Discussion de femmes: L’Age de la Distraction

© Photo Mikhail Kharlamov/ Marie Claire RussiaSvetlana Koltchik
Svetlana Koltchik - Sputnik Afrique
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Sommes-nous en train de devenir des androïdes multitâches ? Certains d’entre nous le sont peut-être déjà.

Sommes-nous en train de devenir des androïdes multitâches ? Certains d’entre nous le sont peut-être déjà.

Récemment, j’ai dîné avec l’un de mes bons amis que je n’avais pas vu depuis longtemps. Il n’y avait que nous deux dans le restaurant et pourtant, il semblait que nous étions au moins cinq: mon ami, son i-phone, son Blackberry, mon smartphone et moi. Notre duo aurait pu remplacer une salle de presse complète : appels, emails et sms arrivaient non-stop. Alors que nous avions à répondre quelquefois, nous avons tout de même réussi à garder plus ou moins le fil de notre conversation. La soirée avançant, nous avons eu également une mise à jour sur le trafic et la neige à Moscou, sur les dernières nouvelles et sur les prévisions météo des jours suivants. Aucun d’entre nous ne semblait ennuyé par la constante distraction: nous étions tous les deux heureux d’avoir réussi à nous rencontrer en personne plutôt que par le biais des mails et des conversations Skype habituels.

J’ai un autre ami, un talentueux journaliste de la télévision dont les aptitudes étonnantes me paniquent dans la mesure où je commence à soupçonner que des extraterrestres lui ont un jour inséré, pendant son sommeil, une puce multitâche dans le cerveau. Lorsqu’il regarde un film, souvent dans une langue étrangère, deux de ses ordinateurs portables sont en général allumés avec de nombreuses fenêtres ouvertes. Mon ami est parfaitement capable de suivre le film, répondre à ses emails, bavarder en ligne, tweeter, faire des recherches sur le casting du film sur imdb.com, mettre à jour son statut Facebook et garder un œil sur le flux de nouvelles qui passe sur l’autre ordinateur, le tout plus ou moins en même temps. Il semble réussir à survoler tout cela.

Mais est-ce vraiment le cas ? Ou bien mon ami est-il le représentant typique de ce que certains experts ont appelé la «Génération de la Distraction» et simplement chroniquement incapable de se concentrer ?

Dans le nouveau livre, « I-Cerveau : Survivre l’altération technologique de l’esprit moderne » Gary Small, un des meilleurs neuroscientifiques américains, nous prévient que grâce à la présence 24h sur 24, 7 jours sur 7 de gadgets numériques dans notre vie, notre perception et nos habitudes de pensée sont en train de changer dramatiquement. Alors que la navigation multi-usages sur Internet pourrait stimuler la créativité, faire travailler la mémoire et aiguiser le traitement de l’information et les compétences de prise de décision rapide, elle affecte notre esprit critique, réduit radicalement la durée de notre attention et aussi nous rend socialement superficiels dans la vraie vie. Peu à peu, sans s’en rendre vraiment compte, nous pourrions avoir moins d’opinions et être moins capables de jugements profonds puisque nous aurons tendance à lire les nouvelles dans les sources filtrées du web plutôt que dans les journaux auxquels nous avions l’habitude d’être abonnés il y a quelques années. Les études suggèrent également que plus nous passons de temps parlant à un écran d’ordinateur, moins nous devenons alertes lorsque nous communiquons en personne.

Selon une étude de l’Université de Stanford, pour chaque heure passée en ligne, le temps que nous passons à sortir et rencontrer vraiment des gens se réduit de près de 30 minutes. Et lorsque nous interagissons face-à-face, nous pourrions échouer à capturer et à lire des gestes et micro-expressions subtils, exactement comme des androïdes super-intelligents qui sont doués pour parler un langage impersonnel et toujours avides d’information, mais qui ont un esprit superficiel. Enfin les neuroscientifiques de l’Université d’Oxford soulignent que la dépendance infligée par les réseaux sociaux sur le besoin d’attention et la gratification immédiate « infantilise le cerveau au stade des petits enfants ».

Une partie de tout cela m’est très familier. Même si les femmes sont des nées naturellement multitâches (faire la soupe, parler au téléphone avec une copine ; se maquiller et rechercher cette vidéo très sympa sur YouTube, le tout en même temps ? Facile !), plus l’ordinateur et les appareils hi-tech sont devenus indispensables à ma vie, moins je suis capable de me concentrer. J’ai bien peur d’avoir perdu l’habilité de lire avec attention ; je ne peux pas me rappeler la dernière fois que je suis restée à la maison avec un bon livre. J’arrive à le faire seulement quand je voyage: l’avion sans portable disponible est un environnement idéal pour se perdre dans un livre sans distraction. Je sais aussi que je ne suis pas la seule dans ce cas. Yekaterina Ignatova, une psychothérapeute qui travaille en ce moment sur un livre, m’a avoué ouvrir son email, Facebook et d’autres réseaux sociaux auxquels elle appartient toutes les 15 minutes lorsqu’elle écrit. « Avant Facebook, j’allais faire des fréquentes visites au frigo ou fumer une cigarette. » dit-elle. « C’est de la procrastination pure à laquelle nous sommes tous enclins parfois. Mais quand Facebook devient un substitut pour de vraies relations ou un moyen de se fuir soi-même, c’est un symptôme alarmant ».

Curieusement, il y a des études qui montrent que certain émoticons comme les visages souriants et d’autres expressions d’amour et d’affection virtuels stimulent les même parties du cerveau qu’un contact émotionnel en tête-à-tête. Je dois admettre que je les utilise beaucoup quand je discute en ligne, mais je n’échangerais jamais un vrai rendez-vous contre la discussion Skype la plus douce. En fait, je me souviens encore des temps où les garçons appelaient à la maison pour me demander de sortir avec eux: il n’y avait pas d’autre moyen de mettre la main sur une fille à cette époque-là. C’était il y a longtemps, je vivais encore avec mes parents, du coup les garçons devaient de présenter et dire quand ils rappelaient.

Appelez-moi vieux jeu, mais je suis un peu nostalgique de ces temps-là.

 

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* Svetlana Koltchik, 33 ans, est la rédactrice en chef adjointe de l'édition russe du magazine Marie Claire. Elle est diplômée de la faculté de journalisme de l'Université de Moscou et de l'Ecole de journalisme de l'Université de Columbia à New York. Elle a travaillé dans l'hebdomadaire russe Argumenty i Fakty à Moscou, le journal USA Today à Washington et a écrit pour RussiaProfile.org ainsi que pour les éditions russes de Vogue et de Forbes.

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