La flexisexualité

© Photo Mikhail Kharlamov/ Marie Claire RussiaSvetlana Koltchik
Svetlana Koltchik - Sputnik Afrique
S'abonner
Lumière. Camera. Action. Entrent, une amie et moi-même. Nous sommes venues dîner au restaurant gastronomique du Bristol, l’un des hôtels historiques les plus exclusifs du cœur de Paris. On est vendredi soir et le restaurant est bondé.

Lumière. Camera. Action. Entrent, une amie et moi-même. Nous sommes venues dîner au restaurant gastronomique du Bristol, l’un des hôtels historiques les plus exclusifs du cœur de Paris. On est vendredi soir et le restaurant est bondé.

Alors que nous marchons vers notre table, habillées avec soin, essayant de ne pas trébucher sur nos talons aiguilles, je sens les têtes se tourner, les regards se fixer et les bouches murmurer.

Une tension nous envahit, mais pas trop. Nous avons, toutes les deux, l’expérience de sortir à Moscou qui, bien plus que Paris, est une ville-foire des vanités. Par ailleurs, nous savons parfaitement bien que la majeure partie de l’attention provient du contingent féminin du restaurant. Les hommes sont trop occupés avec leur foie gras, leur veau biologique et leurs langoustines. Alors que mon amie et moi-même parvenons en sécurité à nos chaises, nous rejoignons immédiatement le chœur des murmures imprudents,  ragotant avec enthousiasme les tenues, le maquillage, les partenaires et l’allure générale des femmes autour de nous.

Aussi étrange que cela puisse paraître, les principales personnes que nous voulons impressionner quand nous nous habillons et nous nous maquillions, ce sont les autres femmes. Nous faisons cela pour rivaliser l’une avec l’autre mais aussi pour obtenir notre part d’attention et de jugement, objectif ou pas. Alors que les hommes regardent en général une femme comme un tout, les femmes, disent les scientifiques, sont capables de remarquer le moindre accessoire qu’une autre femme porte, y compris à quel point ses boucles d’oreilles sont coordonnées avec son vernis à ongles et son sac à main.

Dans une interview que j’ai lue récemment, Scarlett Johansson, une jeune et talentueuse actrice qui compte parmi les femmes les plus sexy au monde, a admis que c’est l’admiration des autres femmes qui compte vraiment pour elle. « Si j’entre dans une pièce et qu’aucun homme ne me remarquait, cela n’aurait pas d’importance, mais si les femmes commencent à regarder, cela veut dire que j’ai fait du bon boulot avec mon style » dit-elle.

Eh bien, si une déesse comme Scarlett Johansson se soucie de ce que les autres femmes pensent d’elle lorsqu’elle sort, alors le reste d’entre nous doit certainement le faire aussi. Il n’y a rien de sexuel là-dedans. Ou presque rien. Selon des études récentes, certaines femmes pourraient avoir un faible beaucoup grand pour leur propre sexe qu’elles ne le croisent. Lisa Diamond, professeur associé en psychologie et en études des genres sexuels à l’université du Utah, a récemment inventé le terme de « flexisexualité » que je trouve personnellement bien à propos. Dans son livre de 2008, « Le fluidité sexuelle : comprendre l’amour et le désir féminin », elle soutient que beaucoup de femmes modernes, qui se considèrent parfaitement hétérosexuelles pour de nombreuses raisons biologiques, socioculturelles et psychologiques sont en réalité bien moins rigides, ou plus flexibles, dans leur sexualité que les hommes.

Les femmes modernes, insiste Diamond, peuvent facilement changer leur préférences sexuelles au cours de leur vie, et ceci peut inclure s’amouracher ou même avoir une histoire avec d’autres femmes. Les raisons incluent une plus grande tolérance envers les couples lesbiens (même si ceci pourrait ne pas être encore le cas en Russie) et la nature plus chaude et plus tactile des liens entre femmes. Ajoutez à ceci la culture populaire qui bizarrement célèbre les liaisons sexuelles entre femmes. Prenez le succès de Katie Perry « I kissed a Girl (and I Liked It) » ou Madonna roulant un patin à Britney Spears sur la scène des MTV Music Awards (quelques célébrités féminines russes ont repris ici la mode des baisers torrides lors de remises de prix). Ou la même Scarlett Johansson ayant un flirt avec une autre déesse de sensualité, Penelope Cruz dans un film récent de Woody Allen Vicky Christina Barcelona.

