins, sa famille n'est pas obligée de payer de loyer, alors que certains voisins paient leur séjour dans des baraquements.

"Révolutionnaires dans l'âme"

La nuit tombe et un muezzin convoque les fidèles à la prière du soir. Au lieu de nous rendre à la mosquée, nous suivons Ossama qui frappe à la porte d'une maison voisine. Un homme nous accueille. C'est Amjad Hamed, 31 ans, père de trois enfants. Sa famille vient de Zabadani, dans le sud-ouest de la Syrie. Ils sont au Liban depuis trois semaines.

Leurs conditions de vie sont meilleures : ils disposent de deux grandes pièces et l'une d'elles est même chauffée par un poêle métallique. Ils louent cet appartement. Autrefois, en temps de paix, Amjad Hamed gagnait bien sa vie en Syrie, aujourd’hui il dépense toutes ses économies pour "subsister".

"J'ai été obligé de fuir la Syrie par les montagnes. Je ne pouvais pas quitter le pays légalement car j'avais participé aux manifestations. La traversée a duré 13 heures : tout est truffé de postes de contrôle. Mes parents ont amené mes enfants ici. Zabadani est à 30 minutes de route de la frontière libanaise", explique Amjad.

Nous lui demandons s'il a participé à la guerre et s'il est prêt à prendre les armes. Il nous répond qu'il est un "révolutionnaire dans l'âme". "Je ne soutiens pas le gouvernement pour tout ce qu'il nous a fait mais j'ai ma famille et je rejette la violence", déclare-t-il.

En apprenant que nous venons de Russie, Amjad ne nous insulte pas, à la différence des autres réfugiés, mais décide de nous expliquer, au contraire, sa vision de la situation réelle en Syrie.

"Assad a ouvert le feu même sur ceux qui l'aimaient et le soutenaient. Aussi se sont-ils détournés de lui, déclare Amjad. Son armée ne nous considère pas comme des êtres humains. Ils s'imaginent que s'ils ont des armes, ils sont des dieux… Assad est un Alaouite mais l'armée gouvernementale a massacré 80 Alaouites ! La Syrie tout entière, toutes ses régions, s'opposent au régime."

Aujourd'hui, les détachements armés de l'opposition se concentrent dans la seconde plus grande ville syrienne, Alep, ainsi que dans les banlieues de Damas. Zabadani en fait justement partie.

"Des immeubles et des civils sont pris pour cible. Ainsi, si les fenêtres d'un immeuble sont allumées le soir, on les bombarde avec des obus, témoigne notre interlocuteur. Mon immeuble a été détruit. Nous habitions au deuxième et cinq obus nous ont touchés. Nous sommes partis en abandonnant pratiquement tous nos biens."

Ceux qui sont prêts à faire la guerre

Le lendemain, nous nous rendons dans les régions montagneuses du Liban. La petite ville d'Arsal compte 4 000 habitants et se trouve à deux ou trois heures de route au nord-est de Beyrouth. Nous sommes reçus par le préfet de la ville, Ali Mohammad al-Hojeir. Il explique qu'on recense déjà près 50 000 réfugiés au Liban et qu'ils sont tous arrivés par les montagnes.

"Nous tentons de les aider, certains distribuent de la nourriture, d'autres donnent des vêtements, déclare le préfet. Nous avons essayé de les loger tous dans des maisons : il n'y pas de camp de réfugiés ici. Certains offrent des matériaux de construction et les réfugiés se construisent eux-mêmes un toit. Les gens les assistent dans la mesure du possible."

Nous nous dirigeons vers une maison sans étage, voisine de celle du préfet. Nassira Zouhouri, réfugiée de 47 ans originaire de la petite ville d'Al-Qusayr - une banlieue de Homs en Syrie occidentale -, déclare avoir perdu son mari dans la confrontation entre le gouvernement et l'opposition armée. "Nos maisons ont été détruites, nos proches ont été tués, nous n'avons ni fuel ni gaz. Après avoir été bombardés, nous avons été forcés de fuir. Nous sommes des adversaires du régime et si on nous distribuait des armes, nous serions prêts à entrer en guerre contre l'armée d'Assad", s'exclame-t-elle, les yeux grands ouverts et l'index belliqueux pointé vers le ciel.

Leur cœur saigne pour leur pays

Au milieu d'un terrain vague, au pied d'une colline, se dresse un petit bâtiment en béton mousse. En nous approchant, nous entendons des voix d'enfants qui retentissent dans la cour. Des enfants de différents âges sautent sur deux grands pneus de poids lourd - certains portant des bonnets, d'autres vont nu-tête, arborant des vêtements trop grands ou trop petits pour eux, d’autreы enfin sont nu-pied et ont la figure mal lavée. Nous abordons une femme sortie dehors par pure curiosité. Ce petit hameau abrite 15 familles nombreuses. L'âge des enfants varie entre deux mois et 17 ans.

"Nous avons fui le pays à travers les montagnes, mon mari a été blessé, il se remet d'une opération. Nous avons tout perdu en Syrie", explique la femme. Nous entrons dans son logement. C'est une petite pièce où un homme enveloppé dans plusieurs couvertures légères gît sur un matelas peu épais jeté par terre. Il porte sur la tête le foulard traditionnel local, rouge et blanc.

"Mon époux a été blessé au bras, explique la femme. Nous avons un problème pour nous procurer des médicaments : ils sont trop chers. Pour le moment, nous sommes ici et on ignore ce qui se passera ensuite."

La femme déclare qu’un terrain vague a été mis à disposition des réfugiés par un habitant. D'autres ont apporté des matériaux de construction et ont aidé les réfugiés à construire leur maison. Tout le monde n'a pas l'électricité ou un four métallique, et les hommes vont chercher l'eau et la nourriture en ville.

A la tombée de la nuit, les hommes arrivent en moto dans la cour. Ils ont travaillé pendant toute la journée pour pouvoir nourrir leur famille. Le plus âgé est un vieillard avec une moustache et une barbe grise. L'homme s'appelle Abuyad, il a quatre enfants et est originaire d'Homs. Abuyad nous montre des photos. "Ce sont les seuls souvenirs qui nous restent de notre maison, de nos parents et de nos proches. La maison n'existe plus, tout a été détruit", déclare-t-il.

Certaines photos ont été prises il y a deux ans tout au plus. Abuyad y semble en bonne santé, c'est un homme robuste, aux cheveux bruns et souriant. On a l'impression qu'il a plusieurs dizaines d'années de moins que le vieillard chenu que nous avons devant nous.

Aujourd'hui, les yeux d'Abuyad reflètent une profonde tristesse : pour lui-même, pour sa famille, pour ses proches disparus. Pour son pays tout entier.

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