Le temps de la réflexion

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Fedor Loukianov - Sputnik Afrique
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Le jeu qui consiste à se perdre en conjectures au sujet de l’avenir du tandem au pouvoir en Russie (le président Dmitri Medvedev et le premier ministre Vladimir Poutine) évince progressivement tous les autres thèmes de la vie politique.

Le jeu qui consiste à se perdre en conjectures au sujet de l’avenir du tandem au pouvoir en Russie (le président Dmitri Medvedev et le premier ministre Vladimir Poutine) évince progressivement tous les autres thèmes de la vie politique. Toutefois, pour celui qui s’interroge sur les paramètres de la future politique de Russie, les personnalités n’ont pas d’importance, car les circonstances objectives définissent de façon assez stricte la marge de manœuvre de tout nouveau chef de l’Etat russe.

La politique étrangère de Russie est constamment restée réactive au cours des deux décennies de l’histoire postsoviétique: le pays réagissait avec un degré variable d’efficacité aux défis extérieurs. Et rien ne porte à croire qu’une autre stratégie fera son apparition au cours de la période qui vient. Cela n’est pas imputable à l’inaptitude des élites russes à la formuler, mais à l’impossibilité d’effectuer une planification stratégique en principe. Les principaux acteurs sont seulement obligés de s’adapter aux changements fulgurants et imprévisibles, quand bien même d’aucuns aimeraient croire que quelqu’un tire les ficelles.

Quelles tendances détermineront-elles donc le comportement de la Russie sur l’échiquier mondial?

Premièrement, l’érosion de toutes les institutions créées à l’époque de l’équilibre précédent est entrée dans sa phase terminale. Toutefois, aucunes nouvelles structures et règles ne seront formulées, car l’état de transition qui caractérise le système mondial actuel est loin d’être terminé, et le point de destination demeure inconnu. Par conséquent, la question qui se pose est de savoir si l’intégration aux institutions existantes est justifiée et efficace.

Deuxièmement, il devient évident que la flexibilité et l’adaptabilité ont plus de valeur que les engagements permanents. L'interdépendance croissante incite les acteurs à mieux comprendre que les problèmes internationaux ne peuvent pas être résolus au niveau national. Mais étant donné que la conscience politique est toujours incapable de surmonter le cadre national, la réaction réelle aux défis consiste de plus en plus souvent non pas en une unification des efforts des Etats, mais en tentatives persistantes de conserver la marge de manœuvre personnelle. Dans le contexte d’une situation qui évolue rapidement, des alliances immuables risquent de limiter les possibilités au lieu de les élargir.

Troisièmement, la volonté d’émancipation nationale se renforce, le nombre des acteurs importants augmente. Des pays au potentiel moyen, autrefois partenaires loyaux des superpuissances (la Turquie, l’Egypte, la France), acteurs passifs (le Brésil) ou parias isolés (l’Iran) commencent à agir de manière indépendante et relativement active, quoique sans toujours faire preuve d'un grand professionnalisme dans la réalisation de l’objectif fixé. Cela complique le schéma général en y introduisant un plus grand nombre de variables.

Enfin, le vecteur clé du système mondial change de cap: jusqu’à présent, les relations entre l’Occident et la Russie représentaient le point de repère de la politique russe mais au fur et à mesure que le noyau de la politique mondiale glisse vers l’Asie, cette approche perd son sens. Dans le contexte de l’Europe, qui se morcèle politiquement, et de l’attention croissante que les Etats-Unis accordent à l’Asie du Sud et à la région du Pacifique, l’absence de vision claire par Moscou de la place de la Russie en Asie équivaut à l’abandon de son rôle tant soit peu actif dans l’arène internationale.

Dans le contexte de cette palette incroyablement variée et embrouillée, le choix entre deux modus operandi s’impose: soit faire preuve de circonspection, suivant le principe des médecins "d'abord ne pas nuire", et éviter des démarches radicales et des décisions irréversibles en attendant que la situation se clarifie. Soit, au contraire, jouer un jeu dangereux pour tenter de profiter de la confusion générale afin de renforcer ses positions en espérant occuper une meilleure place au soleil dans le futur système. Toutefois, ce second scénario nécessite une audace que l’on est loin de déceler au sein de la société russe, ainsi que des bases politiques et économiques solides à l’intérieur du pays, qui ne sont clairement pas présentes non plus. Aussi, selon toute probabilité, est-ce le concept de suffisance raisonnable et de modération qui deviendra le leitmotiv de la politique étrangère de Russie pour la durée du prochain mandat présidentiel, à moins que des impulsions inattendues et brusques venues de l’extérieur ne forcent la Russie d’y réagir d’une manière tout aussi brusque.

Tôt ou tard, la Russie, qui se retrouve progressivement dans un entourage géopolitique fondamentalement différent au fur et à mesure que les changements s’opèrent à l’échelle mondiale, se verra dans la nécessité de prendre des décisions fondamentales concernant sa future orientation. Mais en l’occurrence, dans ce cas précis, il faut se hâter lentement.

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La Russie est-elle imprévisible? Peut-être, mais n'exagérons rien: il arrive souvent qu'un chaos apparent obéisse à une logique rigoureuse. D'ailleurs, le reste du monde est-t-il prévisible? Les deux dernières décennies ont montré qu'il n'en était rien. Elles nous ont appris à ne pas anticiper l'avenir et à être prêts à tout changement. Cette rubrique est consacrée aux défis auxquels les peuples et les Etats font face en ces temps d'incertitude mondiale.

Fedor Loukianov, rédacteur en chef du magazine Russia in Global Affairs.

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