Afghanistan : un match de foot sous les fusils d'assaut

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25 ans après le retrait des troupes soviétiques d'Afghanistan, les "chouravi" (Russes) et les moujahiddine – leurs anciens ennemis – se sont affrontés sur un terrain de football jeudi 18 avril.

25 ans après le retrait des troupes soviétiques d'Afghanistan, les "chouravi" (Russes) et les moujahiddine – leurs anciens ennemis – se sont affrontés sur un terrain de football jeudi 18 avril.

Il s’agissait de la première rencontre des Matchs de l'Amitié, appelés à "réconcilier" les anciens ennemis et à souligner la nature pacifique des relations entre les deux pays.

"Combien de Russes as-tu butés?"

Parmi les membres les plus marquants de l'équipe des vétérans afghans: l'ex-sénateur Arif Sarwari, que tout le monde appelle "ingénieur ". Les gens instruits sont respectés ici et on ajoute souvent leur niveau d'études et leur métier à leur nom.

Mais il n'est pas un simple ingénieur. Dans les années 1980, il a combattu coude à coude avec Ahmad Shah Massoud, surnommé le "Lion du Pandjchir". Après le retrait des troupes soviétiques, quand Massoud est devenu ministre afghan de la Défense dans les années 1990, l'ingénieur Arif Sarwari était sénateur et chef de sa sécurité.

Son nom est devenu mondialement connu après que, le 9 septembre 2001, il a laissé deux kamikazes talibans déguisés en journalistes rencontrer Massoud. Les terroristes avaient dissimulé des explosifs dans leurs équipements et le garde du corps de Massoud a quitté son cabinet quelques minutes avant l'explosion. Certains continuent à penser que Sarwari était impliqué dans l'assassinat de son patron.

Aujourd'hui cet homme est devant nous en maillot de football. Il est arrivé dans une Lexus noire, en compagnie de gardes du corps.

© Sputnik . Dmitri VinogradovArif Sarwari était, à une époque, l’un des hommes de Massoud et combattait contre les Russes
Arif Sarwari était, à une époque, l’un des hommes de Massoud et combattait contre les Russes - Sputnik Afrique
Arif Sarwari était, à une époque, l’un des hommes de Massoud et combattait contre les Russes

Arif Sarwari n'aime pas se souvenir de la situation en Afghanistan avant le retrait des troupes soviétiques. Il préfère raconter comment la situation a empiré après leur départ.

"Bien sûr qu’il fallait tirer, reconnaît-il. C'est l'époque qui voulait ça."

Un affrontement très violent s'est produit un jour: les troupes soviétiques avaient mené une attaque dans la vallée du Pandjchir pour récupérer des prisonniers. Après ce combat, les moujahiddine ont dû battre en retraite, exécutant au préalable les prisonniers soviétiques.

"Combien de soldats soviétiques avez-vous tués?" Arif Sarwari rit et ne répond pas. "Est-ce que ça vaut vraiment la peine de remuer le passé? C'était il y a si longtemps! A présent, les Russes sont nos amis", s'indigne l'interprête.

Les Russes sont de retour

"C’est comme si j'étais revenu chez moi, avoue l'ancien soldat soviétique Baïgabyl Maïkapotov.

On a commencé à construire des maisons, mais ça reste le chaos sur les routes – ils continuent à rouler comme avant et l’état des voies semble encore pire qu'avant."

Baïgabyl Maïkapotov revient pour la première fois en Afghanistan depuis qu’il y a servi dans les années 1980. Il rêve de se rendre dans le palais d'Amin que les forces spéciales soviétiques ont pris d'assaut – sa compagnie était stationnée à cet endroit. Mais le palais n'est pas accessible et désormais ce sont ses "homologues" qui sont de service ici – le palais a été transformé en base turque. "Nous étions au même endroit", montre-t-il en pointant le côté droit du palais. "Mon cœur bat à cent à l'heure" - le vétéran est ému.

Kaboul donne l'impression d'une ville asiatique ordinaire, bruyante et poussiéreuse. Mais les postes de contrôle à tous les coins de rue, avec leurs militaires en uniformes divers et variés (des troupes de l'Otan et afghanes) rappellent la situation politique difficile.

Point dominant de l'architecture locale: les grands murs de béton surmontés de fils barbelés, qui entourent les innombrables bases militaires très imposantes. Les hélicoptères américains et les dirigeables militaires équipés de caméras sillonnent en permanence le ciel afghan. Ces dernières sont capables de détecter le moindre mouvement suspect. Toutefois, les attentats sont très fréquents – une mine a explosé près de l'ambassade de Russie lors d'un déminage maladroit pendant notre séjour.

