Le cercle vicieux de la situation pakistanaise

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Fedor Loukianov - Sputnik Afrique
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Le président pakistanais Asif Ali Zardari est accueilli à Moscou. Les relations entre les deux pays, traditionnellement assez froides, se sont récemment intensifiées, et chaque rencontre attire l’attention.

Le président pakistanais Asif Ali Zardari est accueilli à Moscou. Les relations entre les deux pays, traditionnellement assez froides, se sont récemment intensifiées, et chaque rencontre attire l’attention. Dmitri Medvedev a déjà rencontré à deux reprises son homologue pakistanais dans le cadre du sommet quadrilatéral avec les présidents afghan et tadjike. Actuellement, l’intérêt pour la rencontre de Moscou est alimenté par la crise entre Islamabad et son principal patron, Washington.

La découverte d’Oussama Ben Laden à 800 mètres de la principale académie militaire du Pakistan a provoqué aux Etats-Unis une vague d’accusations de duplicité envers l’allié pakistanais. Islamabad, en réfutant les soupçons, est particulièrement indigné par le fait que les forces d’élite américaines aient pu agir sur son territoire sans l'avoir avisé. Quant au Pakistan, il traverse une sorte de crise politique. La confiance mutuelle déjà faible a subi un autre coup.

L’intérêt de Moscou est évident: la situation autour de l’Afghanistan, dont dépendent les événements en Asie centrale, est de moins en moins prévisible. La stratégie américaine est floue, la situation afghane est instable et la possibilité de coordination des efforts avec les voisins n’est pas moins opaque. L’élimination du terroriste numéro un a exacerbé l’incertitude. Le président américain Barack Obama bénéficie d'un argument en faveur du retrait des forces américaines: le principal objectif fixé dix ans auparavant est atteint. Cependant, même si la décision était déjà prise (or Washington est loin de toujours partager les désirs du président), le maintien du contrôle de la situation en Afghanistan après le retrait des troupes américaines nécessiterait la coopération du Pakistan, ce qui paraît à l’heure actuelle improbable.

Les préférences de Kaboul sont controversées. Hamid Karzaï a déclaré à plusieurs reprises qu’il était temps pour les Afghans de gérer seuls leur pays, et après l’opération d'Abbottabad il a fait remarquer que son pays était loin d’être un foyer de menace. Mais ce sont des déclarations politiques. D’un point de vue sécuritaire, nul n’est convaincu que les structures gouvernementales afghanes sont en mesure de maintenir l’ordre dans le pays sans l’OTAN et les Etats-Unis. De nombreux habitants craignent une répétition des événements horribles de 1992-1996, lorsqu’en se débarrassant de l’armée soviétique et du gouvernement pro-Moscou de Najibullah, l’Afghanistan est devenu l’arène d’une guerre de tous contre tous (d’ailleurs, avec la participation active du Pakistan). Un tel scénario effraye plus que la poursuite de l’occupation. Pour cette raison, le stationnement à long terme des troupes américaines, quoique à une échelle réduite, dont la possibilité est sondée par Washington, provoque en Afghanistan aussi bien l’indignation que le soulagement.

Les voisins ne souhaitent pas (avec un divers niveau d’engagement) voir des bases américaines permanentes. La Russie, la Chine, l’Inde et l’Iran soutiennent la solution "régionale", dont la base demeure floue, excepté le fait qu’il faille s’appuyer sur les autorités de Kaboul, et non pas sur le contingent occidental. La visite de Zardari à Moscou, juste après les consultations sino-pakistanaises stratégiques fin avril et la visite du ministre chinois des Affaires étrangères Yang Jiechi en Russie la semaine dernière, vise à faire avancer cette discussion.

L’une des idées avancées par les experts de Moscou concernant la solution régionale implique la participation plus active de l’Organisation de coopération de Shanghai (OSC), la structure la plus représentative et potentiellement très influente dans cette partie du monde. L’OSC fête son dixième anniversaire et, selon les estimations, lors de la réunion commémorative à Astana en juin 2011, les pays abrogeront le moratoire tacite pour l’adhésion de nouveaux membres qui était en vigueur depuis 2006. Si cela se produisait, l’Inde et le Pakistan seraient les candidats les plus probables à l’adhésion (l’Iran, qui avait également fait sa demande, n’est pas pris en compte, car il fait l’objet de sanctions internationales, et l’admission de tels pays est interdite par le règlement).

La question de l’Inde et du Pakistan est très délicate, compte tenu des relations entre ces pays. Moscou souhaiterait voir New Dehli en tant que membre à part entière, mais Pékin est fort réticent face à cette idée. La Chine soutien Islamabad, mais Moscou refusera de l’accepter sans l’Inde.

La question afghane pourrait probablement créer un thème fédérateur. Bien sûr, il est difficile de s’imaginer que les intérêts et les aspirations de New Dehli et d’Islamabad coïncideront, mais l’avantage d’un format multilatéral est qu’il est capable d’atténuer les controverses bilatérales grâce à l’introduction de facteurs extérieurs. D’autant plus que la dégradation des relations entre le Pakistan et les Etats-Unis, si elle se poursuivait, pourrait contraindre Islamabad à vouloir diversifier les contacts.

Le puzzle complexe des intérêts de l’armée, des groupes religieux et ethniques, et des chefs politiques nécessite l’établissement minutieux de l’équilibre au Pakistan. Au lieu de cela, à Washington, on assiste au renforcement des positions de ceux qui appellent à faire pression sur Islamabad pour l’obliger à agir résolument contre les radicaux. Les Américains ont des raisons de ne pas faire confiance à leur partenaire. Mais depuis l’automne 2001, lorsque le sous-Secrétaire d'État Richard Armitage a promis au général Musharraf de "renvoyer le Pakistan à l’âge de pierre en le bombardant" s’il ne soutenait pas la guerre afghane, toute la politique américaine sape les liens traditionnels et accentue l’instabilité dans le pays. En diversifiant les contacts, le gouvernement pakistanais tente de diminuer la pression extérieure, mais fait monter d'un cran l'irritation de Washington. Les Etats-Unis ne proposent pas d’approches alternatives. On continue à errer dans le cercle vicieux, et un paradigme foncièrement différent est nécessaire pour s’en sortir.

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La Russie est-elle imprévisible? Peut-être, mais n'exagérons rien: il arrive souvent qu'un chaos apparent obéisse à une logique rigoureuse. D'ailleurs, le reste du monde est-t-il prévisible? Les deux dernières décennies ont montré qu'il n'en était rien. Elles nous ont appris à ne pas anticiper l'avenir et à être prêts à tout changement. Cette rubrique est consacrée aux défis auxquels les peuples et les Etats font face en ces temps d'incertitude mondiale.

Fedor Loukianov, rédacteur en chef du magazine Russia in Global Affairs.

 

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