Obama déçoit l’Amérique latine

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Marc Saint-Upéry - Sputnik Afrique
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Malgré les bonnes paroles et les offres de partenariat, la brève visite d’Obama dans trois pays latino-américains à la mi-mars a profondément déçu. Sur un thème comme l’immigration, le président des États-Unis n’a pas su expliquer comment il allait relancer les réformes paralysées par le Congrès.

Malgré les bonnes paroles et les offres de partenariat, la brève visite d’Obama dans trois pays latino-américains à la mi-mars a profondément déçu. Sur un thème comme l’immigration, le président des États-Unis n’a pas su expliquer comment il allait relancer les réformes paralysées par le Congrès. En matière de commerce et d’investissements, il n’a offert que de vagues promesses.
 
Il y a longtemps que le Brésil demande la levée des barrières contre ses exportations d’éthanol, de viande bœuf, de coton de jus d’orange ou d’acier. Ses exigences en matière de subventions, de tarifs douaniers et de propriété intellectuelle n’ont pas été prises au sérieux. Et au sujet de sa revendication d’un siège permanent au Conseil de Sécurité de l’ONU, Obama a fait la sourde oreille.

Même au Chili, fidèle allié de Washington, la visite présidentielle n’a guère suscité d’enthousiasme. « “Veni, vidi, vici’’ fut le tweet envoyé par César à Rome après sa victoire. Veni, vidi, niente, nothing, nada, sera celui d’Obama après le Chili », raille sur son twitter José Piñera, ex-ministre du Travail et frère du président Sebastián Piñera.

Qu’ils soient gouvernés à gauche ou à droite, les pays visités considèrent que rien de substantiel n’a été obtenu sur le front économique et politique. Du moins pouvait-on espérer quelque initiative symbolique de la part d’un leader apprécié pour son charisme cosmopolite.

Car Obama est fort populaire dans la région, et son élection a considérablement amélioré l’image de son pays. Une enquête effectuée en 2010 par l’institut chilien Latinobarómetro montre que 74 % des Latino-américains ont une opinion favorable des Etats-Unis. C’est le pourcentage le plus élevé depuis le premier de ces sondages en 1997.

Cela se reflète aussi à travers la faiblesse des mobilisations contre sa venue. Bien que l’intervention controversée en Libye ait été formellement lancée depuis Brasilia – une bévue qui a profondément offensé les autorités brésiliennes, même si elles ont maintenu leur courtoisie diplomatique –, il y eut seulement 500 manifestants à Rio de Janeiro le 20 mars, et guère plus à Santiago du Chili le jour suivant.
Pour faire fructifier ce capital politique, Obama aurait pu faire un geste emblématique. Au Brésil, le président américain est encore plus populaire auprès des Noirs que des blancs et son parcours inspire des millions de descendants d’esclaves africains. Pourtant, à part quelques tièdes allusions à Martin Luther King et au caractère inclusif du « rêve américain », il n’a pas répondu aux attentes d’un public multiracial a priori acquis à sa cause.
En réalité, il ne s’est même pas adressé au peuple brésilien. Il était censé intervenir à Cinelândia, la plus grande esplanade du centre de Rio, où plus de 20 000 spectateurs devaient assister à son discours. Son service de sécurité l’a obligé à se replier sur le Théâtre municipal, devant un public beaucoup plus réduit – et beaucoup plus blanc–  de représentants de la bonne société en tenue de soirée.
Au Chili, un journaliste lui a demandé si le gouvernement américain contribuerait aux investigations sur la dictature de Pinochet et «demanderait pardon pour son rôle pendant ces années douloureuses.» La réponse d’Obama ne pouvait pas être plus timorée : « Nous ne manquerons pas de prendre en considération toute requête du Chili visant à obtenir des informations sur le passé. Mais même si nous souhaitons comprendre et élucider notre histoire, je crois qu’il est important de ne pas rester piégés par cette histoire.»

Les Salvadoriens n’ont pas plus envie de rester «piégés» par leur histoire que les Chiliens, mais ils aspirent à un minimum de reconnaissance de la responsabilité du gouvernement des États-Unis dans la cruelle guerre civile qui a coûté la vie à 75 000 de leurs compatriotes entre 1980 et 1992. D’après le rapport de la Commission de la Vérité des Nations Unies, le régime salvadorien soutenu, armé et financé par Washington est responsable de 95 % de ces morts.

À San Salvador, Obama a visité la tombe de l’archevêque Oscar Romero, héraut des droits de l’homme abattu par des tueurs d’extrême-droite en 1980. Pourtant, malgré leur préoccupation pour la vague de criminalité liée au trafic de drogue qui sévit en Amérique centrale, le président américain et son entourage se sont refusé à tout échange avec le ministre de la Sécurité publique du Salvador, Manuel Melgar.

Melgar est un ancien dirigeant guérillero du Front Farabundo Marti, qui participe aujourd’hui au gouvernement. Washington le soupçonne de complicité dans l’assassinat de quatre marines américains dans un restaurant chic de San Salvador en 1985. Pour nombre de Salvadoriens, cette obsession à l’égard de Melgar est passablement hypocrite, dans la mesure où certains individus impliqués dans le financement d'escadrons de la mort et les massacres de milliers de civils sont parfois reçus comme hôtes d’honneur à l’ambassade des États-Unis.

Qui donc est vraiment piégé par l’histoire ? Tout au long de son voyage, c’est Obama qui avait l’air piégé, captif du lobby protectionniste américain, otage d’une majorité conservatrice haineuse au Congrès, entravé par son service de sécurité et surtout, prisonnier de sa propre pusillanimité.

Autrement dit, aucune audace et pas beaucoup d’espoir.

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*Marc Saint-Upéry est un journaliste français et analyste politique qui vit en Equateur depuis 1998. Il écrit sur la philosophie politique, les relations internationales et les questions de développement pour diverses publications françaises et latino-américaines, ainsi que dans les magazines internationaux Le Monde Diplomatique et Nueva Sociedad. Il est l'auteur de "Le Reve de Bolivar: le defi des gauches sud-americaines".

Le mot "mondialisation" tend déjà à passer pour un cliché un peu éventé, mais la nouvelle réalité interconnectée que ce terme décrit nous réserve encore bien des surprises. Que faire quand on est un journaliste français ayant le coeur à gauche, né en Afrique, habitant en Amérique du Sud, formé aux études slaves, éprouvant une fascination inquiète pour les puissances asiatiques émergentes et s’intéressant aussi bien à la philosophie politique classique qu’à la musique de films de  Bollywood? Lire, voyager, s'étonner. Et envoyer des dépêches intermittentes depuis les lignes de front de la modernité.

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