L’art d’être une épouse

© Photo Mikhail Kharlamov/ Marie Claire RussiaSvetlana Koltchik
Svetlana Koltchik - Sputnik Afrique
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"Concentrez toutes vos pensées et tous vos sens sur ce que vous désirez le plus en ce moment", murmure une jeune femme, vêtue d’une courte robe en mousseline bleue, en allumant lentement une bougie.

"Concentrez toutes vos pensées et tous vos sens sur ce que vous désirez le plus en ce moment", murmure une jeune femme, vêtue d’une courte robe en mousseline bleue, en allumant lentement une bougie.

"A la nouvelle lune, il y a de fortes chances pour que tout ce que vous souhaitez se réalise", dit-elle en souriant gaiement. Dix femmes, âgées de 25 à 40 ans, sont assises en cercle serré, leur visage rêveur pendant qu’elles se concentrent sur leurs plus profonds désirs. Chacune tient une bougie allumée. On entend de la douce musique de médiation. Bienvenue aux classes de lecture de la Lune.

De l’autre côté du couloir, un autre groupe de femmes bouge avec rigueur en essayant de se synchroniser avec le rythme sophistiqué d’un thème oriental qui tape un peu sur les nerfs. Ces filles s’entrainent sur des éléments de chorégraphie d’une ancienne dance soufie, prétendument destiné à ouvrir le chakra du cœur qui est responsable pour donner et recevoir de l’amour.

Et à côté, dans le cours "Comment inspirer les hommes", une poignée de femmes débattent avec enthousiasme sur les moyens efficaces pour encourager les hommes à faire des propositions de mariage, à offrir des cadeaux splendides et à gagner de l’argent.

Cela ressemble beaucoup à une secte, un méli-mélo étrange de traditions locales et d’idées New Age importées de l’Ouest auxquelles les Russes adhèrent facilement. Mais ce n’est pas une secte. C’est un soir comme un autre à la branche moscovite de l’Académie de la Vie privée, un centre de formation de Saint-Pétersbourg incroyablement populaire et destiné aux femmes. Il dit que sa mission est de "ramener la féminité dans le monde et aider les femmes à regagner leur énergie féminine pour attirer les hommes vers leur rêves et construire des mariages harmonieux".

Et cette école n’est pas unique, des centres similaires fleurissent partout dans le pays. C’est une tendance curieuse pour un pays qui a été si longtemps considéré comme spirituellement féminin et dont les femmes sont parmi les plus belles au monde (pour ne pas mentionner la forte controverse causée par l’une de mes colonnes dans laquelle j’ai qualifié les femmes russes de plus précieux trésors et ressources naturelles du pays). Fait intéressant, Larisa Renar, le fondateur et directeur de l’Académie de la Vie privée, n’est pas vraiment d’accord avec ma notion de "trésors naturels". "Nous vivons dans une société patriarcale oppressive dans laquelle les femmes sont incapables de se développer depuis aussi longtemps que l’humanité puisse se souvenir ", dit-elle.

Selon elle, les femmes n’étaient autorisées à prendre part au monde masculin, qu’à la condition d’agir comme des hommes, utilisant l’énergie masculine (le terme favori de Renar) pour réussir. Et le résultat? Des hordes de filles qui ont des carrières brillantes mais des vies privées non-existantes ou très insatisfaisantes.

Renar, une femme d’une quarantaine d’années, mère de deux enfants, aux cheveux auburn parfaitement coiffés en chignon, porte des robes flattant la silhouette et des talons aiguilles tous les jours. C’est l’armure obligatoire pour la femme authentique, insiste-t-elle. Elle arbore également un collier de quatre pierres précieuses symbolisant quatre énergies clefs : la Terre, le Feu, l’Eau et l’Air, qu’elle croît que toute fille devrait utiliser pour être équilibrée et épanouie.

Mais cette énergique Pétersbourgeoise n’est pas une mystique bizarre ni même une ardente missionnaire. Elle est une femme d’affaires avisée qui détient deux diplômes (en business et en psychologie). Un cours de deux heures à son académie coûte à peu près 80 dollars US, une session individuelle avec l’un des coaches (vrai, ce sont toutes des femmes et des heureuses épouses), 120 dollars et un cours de deux jours très populaire "Le Cercle du pouvoir féminin" que, de temps en temps, elle enseigne elle-même, 700 dollars après une longue liste d’attente.
Le bestseller de Renar, qui s’appelle aussi Le Cercle du pouvoir féminin, a récemment été publié à l’Ouest et elle a écrit trois autres bestsellers russes depuis. Renar est également sur le point de commencer le tournage d’une série à Kiev, capitale de l'Ukraine. En outre, elle voyage constamment partout en Russie et dans les pays de l'ex-URSS pour des conférences et des cours et lance un projet à New York.

A 21h30, lorsque les sécessions finissent, les filles excitées se précipitent hors des cours à la réception pour signer plus. Je suis la seule, semble-t-il, que l'expérience ait laissée un peu perplexe. Non pas que je ne sois pas inspirée à l’idée d’inspirer mon homme, mais j’ai juste perçu un peu trop de désespoir dans l’air. L’un des cours les plus populaires c’est L’Art d’être une épouse, et je me demande ce que cela dit sur l’état de mon pays, qui a l’un des taux les plus élevés de divorce au monde. La demande croissante d’écoles comme celle de Renar serait-elle une tentative pour renverser cette tendance inquiétante?

Beaucoup dans ma génération ont été élevées par des mères célibataires qui ont dû porter toutes les responsabilités familiales (dans les termes de Larisa Renar, cela voudrait dire trop exploiter leur énergie masculine, ce qui n’est naturel et sain pour une femme). Beaucoup de filles, moi-même incluse, ont choisi de poursuivre une carrière pour être capable de subvenir aux besoins de leurs frères, sœurs et parents vieillissants et pas seulement pour combler leurs ambitions comme leurs consœurs à l’ouest. Et beaucoup d’hommes, élevés par les mêmes mères célibataires stressées et super-dominantes ou par des grand-mères ultra-protectrices, ont grandi en manquant de confiance en eux malgré leur façade macho, ce qui peut expliquer pourquoi l’alcoolisme est devenu un problème si important. Mais peut-être les femmes ont aussi contribué à cette situation. Peut-être, quelque part en route, nous avons perdu l’art d’être des épouses.

Mais Larisa Renar dit que le Retour de la femme authentique est une tendance mondiale et la Russie, où l’intérêt pour divers mouvements spirituels et mystiques a toujours été fort, se trouve à l’avant-garde. " L’Âge du verseau a commencé", dit-elle comme si de rien n’était. "Cela veut dire que les énergies féminines sont de retour et les femmes ressentent l’envie de revenir à leur vrai moi et d’arrêter de vouloir rivaliser ou dépasser les garçons à la place les aimer, les accepter tels qu’ils sont et les inspirer.

J’espère juste que nos hommes ne vont pas se noyer trop tôt dans nos énergies féminines et réussir à joindre le club.

 

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* Svetlana Koltchik, 33 ans, est la rédactrice en chef adjointe de l'édition russe du magazine Marie Claire. Elle est diplômée de la faculté de journalisme de l'Université de Moscou et de l'Ecole de journalisme de l'Université de Columbia à New York. Elle a travaillé dans l'hebdomadaire russe Argumenty i Fakty à Moscou, le journal USA Today à Washington et a écrit pour RussiaProfile.org ainsi que pour les éditions russes de Vogue et de Forbes.

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