Le sang se vend mieux que le sexe

© Photo Mikhail Kharlamov/ Marie Claire RussiaSvetlana Koltchik
Svetlana Koltchik - Sputnik Afrique
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Mais doit-on l’acheter? Quelques minutes à peine, après l’explosion meurtrière à l’aéroport de Moscou Domodedovo le 24 janvier dernier, une courte et terrifiante vidéo, d’un type s’étant trouvé à proximité avec son téléphone portable équipé de caméra, est apparue sur Twitter, puis postée sur YouTube.

Mais doit-on l’acheter? Quelques minutes à peine, après l’explosion meurtrière à l’aéroport de Moscou Domodedovo le 24 janvier dernier, une courte et terrifiante vidéo, d’un type s’étant trouvé à proximité avec son téléphone portable équipé de caméra, est apparue sur Twitter, puis postée sur YouTube.

Ceci a eu lieu bien avant qu’une quelconque vidéo officielle, couvrant l’attaque terroriste, ne soit disponible, de sorte le clip est devenu instantanément un hit et son auteur temporairement une célébrité. Nombreux utilisateurs de Facebook ont mis la vidéo sur leurs pages personnelles et les agences de presse internationales, telles Reuters, ont bombardé le type d’appels et de demandes d’interviews. Le nombre de personnes ayant visionné la vidéo sur YouTube a rapidement atteint plusieurs centaines de milliers.

Pourtant, même après avoir regardé et postée cette vidéo, beaucoup condamnèrent ce que cette personne a fait. De vives discussions sur l’éthique et sur la morale s’en sont suivies. Doit-on considérer ce type comme une personne courageuse, une sorte de héros des temps modernes ayant choisi de risquer sa vie pour l’amour de la Vérité Nue?

Ou n’est-il rien d’autre qu’un vain demandeur d’attention s'efforçant d'obtenir une popularité à la suite d’une tragédie ? A-t-il négligé les normes morales de base en choisissant de filmer la scène de l’horrible explosion plutôt que, disons, se précipiter pour aider les victimes ou du moins en évitant de poster ce truc choquant pour ne pas répandre la panique ? Après tout il n’était même pas un journaliste chargé de couvrir l’attaque…

Personnellement, je pense qu’il n’est ni l’un ni l’autre. Ce type et d’autres que le hasard a rendu témoins d’incidents sanglants et qui n’ont pas hésité pas à saisir ce qu’ils voyaient et le rendre public, sont simplement les représentants typiques de notre époque technologiquement câblée dans laquelle l’information est la principale religion. De nos jours, la plupart d’entre nous possèdent des gadgets, qu’il y a quelques années, seuls les journalistes utilisaient. Le prix à payer pour que nous soyons technologiquement à jour, est notre exposition permanente.

Paradoxalement, à l’Ere de l’Individualisme (une formule trouvée par Jean Twenge, professeur de psychologie, dont le récent livre, «L’épidémie de narcissisme », sur le culte de l’expression de soi, non-contrôlée et non-censurée par le biais des réseaux sociaux, est devenu instantanément un best seller) de telles choses comme la vie privée et l’espace privé sont en train de se dissiper rapidement. Et il n’y a pas de retour en arrière, j’en ai bien peur. Nous vivons dans une ère de journalistes autoproclamés (et, certes, narcissiques) et chacun d’entre nous peut devenir, à tout moment,  à la fois cible et caméraman. Il n’y a pas de lignes directrices ou de tabous sur la façon de se comporter dans ces situations à l’exception des valeurs morales et de l’éthique personnelle de chacun.

Ce qui me dérange beaucoup plus est l’éthique des journalistes professionnels. Je me souviens de la discussion que nous avions eue au cours de Questions Critiques de l’Ecole de journalisme de l’université de Columbia, le 13 septembre 2001, deux jours seulement après la plus sanglante attaque terroriste de l’histoire moderne. L’enjeu était la première page du jour du New York Times montrant une image profondément gênante d’un homme, tombant de l’une des tours en flammes du World Trade Center.

Nous avons débattu la question de savoir si l’un des plus grands journaux au monde avait publié une photo saisissante qui marquerait l’histoire ou s’il avait profité de la calamité pour vendre d’avantages de copies. Je me souviens que nous, jeunes journalistes en herbe, nous étions partagés. Alors que nous étions tous d’accord sur la qualité frappante de l’image, d’un point de vue humain ou plutôt humainement, beaucoup se sentaient d’une certaine manière manipulés. Comme si nous n’en avions pas eu assez : la couverture non-stop et plutôt cru semblait déjà abondamment redondante.
Je pense que nous, journalistes et encore plus, rédacteurs-preneurs de décisions, devrions avoir des règles directrices plus strictes sur ce que et sur quand on choisi ou pas publier. En tant que faiseurs d’opinion, nous devrions opérer selon un code de responsabilité civile plus précis que les gens ordinaires. Il y a une différence entre sensibiliser, informer et choquer dans le but de choquer.

Le 24 janvier, un photographe pigiste que je connais par un ami, s’est précipité pour couvrir l’explosion de Domodedovo en même temps que de nombreux autres journalistes. Dans une petite chapelle de l’aéroport, il a aperçu une femme d’âge moyen. Sa tête était penchée, ses épaules rentrées et son visage frappé par la douleur, elle faisait le deuil de son mari qui venait de mourir dans l’acte terroriste. Le photographe a choisi de la laisser seule même s’il avait pu vendre cette image parlante aux meilleures agences de presse immédiatement. Je respecte profondément sa décision.

Quelque fois prendre du recul est plus professionnel que de poursuivre le sensationnalisme. Même si la vérité est obsolète, il y a toujours un choix sur la façon de la présenter. Le sang se vend encore mieux que le sexe mais nous ne devrions pas en tirer profit, en tout cas pas toujours. Le lendemain de l’incident, l’un des sites d’actualités le plus visité de Russie, publiait une image frappante de la tête du terroriste présumé retrouvée à l’épicentre de l’explosion. Cela contribue-t-il vraiment à l’enquête sur l’attaque ? Ou bien cela ajoute juste à l’anxiété du public ?

En ce qui concerne l’utilisateur de Tweeter qui avait posté la vidéo d’après-explosion, il a confessé par la suite ne pas être du tout content de s’être retrouver au centre de l’attention. Il espérait que sa célébrité ou, plutôt, son infamie allait très vite se faner, a-t-il écrit dans son blog.

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* Svetlana Koltchik, 33 ans, est la rédactrice en chef adjointe de l'édition russe du magazine Marie Claire. Elle est diplômée de la faculté de journalisme de l'Université de Moscou et de l'Ecole de journalisme de l'Université de Columbia à New York. Elle a travaillé dans l'hebdomadaire russe Argumenty i Fakty à Moscou, le journal USA Today à Washington et a écrit pour RussiaProfile.org ainsi que pour les éditions russes de Vogue et de Forbes.

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