© RIA Novosti . Dmitri VinogradovValeri Vochtchevoz était chef de bataillon en Afghanistan entre 1986 et 1988
Valeri Vochtchevoz était chef de bataillon en Afghanistan entre 1986 et 1988 - Sputnik Afrique
Valeri Vochtchevoz était chef de bataillon en Afghanistan entre 1986 et 1988

Notre hôtel se trouve en centre-ville près des bâtiments modernes du "Kaboul City Center" – sérieusement endommagé en 2009 suite à un attentat.

Un grand mur avec du fil barbelé entoure également le Cedar Hotel, où est logée l'équipe de Russie. A l'entrée, un véritable bunker avec des sacs de sable et des plaques de béton avec des meurtrières joue le rôle de réception. Des hommes armés de mitrailleuses fouillent chaque véhicule, même ceux des footballeurs russes. Dans ses brochures, l'hôtel garantit la sécurité.

Le chef de bataillon et ses ennemis

L’idée d'organiser un "match de réconciliation" entre les vétérans soviétiques afghans et les anciens moujahiddine, à savoir l'équipe de la Fédération afghane de football, est au fond assez étrange. De nombreux joueurs ont combattu contre les Soviétiques dans les années 1980. Cette initiative a été soutenue par le Conseil de la Fédération de Russie (chambre haute du parlement) et l'Assemblée générale afghane. Ensuite, le Comité olympique afghan a réussi à obtenir de la FIFA un statut officiel de match de vétérans pour cette rencontre.

"On pense que cette diplomatie populaire est très importante pour les relations amicales entre nos pays", déclare Viatcheslav Nekrassov, secrétaire du groupe du Conseil de la Fédération pour la coopération avec le parlement afghan.

"Il faut dire que l'attitude des Afghans a changé après le départ des troupes soviétiques: nous nous sommes transformés d'ennemis concrets en notion historique et abstraite. D'autant que l'URSS est partie mais a laissé des usines, des écoles et des quartiers qu'elle avait construits", ajoute-t-il.

Une guerre civile a éclaté en Afghanistan immédiatement après le départ des Soviétiques.

© Photo Archives personnelles de Valeri VochtchevozLe chef de bataillon Valeri Vochtchevoz et le commandant Soufi Païanda, contre lequel il combattait dans les années 1980
Le chef de bataillon Valeri Vochtchevoz et le commandant Soufi Païanda, contre lequel il combattait dans les années 1980 - Sputnik Afrique
Le chef de bataillon Valeri Vochtchevoz et le commandant Soufi Païanda, contre lequel il combattait dans les années 1980

Les alliés antisoviétiques se sont brouillés. En un sens, les forces soviétiques étaient garantes d'une certaine stabilité dans le pays.

C'est pourquoi on peut rencontrer aujourd'hui en Afghanistan des vétérans qui ont combattu contre l'URSS mais se souviennent des Russes avec nostalgie et affection.

"Bien sûr, dans les années 1980, nous voyions les Russes comme nos ennemis, reconnaît le joueur de l'équipe afghane Omon Barak Zaï, ancien chef adjoint de la sécurité présidentielle afghane. Mais après leur départ la situation a empiré – la guerre a éclaté en Afghanistan."

Ainsi Omon Barak Zaï considère aujourd'hui les anciens soldats soviétiques russes comme des invités de marque et des adversaires intéressants sur un terrain de football.

Parmi les joueurs russes les plus marquants: le chef de bataillon Valeri Vochtchevoz, commandant du 1er bataillon du 177ème régiment de la 108ème division. Il est arrivé en Afghanistan en 1986 comme capitaine. "Militaire de carrière, je souhaitais participer à une véritable guerre", explique-t-il. Il a demandé sa mutation en Afghanistan il y a 30 ans.

Son bataillon était déployé sur le fameux col de Salang, par lequel passaient les convois soviétiques – l'unité de Valeri Vochtchevoz avait pour mission de les protéger.

M.Vochtchevoz a retrouvé le chef local Soufi Païanda, qui avait commandé les bandes opposées aux troupes soviétiques pendant deux ans. Les anciens ennemis se sont symboliquement réconciliés et depuis cette époque, à chaque fois que Valeri Vochtchevoz est de passage en Afghanistan il rend visite à Soufi Païanda dans les montagnes.

