Ossétie du Sud : 5 ans sans Géorgie mais avec les Géorgiens

© Sputnik . Dmitri VinogradovOssétie du Sud : 5 ans sans Géorgie mais avec les Géorgiens
Ossétie du Sud : 5 ans sans Géorgie mais avec les Géorgiens - Sputnik Afrique
S'abonner
Cinq journées du mois d'août 2008 ont constitué le point culminant de l'hostilité de longue date entre l'Ossétie du Sud et la Géorgie et également le point de non retour, après lequel le retour de la république au sein de l'Etat géorgien est devenu définitivement impossible.

Cinq journées du mois d'août 2008 ont constitué le point culminant de l'hostilité de longue date entre l'Ossétie du Sud et la Géorgie et également le point de non retour, après lequel le retour de la république au sein de l'Etat géorgien est devenu définitivement impossible.

Une enfance militaire

Des écoliers en camouflage militaires marchent au pas en pleine chaleur. Ce sont des élèves de l'école de cadets sud-ossète à Tskhinvali qui sont la future élite de l'armée locale et, par conséquent, d'un pays reconnu nulle part dans le monde et qui vit depuis des années dans des conditions d'une ligne de front.

© Sputnik . Dmitri VinogradovLes élèves de l'école de cadets de Tskhinval
Les élèves de l'école de cadets de Tskhinval - Sputnik Afrique
Les élèves de l'école de cadets de Tskhinval

 

Un tiers des cadets sont des filles.

"La Géorgie est un autre pays, et l'Ossétie du Sud est un pays indépendant. Et nous avons été en guerre", sans l'ombre d'un doute, déclare la lycéenne Amanda Kokoeva.

Elle en est persuadée. Il y a cinq ans, en sentant que la guerre était proche, ses parents l'avait envoyé chez les proches à Vladikavkaz. Ses parents, son père militaire et sa mère chirurgienne, étaient restés. Amanda est convaincue que ce sont les Géorgiens qui ont commencé la guerre : "Ils ont commencé à bombarder la nuit, lorsque tout le monde dormait".

Selon Amanda, les Géorgiens voulaient débarrasser la ville des casques bleus et des Ossètes. Il a été expliqué aux cadets à l'école que les Géorgiens étaient très cruels – ils n'épargnaient ni les vieillards, ni les enfants, ni même les femmes enceintes.

"J'avais très peur pour mes parents", se souvient la jeune fille qui avait 11 ans à l'époque. C'est la volonté de protéger sa patrie qui a prédéterminé son choix – comme sa mère, elle a décidé de devenir chirurgien militaire et a intégré l'école de cadets qui se situe rue Dmitri Medvedev. Les études sont difficiles : hormis l'histoire du peuple ossète, l'algèbre et la chimie, les cadets étudient les bases du métier militaire, ils suivent une formation théorique et pratique, et bien d'autres.

La jeune fille a déjà décidé qu'elle intégrera l'Académie de médecine à Saint-Pétersbourg – beaucoup d'Ossètes partent faire leurs études en Russie, de même que les Géorgiens locaux cherchent à se rendre à Tbilissi voire en Europe.

Amanda Kokoeva, âgée de 16 ans, n'a pas de connaissances sur la Géorgie.

© Sputnik . Dmitri VinogradovLes élèves de l'école de cadets de Tskhinval
Les élèves de l'école de cadets de Tskhinval - Sputnik Afrique
Les élèves de l'école de cadets de Tskhinval

"Je ne supporte pas le géorgien"

L'aversion des Ossètes pour les Géorgiens remonte à des siècles en arrière et se reconnaît pratiquement dès la maternelle. Une bombe géorgienne a atterri le 8 août dans cette maternelle de Zvezdotchka.

© RIA Novosti . Mikhaïl FomitchevTskhinval
Tskhinval - Sputnik Afrique
Tskhinval

"Quand les bombes tombent, on ressent une peur animale. On cherche à se persuader : si elle tombe sur nous, ce n'est pas grave, on mourra sur le coup sans souffrir. Mais l'organisme n'entend pas, on a peur littéralement au niveau des cellules", se souvient de ses sensations la directrice de la maternelle Iïa Alborova. Elle ajoute : "Si quelqu'un vous dit que ce n'est pas effrayant, c'est faux. C'est très effrayant. Je ne souhaiterais cela à personne. Ni même aux Géorgiens. Et je ne dirais pas que nous sommes des héros".

Elle est convaincue qu'en réalité, les Géorgiens ne voulaient pas bombarder les enfants et visaient le bâtiment d'archives républicaines à côté, où sont conservés tous les documents de la république.

