La naissance du bipartisme russe?

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Hugo Natowicz - Sputnik Afrique
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Un jeune oligarque prend la tête d'un parti proche de Medvedev. Le pays entrerait-il dans une nouvelle ère politique?

Finalement, c'est oui. Après avoir décliné la direction du nouveau parti Pravoyé Delo ("Juste cause"), l'oligarque Mikhaïl Prokhorov, bien connu des Français, a changé d'avis. En visite à Kalouga, le PDG du groupe d'investissement Onexim a indiqué avoir envoyé une demande ad hoc à la direction actuelle du parti.

L'opposition russe souffre de l'hypertrophie de Russie unie, le parti au pouvoir dirigé par Poutine, mais surtout de sa propre désorganisation. Les efforts visant à unir la multitude de partis d'opposition n'avaient jusqu'à présent rien donné. L'opposition dite "libérale", qui revendique les valeurs occidentales contre le pouvoir en place, est menée par une cohorte de leaders, dont certains eurent un grand rôle dans les années 1990, tel l'ancien vice-premier ministre Boris Nemtsov. Enlisée dans ses conflits internes, cette opposition "hors système" n'a jamais pu délivrer de message constructif, se contentant de fustiger le pouvoir en place.

Le cas de Juste cause est légèrement différent. Parti de centre-droit, il prône une opposition "soft", et cherche à incarner une force démocratique intégrée au système. Placé sous le slogan "liberté, propriété, ordre", le nouveau-né est proche des entrepreneurs et prône dans son programme "la démocratie, la suprématie du droit, et le libre-marché". Juste cause est en outre issu de la fusion de trois partis de droite, dont le plus célèbre était SPS (Union des forces de droite). Soutenu par d'anciens ministres de l'ère Eltsine, Egor Gaïdar et Anatoli Tchoubaïs, SPS avait vu passer dans ses rangs plusieurs figures de l'opposition libérale, dont Nemtsov.

L'arrivée de Prokhorov à la tête de Juste cause marque un tournant important. Désormais, le parti possède un visage, ce qui le rend plus lisible aux yeux de la population. Ce visage a l'avantage d'être avenant: oligarque charismatique, ce beau gosse de 46 ans est un sportif, et dirige l'Union russe du biathlon. Deuxième fortune du pays, Prokhorov est aussi le père de la E-mobile, la première voiture hybride russe, ce qui en fait un acteur de la modernisation du pays. Homme "neuf" sur la scène politique, il n'est aucunement associé au marasme des années 1990, à la différence des chefs de l'opposition "libérale".

Le personnage traîne toutefois quelques casseroles: il avait fait les choux gras de la presse en 2007 après avoir été interpellé dans la station huppée de Courchevel avec deux accompagnatrices dans le cadre d'une affaire de réseau de prostitution, avant d'être relaxé. La France ne lui en a pas tenu rigueur: Prokhorov a récemment été décoré de la légion d'honneur. Rien n'indique par ailleurs que la présence d'un oligarque "pesant" 23 milliards de dollars rapprochera le parti du peuple. Surtout quand il propose de mettre en place la semaine de 60 heures en Russie…

Démocratisation contrôlée

Le statut de Juste cause est un peu flou. Est-ce une force démocratique indépendante, ou adoubée par le Kremlin? Le site newsru.com accuse Prokhorov de mentir quand il indique avoir pris sa décision de façon totalement indépendante. "Sa candidature est approuvée par Vladimir Poutine et Dmitri Medvedev", ironise le site traditionnellement critique envers le pouvoir.

Rien d'étonnant à cela. Le Kremlin cherche depuis longtemps à mettre en place une opposition à l'intérieur du système. Russie juste (représenté au parlement) envisagea un temps de jouer ce rôle. Ce parti avait songé à inviter Medvedev dans ses rangs pour contrer l'hégémonie de Russie unie sur la scène politique russe. La tentative avait échoué. Juste cause ne cache pas être un parti proche de Dmitri Medvedev, dont il compte soutenir la candidature en 2012.

Il semble désormais probable que Medvedev et Poutine partiront en campagne l'un contre l'autre pour l'élection présidentielle de 2012. Bien que d'accord sur le fond, les deux hommes, issus de générations et de milieux différents, se sont récemment opposés autour de deux thèmes cruciaux: les relations russo-occidentales et l'affaire Khodorkovski, qui pèse lourd sur le climat d'affaires russe. Le pouvoir semble conscient que le pays est traversé par des visions contradictoires, et que certaines questions doivent obtenir une réponse soutenue par le peuple. Le lancement d'une démocratisation contrôlée est en mesure de redynamiser la vie du pays, et d'impliquer les Russes, lassés par la politique, dans la modernisation.

Un tel scénario possèderait également une logique stratégique: Vladimir Poutine, qui avait refusé de modifier la Constitution pour s'assurer un troisième mandat, avait préféré le jeune Dmitri Medvedev, figure relativement libérale, à Sergueï Ivanov, issu des structures de force, pour lui succéder. En se lançant dans un duel avec son dauphin, il se poserait comme l'initiateur d'une démocratisation, certes contrôlée et prudente, du système politique russe.

 

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