Le Partenariat oriental et l’avenir de l’Europe

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Fedor Loukianov - Sputnik Afrique
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La semaine dernière, à Varsovie s’est tenu le sommet du Partenariat oriental. L’événement s'est déroulé en grande pompe, on y a entendu tous les mots solennels imaginables.

La semaine dernière, à Varsovie s’est tenu le sommet du Partenariat oriental. L’événement s'est déroulé en grande pompe, on y a entendu tous les mots solennels imaginables. Les commentateurs ont été surtout surpris par la réaction extrêmement calme, voire modérément positive, de Moscou: le ministère russe des Affaires étrangères n’a même pas exclu les possibilités de coopération. Après les passions qui se déchaînaient autour du Partenariat oriental 2-3 années auparavant, lorsque la Russie était catégoriquement opposée à l’expansion de l’Union européenne, son calme actuel est très étonnant. Que s’est-il passé?

L’initiative du Partenariat oriental, avancée par la Pologne et la Suède en 2008, était appelée à devenir un symbole du mouvement de la région occidentale de l’espace postsoviétique (le Caucase du Sud, l’Ukraine, la Biélorussie, la Moldavie) vers l’Europe. C’était au printemps 2008, avant la guerre russo-géorgienne, mais le sentiment de concurrence féroce pour l’espace postsoviétique planait déjà dans l’air. La Russie venait de réussir à repousser le plan d’adhésion à l’OTAN de l’Ukraine et de la Géorgie, et le Partenariat oriental était conçu comme une sorte de "lot de consolation." Officiellement, les politiciens et les fonctionnaires européens réfutaient toujours avec virulence les suppositions selon lesquelles cette institution était destinée à réduire le rôle de la Russie, mais cela ne faisait pas l’ombre d’un doute. Ce qui expliquait la réaction négative de Moscou.

Le calme actuel de la Russie résulte de la prise de conscience du fait que l’importante initiative européenne n'a abouti à rien. En tout cas c’est plus sérieux que l’abréviation GUAM (Organisation pour la démocratie et le développement de la Géorgie, de l’Ukraine, de l’Azerbaïdjan et de la Moldavie), que beaucoup brandissaient comme un épouvantail antirusse à la fin des années 1990-début 2000. L’UE est tout de même une organisation marquée par l'inertie, et les projets une fois lancés peuvent y exister pendant des années et des décennies, sans dépasser la phase virtuelle. (Par ailleurs, formellement personne n’a aboli le GUAM.) Mais on ne constate aucune extension du Partenariat oriental, et il ne faut pas s’y attendre à court terme. L’Europe a certainement d’autres chats à fouetter.

Depuis l’adoption du Partenariat, la situation en Europe a foncièrement changé. Et il ne s’agit pas seulement de la crise de la dette de la Grèce et d’autres pays sud-européens, bien qu’en soi cela réduise, évidemment, la volonté d’allouer des moyens financiers conséquents. Et il ne s’agit même pas du printemps arabe, dont les conséquences pour l’UE pourraient être si importantes qu’il serait plus sensé d’allouer de l’argent pour le "partenariat sud." Le fait est que l’Union européenne est au seuil de changements fondamentaux. Ce ne sont pas des légères modifications mais une restructuration profonde, qui pourrait affecter les principes mêmes d’intégration, de l’Europe telle qu’on la connaissait au cours des dernières décennies.

Très probablement, l’Europe unie, tout en continuant d'exister formellement, sera fragmentée en diverses catégories d’Etats. Le noyau qui se formera autour de l’Allemagne (on ignore encore qui en fera partie) se chargera du sauvetage de l’euro et s’efforcera d’éviter un effondrement économique. Les autres constitueront des orbites plus ou moins éloignées du noyau avec d’autres droits et possibilités. L’Europe centrale et de l’Est, qui a adhéré à l’UE à la fin du siècle dernier et qui comptait ainsi terminer sa dérive historique vers les rives de la stabilité et de la prospérité, pourrait devoir faire face à une nouvelle confusion. Et la situation devient d’autant plus floue pour les pays occidentaux de la CEI, qui pendant plusieurs années axaient leur politique sur le vecteur européen. Personne n’a jamais proposé à Kiev, à Chisinau, à Minsk, sans parler des capitales sud-caucasiennes, d’adhérer à l’Union européenne, mais par défaut on considérait que c’était un objectif lointain, et que pour l’instant il fallait se transformer pour répondre aux critères européens. Cette transformation connaissait un succès variable, mais l’étoile conductrice brillait en montrant le chemin.

On ignore ce qu’il en sera de la politique des ces pays si cette étoile s’éteignait, c’est-à-dire que la perspective d’adhérer à l’UE n’existe même pas à long terme. Il faut dire que la fragmentation de l’Union européenne pourrait offrir des opportunités pour l’Ukraine ou la Moldavie: plus l’union est amorphe, plus facilement elle accepte de nouveaux membres. Mais la question de l’extension sera probablement retirée de l’ordre du jour, car la transformation de l’Europe unie est un processus trop éprouvant et douloureux pour être distrait par d’autres questions secondaires. Au maximum, se sont des simulacres tels que le Partenariat oriental.

Dans cette situation, on se demande si quelqu’un, par exemple la Russie, peut offrir une alternative à ces pays. Le problème de Moscou a toujours résidé dans le fait qu’en réagissant douloureusement à l’activité de l’UE et de l’OTAN, il pouvait difficilement formuler des contrepropositions. Les institutions créées et soutenues par la Russie jusqu’à récemment étaient des imitations. Seulement pour montrer qu’elle a également un groupe d’alliés et de structures appropriées. Mais dès que la Russie faisait preuve d’initiative vers l’intégration, elle était confrontée à une forte résistance même de la part des partenaires formellement très proches, tels que Minsk.

Aujourd’hui, la Russie a défini ses priorités: l’Organisation du traité de sécurité collective (OTSC) dans les domaines de la politique et de la sécurité, et l’Union douanière avec la perspective de se transformer en un Espace économique commun dans le domaine de l’économie. A partir de 2009-2010 on prend des mesures pour transformer ces deux unions en véritables entités d’intégration avec des droits et des obligations. Cela avance difficilement, mais Moscou n’a pas l’intention d’abandonner. Etant donné la situation très floue en Union européenne, les chances de mise en œuvre de ces initiatives augmentent, bien que la Russie doive encore apprendre à les utiliser.

Par inertie, le Kremlin est accusé d’ambitions impériales, bien qu’en réalité l’approche change rapidement. Les idées abstraites de la domination russe ou de la "sphère des intérêts privilégiés" cèdent la place à un calcul objectif: le calcul de ce qui est avantageux, et de ce qui ne l’est pas. Les relations avec l’Ukraine, généralement débordant d’émotions et de réminiscences historiques, seront comme toujours un indicateur des changements. Admettons, deux gazoducs de contournement, Nord et South Stream, seront construits et, par conséquent, la dépendance de la Russie envers l’Ukraine diminuera fortement. On se demandera alors si l’Ukraine est vraiment aussi importante pour la Russie qu’on le pensait. Et la réponse à cette question servira de girouette qui indiquera la voie de l’évolution future de la Russie et de ses voisins.

L’opinion de l’auteur ne coïncide pas forcément avec la position de la rédaction

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