Heureusement, il n'y avait pas d'enfants à la maternelle au moment des bombardements– la majorité d'entre eux étaient rentrés à la mais ont été envoyés en Ossétie du Nord. Tandis que le personnel était présent pour préparer la maternelle pour le début de l'année scolaire.

Le mari d'Iïa Alborova, qui a perdu trois doigts durant la précédente guerre contre les Géorgiens en 1992, comme tous les hommes ossètes, s'est immédiatement inscrit dans la milice. Alborova a passé une journée à la cave pour se mettre à l'abri de la guerre. Le 9 août, les voisins l'ont amenée à Vladikavkaz.

© RIA Novosti . Dmitri VinogradovUn monument en Ossétie du Sud en l'honneur des policiers tombés en 1992
Un monument en Ossétie du Sud en l'honneur des policiers tombés en 1992 - Sputnik Afrique
Un monument en Ossétie du Sud en l'honneur des policiers tombés en 1992

"La guerre était terminée mais je ne pouvais pas revenir ici. L'idée de revenir m'effrayait terriblement", se souvient-elle. Le chef du département de l'éducation a menacé de renvoyer Alborova si elle ne revenait pas pour préparer la maternelle à accueillir les enfants. "Mais je ne supporte toujours pas le géorgien", reconnaît-elle.

Aujourd'hui, cinq ans plus tard, des travaux ont été faits à la maternelle. Les enfants s'amusent sur le nouveau manège et dans la piscine. "Aujourd'hui, ce sont les garçons qui nagent, les filles nageront demain – nous avons une mentalité caucasienne ici", explique la directrice. La maternelle compte 140 enfants – ossètes, mais aussi russes, ouzbeks et kirghizes, car pendant les années de reconstruction, des travailleurs d'Asie centrale sont venus en Ossétie du Sud.

Mais il n'y a pas d'enfants géorgiens. Le père d'un garçon est géorgien. On lui parle en ossète. "Nous ne séparons pas les enfants en Géorgiens et en Ossètes, nous aimons tout le monde, affirme Alborova. Ce n'est pas de sa faute si son nom a la terminaison typiquement géorgienne "chvili".

Après la guerre, raconte Alborova, la natalité a augmenté à Tskhinval – les familles ont souvent deux-trois enfants. Après la reconnaissance de l'Ossétie du Sud par la Russie, les gens ont acquis une certaine foi dans l'avenir et un sentiment de sécurité – des bases militaires russes ont été installées dans la république et des garde-frontières russes protègent ses frontières, conformément aux accords bilatéraux. Aucune nouvelle guerre n'est à prévoir.

Les Géorgiens malhonnêtes

On se demande alors, si la population locale est si unanime dans sa réticence à vivre au sein de la Géorgie, pourquoi la communauté internationale ne reconnaît pas l'indépendance de l'Ossétie du Sud? Certes, la république rappelle davantage une région rurale quelque part en Russie plutôt qu'un Etat indépendant. Mais après tout, il existe des Etats encore plus petits dans le monde, aussi bien en termes de nombre d'habitants que de taille. Et tout aussi ruraux.

En cinq ans, hormis la Russie, l'Ossétie du Sud a été reconnue uniquement par le Nicaragua, le Venezuela, ainsi que deux Etats insulaires dans le Pacifique – le Nauru et le Tuvalu.

Le président Leonid Tibilov n'est pas inquiet à ce sujet. "Le plus important pour nous est que l'Ossétie du Sud soit reconnue par la Russie", a-t-il déclaré lors d'une conférence de presse à Tskhinval.

Tibilov explique les résultats modestes sur la scène internationale par les "obstructions de la Géorgie" – selon lui, les diplomates géorgiens envoient des lettres officielles aux gouvernements auprès desquels l'Ossétie du Sud demande à être reconnue. La Géorgie estime que ce territoire lui appartient.

"C'est malhonnête de la part de la Géorgie, bien qu'on ne puisse pas parler d'honnêteté de ce pays", se plaint Tibilov.

Quoi qu'il en soit, le président ossète ne voit aucune perspective de retour de l'Ossétie du Sud au sein de son voisin au sud – après tout "les larmes des mères, des sœurs et des frères qui ont perdu leurs proches pendant la guerre n'ont pas encore séché".

Tibilov qualifie les actes de la Géorgie en août 2008 d'"attaque déloyale" – le président rappelle qu'à la veille du 8 août 2008 s'étaient tenues les négociations entre les deux parties. "Nous avions essayé de convaincre la Géorgie qu'il existait plusieurs solutions pour régler le conflit, dit-il. Nous avons convenu d'organiser des négociations de grande envergure avec la participation de la Russie et de l'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe dans la soirée du 8 août."