© Sputnik . Dmitri VinogradovLes vétérans soviétiques ont joué sur un stade inachevé de Kaboul
Les vétérans soviétiques ont joué sur un stade inachevé de Kaboul - Sputnik Afrique
Les vétérans soviétiques ont joué sur un stade inachevé de Kaboul

"Un jour il m'a dit: "Tu es un bon gars, dommage qu'on ne se soit pas rencontré il y a 30 ans".

Je lui ai répondu: "Au contraire, c'est mieux qu'on ne se soit pas rencontré, sinon l'un d'entre nous ne serait plus là aujourd'hui", raconte Valeri Vochtchevoz. Selon lui, les moujahiddine comprennent très bien son humour militaire.

Des supporters barbus

En dépit du surréalisme de l'idée – d’anciens moujahiddine affrontant des vétérans soviétiques – les joueurs ont pris le match très au sérieux. Ils se sont entraînés deux fois par jour et ont scruté l'adversaire pour évaluer son professionnalisme.

La rencontre s’est déroulée sur un vrai stade, récemment construit selon les normes de la FIFA. Les murs du bureau sont décorés avec les photos des responsables de la FIFA venus pour son inauguration.

Ce "stade olympique" appartient à la Fédération afghane de football. Les buts sont ornés d'anneaux olympiques mais immédiatement derrière les "cages" se détachent flaques d'eau, déchets et débris. Le revêtement est très correct. Le stade est protégé par des gardes armés.

Les tribunes sont remplies de supporters: on y voit des femmes en hidjab avec des drapeaux de la Fédération afghane de football et des vieillards en vêtements traditionnels qui rappellent des robes d'hôpital. Tout le monde est d'humeur festive. Toute attaque réussie est saluée par des cris et des applaudissements.

© RIA Novosti . Dmitri VinogradovLes supporters afghans au stade olympique de Kaboul
Les supporters afghans au stade olympique de Kaboul - Sputnik Afrique
Les supporters afghans au stade olympique de Kaboul

Redevenir jeune

La première mi-temps se termine sur un score vierge, même si l'initiative est revenue aux Afghans. Pendant la pause l'entraîneur russe Viktor Kolobaev a donné ses instructions aux joueurs: "Plus de déplacements. Deux-trois touches et on passe le ballon. Fatigué – lève la main pour être remplacé".

Les joueurs âgés ne peuvent pas courir comme les jeunes et c'est pourquoi les règles, chez les vétérans, autorisent un nombre illimité de remplacements. En revanche, tous les volontaires peuvent aller sur le terrain.

"Nos joueurs jouent bien en équipe mais il fait très chaud ici. Les Afghans ont une bonne équipe, ils contrôlent le ballon", reconnaît l'entraîneur russe.

 

Au début de la deuxième mi-temps les Russes sont en infériorité numérique: le gardien a frappé par erreur le ballon hors de la surface de réparation et a écopé d’un carton rouge. Les vétérans soviétiques restent à dix et l'initiative semble définitivement passer du côté afghan. Mais Alexandre Kroupski marque un but presque par hasard. Malgré la pression des Afghans, l'équipe russe parvient à garder l'avantage et le match se termine avec le score de 1-0.

Les tribunes accueillent la fin de la rencontre avec des applaudissements et les joueurs se serrent la main.

Alexandre Kroupski, l'auteur de l'unique but de la rencontre, n'arrive pas à retenir ses larmes.

© RIA Novosti . Dmitri VinogradovUn fanion commémoratif du match entre les vétérans soviétiques et les anciens moujahids
Un fanion commémoratif du match entre les vétérans soviétiques et les anciens moujahids - Sputnik Afrique
Un fanion commémoratif du match entre les vétérans soviétiques et les anciens moujahids

Il a servi en tant qu'observateur-régleur à la base Teply Stan dans la banlieue de Kaboul et à l’automne 1980 il a participé au match de l'équipe de la 40ème Armée soviétique face à l'Afghanistan. Les Russes, dont beaucoup étaient des footballeurs professionnels, s'étaient imposés à l'époque avec le score de 4-3.

En mai 1981, Kroupski a quitté l'Afghanistan. "Je ne pensais pas que j'y reviendrais un jour. Je ne savais pas qu'on pouvait aussi facilement venir ici. C'est comme si j'étais revenu dans ma jeunesse. Après tout, nous avons vécu nos jeunes années ici, sur le sol afghan", dit-il.

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