La Russie et l’Union européenne rivalisent d’imprévisibilité

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Fedor Loukianov - Sputnik Afrique
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Le sommet UE-Russie s’est récemment achevé à Bruxelles. Cette fois la situation est plutôt inhabituelle. Le président russe Dmitri Medvedev y a participé en tant que chef de l’Etat sortant, par ailleurs le monde entier estime que la situation en Russie a changé après les législatives, et que la stabilité politique habituelle cède place à une nouvelle période.

Le sommet UE-Russie s’est récemment achevé à Bruxelles. Cette fois la situation est plutôt inhabituelle. Le président russe Dmitri Medvedev y a participé en tant que chef de l’Etat sortant, par ailleurs le monde entier estime que la situation en Russie a changé après les législatives, et que la stabilité politique habituelle cède place à une nouvelle période. Quant à l’UE, la situation est complètement incompréhensible.

Très récemment les discours sur l’éventuel effondrement de l’euro et qui plus est de l’Union européenne étaient considérés comme exagérément alarmistes et même de mauvais ton, mais aujourd’hui ce thème est devenu parfaitement légitime. Je dirais même plus: il est d’usage de faire peur pour pousser les dirigeants européens à accomplir des démarches décisives et à prendre conscience de leur responsabilité.

A une semaine de la réunion russo-européenne à Bruxelles s’est tenu le sommet de l’Union européenne. Il a été proclamé victoire historique. Bien que le Royaume-Uni se soit opposé au continent, l'initiative franco-allemande de mettre en place une union budgétaire et fiscale semble avoir été acceptée par les autres. Les mesures visant à unifier la politiquer économique et à durcir considérablement la discipline budgétaire et financière sont nécessaires. Mais n’est-il pas trop tard?

En fait, il est question de fédéraliser, de restreindre significativement les souverainetés au profit des organismes supranationaux. Un tel projet avait probablement des chances d’être approuvé dans la seconde moitié des années 1990, lorsque l’intégration européenne était à son apogée et que les plans étaient très ambitieux. Aujourd’hui, l’atmosphère a changé et a cédé la place à l’attente de l’échec du projet et à la tension croissante entre les Etats, à l’incompréhension de la situation et du sens des mesures prises de la part de la population des pays membres, ainsi qu’à la méfiance envers les élites et le leadership peu convaincant.

Les mesures visant à augmenter la responsabilité et à approfondir l’intégration devront être prises dans ces circonstances. Les concertations seront déjà assez pénibles. Mais ensuite le document devra être ratifié par tous les Etats membres. Les problèmes surviendront pratiquement partout, et là où un référendum est nécessaire pour l’approbation, la situation pourrait devenir complètement désespérée. Même les chefs d’Etat et de gouvernement qui ont soutenu la semaine dernière le nouveau document ne sont pas forcément prêts à vivre selon un règlement aussi strict. Par exemple, Nicolas Sarkozy a récemment déclaré que Paris n’avait pas l’intention de renoncer à sa souveraineté.

Le refus de Londres de se joindre à la nouvelle phase d’intégration (la République tchèque, la Hongrie et la Suède hésitent également) marque le début du processus inévitable de stratification de l’Union européenne en Etats de catégories différentes. On parle depuis longtemps d’une Europe à deux vitesses, mais à chaque fois l’idée était catégoriquement rejetée comme contraire aux principes initiaux de l'équité. Désormais, cette idée se réalisera d’elle-même.

La Russie est un client important de l’Union européenne, qui à son tour est le principal partenaire commercial et économique de la Russie. Et la Russie commence également à se demander quelles pourraient être les conséquences de la crise fondamentale de l’intégration. Il est évident que l’effondrement brutal de toute la structure (de l’euro, et dans le pire des cas de l’UE) provoquera un immense cataclysme qui précipitera le monde dans la récession et affectera aussi la conjoncture des matières premières, vitale pour la Russie.

Mais en supposant que le scénario catastrophique puisse être évité, après tout les puissances européennes y sont particulièrement intéressées, la transformation de l’UE pourrait s’avérer favorable à la Russie. Du moins, la "resouverainisation" signifie que les grandes puissances de l’UE, ne comptant plus sur l’Union en tant que leur représentant sur l’échiquier mondial, s’efforceront d’établir par leurs propres moyens des relations avec les puissances importantes. La Russie en fait évidemment partie. L’Union européenne ne disparaîtra pas en tant qu’instrument de réalisation des intérêts, lorsqu’ils ont été concertés. Ainsi, par exemple, le russe Gazprom, qui subit dernièrement en Europe une pression coordonnée que l’on fait passer pour des mesures anti-monopoles, ne devrait pas compter sur une situation plus favorable. Là où les intérêts de divers pays coïncident, ils utiliseront activement les institutions centralisées. Mais il existe également des secteurs où les intérêts de différents Etats à l’égard de la Russie divergent, ce qui offre plus de possibilités de manœuvre.

Les problèmes économiques qui pourraient survenir en Union européenne au fur et à mesure de l’aggravation de la crise d’intégration forceront certains pays, ainsi que la communauté en général à témoigner plus d’intérêt pour les marchés importants et prometteurs. De même que les capacités financière russes seront très utiles pour l’Europe, sachant que pour l’instant Moscou dispose d’importantes réserves. Ainsi, l’aggravation de la crise en UE pourrait, aussi étrange que cela puisse paraître, favoriser l’initiative de la diplomatie russe concernant l'instauration du régime sans visas. Pour la bonne et simple raison que les Européens eux-mêmes voudront lever les barrières inutiles pour l’interaction économique. Le document sur l’avancée vers un régime sans visas adopté au cours du sommet EU-Russie est en principe un pas en avant, car il stipule des mesures concrètes. Toutefois, le fait que les étapes ultérieures ne soient pas indiquées est troublant. La mise en œuvre des conditions concertées ne conduira pas à l’annulation automatique des visas pour des séjours de courte durée. Une décision politique doit être prise par la suite, or elle implique des facteurs qui n’ont rien à voir avec l’essence de la question.

Le contexte des relations entre la Russie et l’Union européenne change, et si auparavant il était d’usage de considérer la Russie comme imprévisible, désormais les Européens ne sont plus très loin de la Russie dans ce sens. L’intrigue devient de plus en plus intéressante.

 

L’opinion de l’auteur ne coïncide pas forcément avec la position de la rédaction

 

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