Le président s'inquiète bien plus au sujet des perspectives de la réunification du peuple sud-ossète avec l'Ossétie du Nord. "Nous sommes un seul peuple. Nous sommes séparés aujourd'hui, or cela ne s'était encore jamais produit, souligne Tibilov. A terme, le peuple ossète doit être réuni, il faut aller vers cet objectif."

"Pour que les Géorgiens ne puissent pas revenir"

Personne à Tskhinval ne veut entendre parler du retour de la république au sein de la Géorgie. Les principaux combats ont eu lieu ici, la ville a été bombardée et envahie par l'armée géorgienne. Après la guerre, il ne restait pratiquement plus de Géorgiens ici – uniquement des Géorgiens qui avaient combattu aux côtés des Ossètes ou avaient quitté la ville pendant le conflit et préfèrent de pas rappeler leur origine ethnique.

© RIA NovostiTskhinval
Tskhinval - Sputnik Afrique
Tskhinval



"Nous ne pouvons pas réintégrer la Géorgie, car la population ne le souhaite pas, et tout homme politique qui l'évoquerait mettrait un terme à sa carrière politique", disent les habitants qui exigent la reconnaissance de la république par la communauté internationale.

"Vous ne pouvez pas vous appuyer sur l'avis de ceux qui sont restés ici, car la moitié de la population a été chassée, répond le gouvernement géorgien. Que faire avec les réfugiés qui vivent aujourd'hui à travers la Géorgie?"

En effet, lorsqu'on quitte Tskhinval, la situation semble plus équivoque.

Immédiatement après Tskhinval se trouve la commune Pris, un ancien village géorgien aujourd'hui complètement brûlé. Un paysage sinistre s'étend sur plusieurs kilomètres – des murs sans toit, des fenêtres sans vitres, des magasins et des bâtiments administratifs rasés.

© Sputnik . Dmitri VinogradovLes villages géorgiens en Ossétie du Sud brûlés après la guerre
Les villages géorgiens en Ossétie du Sud brûlés après la guerre - Sputnik Afrique
Les villages géorgiens en Ossétie du Sud brûlés après la guerre

Les Ossètes ont brûlé Pris "pour que les Géorgiens ne puissent pas revenir".

"Que pouvait-on faire d'autre lorsque la population géorgienne applaudissait l'offensive de l'armée géorgienne? Et pas un seul salopard n'a appelé à Tskhinvali pour avertir!", exulte Kosta Poukhaev, premier adjoint du chef de l'administration du président sud-ossète.

Toutefois, il existait une autre alternative pour les maisons géorgiennes. Sur certains bâtiments, on voit les inscriptions "Occupé". Des Ossètes rusés avaient "occupé" les maisons qui leur avaient plu pour s'y installer un jour.

© Sputnik . Dmitri VinogradovLes villages géorgiens en Ossétie du Sud brûlés après la guerre
Les villages géorgiens en Ossétie du Sud brûlés après la guerre - Sputnik Afrique
Les villages géorgiens en Ossétie du Sud brûlés après la guerre

Nous arrivons dans un autre village, Satskheneti (la terminaison "i" témoigne de l'origine géorgienne). Autrefois, le village comptait 40 maisons. Il ne reste plus que 3 maisons habitables. Un homme d'une apparence "brutale", Renat Kaboulov, est l'un des habitants. Il s'occupe aujourd'hui d'un élevage d'esturgeons.

Son affaire se développe rapidement et un jour, il espère que cela permettra de redonner au village sa prospérité d'antan. A la question de savoir où étaient passés les habitants, Kaboulov reconnaît : "on leur a demandé poliment".

L'histoire de l'hostilité entre la famille de Kaboulov et les Géorgiens ne date pas d'hier. Les premiers affrontements entre les Géorgiens et les Ossètes ont commencé en 1989. Le père de Renat, Kazbek, travaillait comme moniteur sportif à l'école. Une bonne préparation physique lui a été utile lorsqu'il a abandonné son métier pacifique pour former son propre groupe de résistance monté. "Les Géorgiens le haïssaient et rêvaient de lui mettre la main dessus", évoque avec de la fierté pour son père Renat Kaboulov.

"En revenant par les montagnes après une descente, le groupe de mon père est tombé dans une embuscade" explique Renat en montrant les environs avec sa main. Son cheval a été abattu et il a été fait prisonnier. Après quelques jours de torture, il est décédé. A la même période est mort le beau-père de Renat. Et il a perdu son frère pendant la guerre de 2008.

Selon diverses informations, près de 3 000 Géorgiens vivent actuellement en Ossétie du Sud (impossible de calculer leur nombre exact, car beaucoup sont enregistré en Ossétie du Sud mais vivent en Géorgie ou en Russie, tandis que d'autres habitants géorgiens de l'Ossétie du Sud n'ont pas la citoyenneté ossète et vivent avec des passeports géorgiens). Cela représente 4% sur les 72 000 habitants de la république. Fin 1980, la part de la population géorgienne était de 28,9% (selon le recensement de la population en URSS en 1989).

