Harcèlement sexuel ou recherche d’attention ?

© Photo Mikhail Kharlamov/ Marie Claire RussiaSvetlana Koltchik
Svetlana Koltchik - Sputnik Afrique
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La semaine dernière, alors que les filles du bureau moscovite de Marie Claire se faisaient jolies pour la soirée annuelle du magazine, qui devait avoir lieu plus tard dans la soirée, leurs collègues masculins étaient occupés à leur faire des compliments de toutes sortes. Certains de ces commentaires étaient plutôt espiègles et assez explicitement sexuels.

La semaine dernière, alors que les filles du bureau moscovite de Marie Claire se faisaient jolies pour la soirée annuelle du magazine, qui devait avoir lieu plus tard dans la soirée, leurs collègues masculins étaient occupés à leur faire des compliments de toutes sortes. Certains de ces commentaires étaient plutôt espiègles et assez explicitement sexuels.

Une Américaine de base l’aurait probablement mal pris et pensé à porter plainte pour harcèlement sexuel, mais dans notre bureau personne n’avait l’air de s’en préoccuper. Au contraire, nous les filles apprécions beaucoup l’attention de nos collègues masculins et surement nous aurions été déçues si nous étions passées inaperçues.

Alors que, pendant les deux dernières décennies, la Russie s’est efforcée à s’intégrer à l’Ouest sur de nombreux niveaux, il y a une question sur laquelle des disparités frappantes prévalent toujours: le rapport entre les sexes. Est révolu le temps où, au début des années 90, les employeurs russes incluaient des pré-requis tels que le « sex appeal » ou « l'absence d’inhibitions » dans les conditions d’embauche. Pourtant, les plaisanteries sexuelles restent ici un ingrédient essentiel au milieu professionnel, en particulier dans les sociétés où le personnel local prédomine.

Le terme de « harcèlement sexuel » est bien connu en Russie, principalement grâce au tristement célèbre scandale Clinton-Lewinsky, mais nous ne montrons aucune précipitation à l’intégrer à notre vocabulaire quotidien. Au contraire, des sondages récents réalisés parmi les femmes russes de 18 à 35 ans qui travaillent ont révélé que ce qui pourrait être considéré comme des propos machos, sexistes ou simplement déplacés dans un environnement professionnel à l’Ouest (blagues salaces, regards et avances ouvertement sexuels) est considéré ici comme un aspect normal des relations de travail. Et quand les choses vont trop loin, les incidents peinent à obtenir une quelconque publicité.

Mais je n’ai pas l’intention d’examiner les cas de harcèlement qui sévissent ici, je me demande juste pourquoi nos lieux de travail deviennent si souvent un terrain de flirt, si ce n’est un champ de bataille. Non pas que cela me pose problème. Je pense aussi que ce sont le plus souvent les femmes qui initient et encouragent ces liaisons dangereuses au bureau. Cela pourrait être notre révolte inconsciente contre le modèle des relations entre les sexes de l’ère soviétique : des travailleuses et des kolkhoziennes herculéennes et asexuées au point d’en être effrayantes marchant main dans la main avec les hommes.
Ou peut être il s’agit d’un autre résidu soviétique, la quasi-inexistence de fossé entre la vie privée et la vie publique, rendant le franchissement des frontières sur le lieu de travail parfaitement acceptable.

« Les femmes russes adorent être remarquées et apprécient quand les hommes réagissent à leur charme. On se sent plus attirantes et plus désirables » dit Elena 34 ans, une collègue rédacteur chez Marie Claire Russie, mariée et mère d’une petite fille de 5 ans. «  Nous passons tellement de temps au travail, que notre bureau devient notre seconde famille. Pourquoi ne pas y avoir un peu de plaisir ? ». ajoute-t-elle.