Honnêtement, ces résultats ne m’ont pas surpris. Même si nous pouvons ne pas manifester notre flexisexualité dans notre comportement, la plupart d’entre nous sont engagés dans une course de beauté non-stop l’une contre l’autre. Les femmes ont toujours été curieuses et aimé pavaner, mais aujourd’hui les industries de la mode et de la beauté, les principaux instruments du consumérisme moderne, nourrissent notre désir de rivaliser comme des folles l’une avec l’autre.

Et il y a une composante érotique aussi. Pour avoir travaillé dans un magazine de mode féminin pour près d’une décennie, je me suis rendue compte que nous, les filles, sommes d’une certaine manière, constamment attirées et séduites par… d’autres filles. Des femmes magnifiques nous hypnotisent sur les couvertures et dans les publicités. Les images des modèles, en plus d’être parfaites, sont presque toujours très érotisées, souvent allant dans la direction des jeux homosexuels.

Mais je pense que ces images charment et stimulent presque autant qu’elles nous font perdre confiance en nous. Cela devient beaucoup trop stressant d’être en compétition avec les tops modèles. Je trouve cela particulièrement difficile en Russie, où les femmes en quête d’identité ont tendance à prendre cette concurrence beaucoup trop sérieusement. Ici, il me semble que la tendance ne nous conduit pas vers une plus grande acceptation des unions homosexuelles ou de nous-mêmes, mais plutôt vers une compétition encore plus féroce entre femmes. Celle-ci nous mènent quelquefois vers des extrêmes dans notre recherche d’approbation et de perfection. Les normes de beauté deviennent inaccessibles et le désir d’être belle devient une religion.

Et pourquoi ne pas simplement se faire plaisir ? D’ailleurs, quelque soit la valeur que nous accordons au fait d’impressionner d’autres femmes, c’est la voix mâle disant « tu es magnifique ce soir » que nous chérissons le plus.

Pourquoi Moscou est unique, pourquoi Moscou est une source d’inspiration?

Gossip girls ou pourquoi les femmes parlent tant

“Fabriqué en URSS: la génération perdue”

Discussion de femmes: Le culte de la jeunesse

Discussion de femmes: Les femmes et la politique: un mélange à la mode ?

Discussion de femmes: Krasnaya Polyana: le nouveau rêve russe?

Discussion de femmes: Filles matérialistes ou pourquoi les femmes font du shopping

Discussion de femmes: Féminisme, un gros mot en Russie ?

Discussion de femmes: L’Age de la Distraction

Discussion de femmes: Le sang se vend mieux que le sexe

Discussion de femmes: La misanthropie comme sport national

Discussion de femmes: Les hommes: célibataires, prêts et voulant s’engager

Discussion de femmes: Pourquoi n’appelle-t-il pas ?

Discussion de femmes: Trop de Nouvel An

Discussion de femmes: Pourquoi nous, les femmes russes, nous nous habillons pour impressionner ?

Discussion de femmes: Dois-je rester ou partir ?

Discussion de femmes:Les hauts et les bas de l’ère des célibataires

Discussion de femmes: Pourquoi nos hommes sont-ils aussi socialement passifs?

Discussion de femmes: Le sexe comme un manuel d’utilisateur

Discussion de femmes: la recherche du mari rêvé

Discussion de femmes : Le dilemme du journaliste qui s'évade

Discussions de femmes: Les relations sont-elles devenues trop faciles ?

Discussion de femmes: « les maris au foyer »

Discussion de femmes: Les hommes russes n'existent plus…

* Svetlana Koltchik, 33 ans, est la rédactrice en chef adjointe de l'édition russe du magazine Marie Claire. Elle est diplômée de la faculté de journalisme de l'Université de Moscou et de l'Ecole de journalisme de l'Université de Columbia à New York. Elle a travaillé dans l'hebdomadaire russe Argumenty i Fakty à Moscou, le journal USA Today à Washington et a écrit pour RussiaProfile.org ainsi que pour les éditions russes de Vogue et de Forbes.

Fil d’actu
0
Pour participer aux discussions, identifiez-vous ou créez-vous un compte
loader
Chat
Заголовок открываемого материала