La frontière est passée par la famille

Plus loin vers l'est se trouve le district de Leningor (Alkhagori en géorgien). Les mœurs des gens y sont sensiblement différentes. Les habitants de ce district ne sont pas vraiment convaincus qu'ils ne veulent plus avoir affaire à la Géorgie. La raison est simple : plus de la moitié de la population est d'origine géorgienne. Jusqu'en 2008, la moitié du district était contrôlée par la Géorgie, et seulement après l'opération d'imposition de la paix, Leningor s'est définitivement retrouvé sous la juridiction de l'Ossétie du Sud. Et ce, sans un seul coup de feu.

Beaucoup d'habitants du district ont la citoyenneté géorgienne et sont réticents à y renoncer au profit de l'ossète. Sachant que leurs proches vivent à travers la Géorgie. Dans beaucoup de pays, les gens partent étudier ou travailler dans les capitales de leur pays. Leningor ne fait pas exception. Sauf qu'ici, ils considèrent Tbilissi comme leur capitale, et non Moscou.

Toutefois, les habitants profitent volontiers de leur position controversée. Ils préfèrent recevoir la retraite russe qui est supérieure d'une quarantaine d'euros par rapport à la géorgienne. Quant à ce qui est des hôpitaux, ils préfèrent se faire soigner en Géorgie – selon eux, Saakachvili a spécialement construit plusieurs sites sociaux près de la frontière pour créer la "vitrine" d'une Géorgie en pleine croissance.

De plus, les locaux font activement du commerce frontalier – ils achètent les produits moins chers en Géorgie pour les amener en Ossétie. C'est la principale source de revenus pour beaucoup. Par ailleurs, tout risque de changer le 18 septembre, lorsque les autorités ossètes interdiront de franchir la frontière en véhicule pour empêcher la contrebande. La frontière non reconnue par la Géorgie pourra être franchie uniquement à pied ou avec un charriot.

Cela risque de mettre une croix sur le commerce des habitants. De plus, il leur sera difficile de rendre visite à leurs proches. On ignore également comment les personnes âgées ou malades qui voudront se faire soigner dans les hôpitaux géorgiens traverseront la frontière.

© Sputnik . Dmitri VinogradovUne famille osséto-géorgienne, Tamara Kozaeva et Valerian Khotsouachvili
Une famille osséto-géorgienne, Tamara Kozaeva et Valerian Khotsouachvili - Sputnik Afrique
Une famille osséto-géorgienne, Tamara Kozaeva et Valerian Khotsouachvili

Nous arrivons dans une famille d'enseignants locaux d'une école "géorgienne" (les écoles se différencient ici en fonction de la langue dans laquelle les cours sont dispensés). Il s'agit d'une famille osséto-géorgienne mixte, qui étaient nombreuses dans la république à l'époque soviétique. Tamara Kozaeva est ossète, 81 ans, elle enseigne les maths. Son mari, Valerian Khotsouachvili, est géorgien, 89 ans, ancien professeur d'histoire. Lorsque nous entrons, nous sommes accueillis par le traditionnel "gamarjoba" – dans cette famille, on parle géorgien.

"J'apprécie les Géorgiens, mes enfants sont des Géorgiens, dit Tamara Kozaeva. Et mon mari apprécie les Ossètes. Quand on a des scènes de ménage, ce n'est pas "ethnique", c'est plutôt pour décider qui doit faire le ménage ou la vaisselle."

Leurs filles vivent du côté géorgien avec les petits-enfants, à seulement 60 km de ce village. Tamara et Valerian ne les ont pas vu depuis des années : les petits-enfants sont nés à Leningor, mais ils ne peuvent pas leur rendre visite, car seuls les citoyens ossètes ou les détenteurs de "l'attestation bleue" peuvent franchir la frontière – il s'agit d'une attestation délivrée par Tskhinval aux habitants ayant un passeport géorgien.

© Sputnik . Dmitri VinogradovLa population géorgienne de l'Ossétie du Sud vit avec ce genre d'attestations
La population géorgienne de l'Ossétie du Sud vit avec ce genre d'attestations - Sputnik Afrique
La population géorgienne de l'Ossétie du Sud vit avec ce genre d'attestations

"Je ne veux pas partir d'ici, j'ai passé ma vie ici, je vieillirai et mourrai ici", dit Tamara Kozaeva. Leur jardin rempli de raisins et de clémentines s'embroussaille lentement en l'absence d'enfants et de petits-enfants.

Fil d’actu
0
Pour participer aux discussions, identifiez-vous ou créez-vous un compte
loader
Chat
Заголовок открываемого материала