Vraiment, pourquoi pas? D’autant que les hommes sont généralement ravis d’y succomber. “Tu dois toujours donner de l’attention à une femme, même si c’est ta collègue ou ton chef. C’est ainsi que mes parents m’ont élevé. » note un autre collègue à moi, Georgiy, rédacteur en chef de Marie Claire.
Agé de 36 ans, Georgiy est le père dévoué de deux enfants qui, lorsqu’il arrive au travail, se transforme en un Casanova galant faisant quelque fois rougir les filles par ses remarques pointues et assez crues. Mais il a l’air très cool avec cela : « tout le monde sait qu’il s’agit seulement d’un jeu, d’un flirt innocent. Cela remonte le moral et cela aide à faire passer la journée. Qui a un problème avec ca? »

Personne, en fait, même lorsque le “flirt innocent” va beaucoup plus loin.
Le célèbre film épique soviétique de 1977 intitulé “Romance de bureau” a immortalisé les histoires de cœur dans les lieux de travail soviétiques (la sortie du remake de ce hit de tous les temps est prévue le mois prochain).
Dans le film, un très ordinaire bureau de statistiques se transforme chaque matin en boudoir avec des filles qui se font méticuleusement belles en prévision de conquêtes romantiques. Ironiquement, ce sont les hommes qui deviennent là des cibles de harcèlement sexuel et à la fin, un secrétaire divorcé désespérément timide épouse son chef féminin.

Trente ans plus tard, les femmes russes qui travaillent ne voient aucun problème à mélanger business et plaisir. « Ou pouvez-vous rencontrer des célibataires intéressants si ce n’est au travail ? » se demande mon amie Anya, 34, manager dans une société américaine à l’éthique de travail très stricte. Elle dit qu’à son travail le flirt direct est hors de question, mais que les collègues réussissent quand même à se mettre ensemble tout le temps et un grand nombre de ses amies ont excellé dans leur carrière après avoir commencé une histoire avec un supérieur masculin. « La sexualité est l’une des ressources que les femmes russes utilisent souvent pour obtenir une promotion, au même titre que leur esprit, leur éducation et leur expérience professionnelle. Cela fait juste partie de la vie ici, dit-elle.

Marina Zinovieva, managing partner chez LegaLife, un cabinet d’avocats international basé à Moscou est d’accord. « Certaines femmes sont suffisamment audacieuses pour utiliser tous leurs charmes pour réussir. A la guerre comme à la guerre. ». Un important avocat avec près de 15 ans d’expérience, Zinovieva reconnaît accepter que le flirt prospère au bureau, mais que le protectionnisme éhonté ou le harcèlement sexuel flagrant ne doit pas être toléré. Pourtant elle ne peut citer un seul précédant d’un tel cas amené devant les tribunaux. « Même si une employée aurait le courage d’aller en justice, n’importe quel avocat lui dirait qu’il n’y a aucune chance de gagner » dit Zinovieva.

Alexei Venediktov, hôte à l’une des plus fameuses stations de radio, Ekho Moskvy, et souvent désigné comme le Larry King russe, a déclaré dans une interview pour le magazine GQ Russie qu’il soutient totalement le harcèlement sexuel puisque “cela améliore la situation démographique du pays”. « Notre bureau peut se prévaloir de 12 mariages, 16 enfants et 8 divorces. En plus il y a toujours une atmosphère joviale » dit-il.

Ca me semble très familier. Mais la vie est trop courte, pourquoi se limiter ? Ou n'en est-il ainsi qu’en Russie ?

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* Svetlana Koltchik, 33 ans, est la rédactrice en chef adjointe de l'édition russe du magazine Marie Claire. Elle est diplômée de la faculté de journalisme de l'Université de Moscou et de l'Ecole de journalisme de l'Université de Columbia à New York. Elle a travaillé dans l'hebdomadaire russe Argumenty i Fakty à Moscou, le journal USA Today à Washington et a écrit pour RussiaProfile.org ainsi que pour les éditions russes de Vogue et de Forbes.

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