Bouclier de Damoclès

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Hugo Natowicz - Sputnik Afrique
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Le déploiement d'un bouclier antimissile américain en Europe continue de susciter la préoccupation des Russes. A juste titre.

Le déploiement du  système de défense antimissile (Anti-ballistic missile) américain a récemment subi plusieurs revers: la République tchèque a finalement renoncé à accueillir un radar sur son territoire, décision assez logique quand on sait qu'une majorité de Tchèques y était opposée. L'Organisation de coopération de Shanghai, conduite par Moscou et Pékin, indiquait en outre dans une déclaration récente qu'elle s'opposerait aux plans occidentaux de défense antimissile susceptibles de "menacer la stabilité internationale".

Les Russes, foncièrement hostiles au projet, l'assimilent à un rapprochement du potentiel américain de leurs frontières, les bases pouvant selon eux être converties en système offensif. Ils ne doivent pourtant pas se faire d'illusions: on voit se concrétiser l'option selon laquelle la Roumanie accueillera des navires équipés du système de combat Aegis, toujours dans le cadre du système. En outre, des chasseurs américains F-16 et des C-130 Hercules seront déployés sur le territoire polonais. Moscou a exigé des éclaircissements qu'il a peu de chances d'obtenir, le dialogue de sourds autour du bouclier durant depuis plusieurs années.

L'idée visant à créer un système de défense antimissile remonte au projet Sentinel, lancé en 1967 afin de protéger les Etats-Unis d'une éventuelle frappe nucléaire. Avec la fin de la Guerre froide, il avait pourtant perdu sa raison d'être, et était passé aux oubliettes pendant quelques années. Le projet avait été ranimé par l'administration Bush au début des années 2000, afin de contrer un missile balistique tiré par l'Iran ou la Corée du Nord.

La particularité du projet Bush, c'était le déploiement de missiles intercepteurs en Pologne et d'un radar en République tchèque, c'est-à-dire dans deux pays de l'ancien bloc soviétique entretenant des relations complexes avec Moscou. Géographiquement, le potentiel militaire américain s'implantait au nez et à la barbe des Russes. L'initiative a pendant longtemps cristallisé les tensions entre Moscou et Washington, les Américains refusant toute offre de coopération russe dans ce domaine.

En février 2007, à la conférence de Munich sur la sécurité, Vladimir Poutine tonnait contre le projet, qui selon lui menaçait de déclencher une nouvelle spirale de guerre froide. Son successeur, Dmitri Medvedev, a lui aussi bataillé ferme contre le bouclier: le président a avait promis en début de mandat de déployer des missiles Iskander dans la région de Kaliningrad, une poche de territoire russe au sein de l'Union européenne.

Avec la détente russo-américaine instaurée par Medvedev et Barack Obama, la crispation devait faire place à la coopération. Les deux pays ont conclu, non sans mal, le traité de désarmement nucléaire START, qui ouvrait une nouvelle étape de transparence et de partenariat entre les deux pays. On se croyait en avoir fini avec le bouclier, que l'administration Obama avait pris soin d'"alléger", car trop coûteux, et d'ajourner. Toutefois, la reprise du projet, sous une forme toujours aussi problématique pour Moscou, n'a pas tardé à se produire.

Si vis pacem para bellum?

Le bouclier est par nature enraciné dans la guerre froide, son déploiement en Europe orientale ravivant de mauvais souvenirs dans l'esprit des Russes. La crise de Cuba, lors de laquelle l'URSS avait déployé son potentiel nucléaire à proximité du territoire américain, avait été précédée d'efforts américains visant à placer des missiles balistiques au plus près des frontières soviétique (Turquie et Italie). Les négociations sur un possible déploiement de l'ABM en Ukraine, un territoire sensible entre Occident et Russie, prouve que le projet est clairement axé sur l'espace postsoviétique.

Les inquiétudes de Moscou sont justifiées: la totalité du territoire russe est désormais "transparente", c'est-à-dire accessible aux radars américains, selon les affirmations récentes d'un général russe. Le  rejet des offres d'intégration formulées par Medvedev lors du sommet Russie-Otan de Lisbonne en 2010, montrent que l'Alliance agit sur une base unilatérale et refuse net toute coopération.

La réalisation du bouclier en dépit des préoccupations russes risquerait d'ouvrir une page de crispation sur le continent européen, qui pourrait s'accentuer alors que 2012 sera une année électorale en Russie et aux Etats-Unis. Une telle évolution hypothèquerait les projets de rapprochement entre Moscou et le monde occidental, et pourrait replonger la Russie dans une période de crispation vis-à-vis de l'Ouest. Le bouclier, inscrit dans un "schéma" hérité de la guerre froide, en conservera immanquablement les contradictions.

Mais le plus inquiétant, c'est l'étonnante passivité des Européens: le projet a montré à quel point une "Europe de la défense" restait utopique, les Etats-Unis jouant sur les dissensions qui tiraillent le continent. Il est pourtant crucial pour les Européens d'exiger que la sécurité de leur territoire fasse l'objet d'un débat impliquant en priorité les pays du continent. Un débat mené sur une base d'égalité, tenant notamment compte des préoccupations russes.

Tant que le silence européen durera sur cette question, le bouclier restera une épée de Damoclès suspendue au-dessus du continent.

L’opinion de l’auteur ne coïncide pas forcément avec la position de la rédaction.

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