Une loi soumise à la Douma prévoit de réinstaurer l'élection directe des gouverneurs de région, supprimée en 2004. Cherchant à faire écho aux récents griefs démocratiques de la société russe, la décision s'inscrit dans une dynamique plus large de décentralisation du pays.
Dmitri Medvedev a soumis à la Douma (chambre basse du parlement) une proposition de loi visant à réinstaurer l'élection directe des gouverneurs. Actuellement, le parti vainqueur des élections régionales soumet au président une liste de candidats, dont le choix est confirmé par le parlement local. Une situation qui profite largement au parti au pouvoir Russie unie, qui détient la majorité absolue dans 81 des 83 parlements régionaux.
Ce système n'a jamais convaincu l'opposition parlementaire, qui a contre-attaqué en soumettant plus de 20 projets de loi à la Douma, en vain. Mais les temps changent. En décembre 2011, les Russes descendaient à deux reprises dans la rue pour contester les fraudes survenues lors des élections législatives. Ce "coup de gueule" d'une classe moyenne principalement citadine a rapidement porté ses premiers fruits: dans son message annuel adressé au parlement, Medvedev a présenté un projet de réforme politique globale.
Parmi les engagements, le président mentionnait des mesures visant à déverrouiller le système politique, afin de donner plus de représentation aux candidats de l'opposition et des petites formations. Mais la mesure la plus symbolique concernait la question controversée de l'élection des gouverneurs, supprimée en 2004 sous la présidence de Vladimir Poutine. Une décision qui faisait suite aux attentats de Beslan, révélateurs selon le chef de l'Etat de l'époque de l'incurie et du manque de fidélité des autorités régionales. L'annulation de la mesure avait été dénoncée, en Occident notamment, comme un recul des institutions démocratiques.
La présentation des candidats devrait désormais être facilitée: en vertu de la nouvelle loi, tous les partis enregistrés pourront proposer leurs candidats au poste de gouverneur de région, a annoncé lundi Larissa Brytcheva, assistante du président. La décision, si elle est effectivement appliquée, entrera en résonnance avec une autre initiative proposée par Medvedev dans le cadre de sa réforme politique: simplifier l'enregistrement des partis politiques à partir de 2013. Selon ce document, un parti devra compter au moins 500 membres, contre 50.000 actuellement.
Les gouverneurs resteront cependant sous le strict contrôle du pouvoir central. Le projet de loi prévoit en effet un "filtre présidentiel", qui se traduira par des négociations entre les partis et le chef de l'Etat, un concept encore flou qui suscite une grande méfiance au sein de l'opposition; il se pourrait que le président choisisse une candidature parmi une liste avancée par chaque parti, a précisé Mme Brytcheva.
Comme par le passé, le président pourra alléguer la "perte de confiance" afin de limoger un chef de région, notamment pour ceux qui se seraient rendus coupables de corruption. Ce motif avait déjà été invoqué contre l'ancien et tout puissant maire de Moscou Iouri Loujkov, qui avait bâti une fortune en acoquinant la mairie et l'entreprise de sa femme, une entrepreneuse du domaine des BTP.
Re-décentralisation?
Le retour à l'élection directe des gouverneurs marque, de façon plus large, une amorce de décentralisation du pays, dont témoigne également l'engagement fourni par Dmitri Medvedev à donner plus de liberté aux régions dans le domaine budgétaire. Cette dynamique est nouvelle, et fait suite à la "recentralisation" féroce qui a marqué la présidence de Vladimir Poutine, connue sous l'expression "verticale du pouvoir". La politique visant à limiter l'influence et le champ de manœuvre des chefs de région s'est notamment traduite, courant 2010, par le départ ou le limogeage de certaines figures locales (trop) charismatiques.
Ces "dinosaures politiques" avaient enraciné leur influence sous Boris Eltsine, qui n'hésitait pas à brader l'autorité du centre afin d'obtenir des régions le soutien nécessaires à la mise en œuvre des réformes ("prenez autant de souveraineté que vous pourrez en emporter", avait-il déclaré). Aux commandes de leurs républiques respectives depuis de nombreuses années, ils incarnaient une dynamique de résistance politique au pouvoir central. Conscients de leur popularité locale, Iouri Loujkov, Mintimer Chaïmiev (Tatarstan) et Mourtaza Rakhimov (Bachkortostan) avaient d'ailleurs réclamé à plusieurs reprises le retour à l'élection directe des gouverneurs; ces déclarations ont, dans les trois cas, précipité leur chute*. Le départ de ces "poids lourds" semble avoir préparé la nouvelle vague de décentralisation du Kremlin, qui n'est pas décidé à perdre la main sur la politique des régions.
Cette tendance centrifuge comporte enfin un intérêt stratégique. Les récentes manifestations visant à réclamer des élections propres étaient, dans une certaine mesure, la conséquence de la trop grande concentration du pouvoir entre les mains de Russie unie à tous les échelons de la Fédération. Cette mainmise excessive sur la politique a fait du parti présidé par Vladimir Poutine l'unique bouc émissaire aux yeux des mécontents.
Parce qu'elle permet au pouvoir central de décharger une partie de sa responsabilité politique sur les autorités locales, la décentralisation est une manœuvre extrêmement bienvenue quand la situation économique se complique et que le mécontentement social augmente. Les années à venir devraient, sans le moindre doute, répondre à ces deux critères.
* Une nouvelle série de départs de gouverneurs s'est produite en ce début d'année, dans les régions où Russie unie a obtenu des résultats jugés médiocres.
L’opinion de l’auteur ne coïncide pas forcément avec la position de la rédaction.
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