Convergences électorales

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Hugo Natowicz - Sputnik Afrique
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La campagne électorale touche à sa fin en Russie. Elle s'intensifie en France, avec l'annonce des principales candidatures et la montée en puissance du débat. Derrière des situations profondément différentes, quelques convergences s'esquissent.

La Russie, jeune pays né des cendres de l'URSS, a connu à la veille de l'élection présidentielle une véritable ébullition politique, qui pourrait déboucher sur des mutations et des réformes en profondeur. En France, où l'élection présidentielle aura lieu en mai, la situation semble inverse: l'appauvrissement du débat, sans commune mesure avec la situation gravissime dans laquelle se débat l'Europe, laisse songeur. Derrière des situations géopolitiques très différentes (pays émergent vs. pays développé, tradition démocratique vs. passé totalitaire), on remarque en cette période électorale une série de parallèles. 

Le premier, ce sont les signatures nécessaires afin de permettre aux candidats de se présenter à la présidentielle. C'est un filtre qui fonctionne de manière différente dans les deux pays, mais qui a fini par déboucher sur des effets sinon similaires, du moins comparables, et pervers, dans tous les cas.

En Russie, où le parti au pouvoir s'est efforcé de verrouiller le système politique, les signatures sont exigées des candidats indépendants ou appartenant à des partis non représentés au parlement. Il s'agit principalement des forces nationalistes et libérales du pays. Leur non-représentation au parlement, liée à des résultats médiocres aux dernières législatives (pour le parti libéral Iabloko) ou à leur absence pure et simple de l'échiquier (nationalistes, si l'on ne tient pas compte du défouloir que constitue le parti LDPR, représenté au parlement), les force à collecter deux millions de signatures afin de présenter une candidature à la présidentielle. L'étape des signatures n'est pourtant pas qu'une simple formalité: les candidats gênants sont systématiquement disqualifiés, les autorités invoquant généralement des signatures invalides. Ce fut le cas de Mikhaïl Kassianov, ancien premier ministre, pour la présidentielle de 2008, et de Grigori Iavlinski en 2012. Il est à noter que l'oligarque Mikhaïl Prokhorov, qui bénéficie du soutien tacite des élites politiques russes, a obtenu la validation de ses signatures et pourra se présenter à la magistrature suprême.

En France, le système des parrainages d’élus locaux nécessaires à l'acceptation des candidatures a aussi fini par se transformer en arme politique, qui soumet la représentativité du scrutin au bon vouloir des deux partis les plus représentés au niveau local. Officiellement destiné à écarter les candidatures fantaisistes, ce système s'est avec le temps mué en instrument permettant aux élites de contrôler le champ politique, en compliquant l'accès des candidats nouveaux, ou jugés problématiques, aux élections.

Cette arme a eu pour effet le plus palpable de mettre hors jeu certains partis nationalistes ou souverainistes, qui menacent de sortir le pays du giron de l'Union européenne. Une velléité impensable à l'heure où les dirigeants de l'UE souhaitent profiter de la crise pour faire le "grand saut" vers plus d'intégration économique et encore moins de souveraineté politique des Etats, en excluant toute alternative. Pourtant, le nationalisme n'est pas la seule cible de ce système qui, plus largement, pose un frein sérieux au renouvellement des classes dirigeantes. Dans les deux cas, le système des signatures traduit la fossilisation des élites, qui s'efforcent de contrôler le système politique en y apposant leur propre "filtre".

Peut-on indéfiniment maintenir l'équilibre social en réduisant au silence certaines parties du spectre politique? On l'a vu en Russie, le pari est risqué: la trop longue exclusion des courants libéraux a provoqué une révolte des classes moyennes et instruites. Si le mouvement de contestation n'est pas parvenu à s'unifier derrière un leader et un slogan clair, ceci n'a pas empêché la contestation de forcer le pouvoir à engager un processus de réforme. Le verrouillage du système menace de faire déborder le débat politique dans les rues: on a d'ailleurs retrouvé libéraux et nationalistes côte à côte lors des meetings d'opposition, faisant redouter un rapprochement durable entre ces tendances.

Les courants nationalistes constituent d'ailleurs un casse-tête pour les pouvoirs en place de Russie comme de France. Considérée trop dangereuse pour être admis dans l'arène politique telle quelle, plusieurs techniques ont été mises en place afin de parer cette tendance. La Russie a opté dans un premier temps pour le "nationalisme light": le LDPR, dirigé par le trublion Vladimir Jirinovski, a longtemps servi de paratonnerre destiné à canaliser les forces nationalistes, rendant un grand service au pouvoir; échappant au système censé les contrôler, des hooligans organisaient pourtant un véritable pogrom sous les murs du Kremlin en décembre 2010. En France, l'abolition du scrutin proportionnel est parvenue à maintenir, tant bien que mal, le nationalisme à des niveaux modestes: le Front national ne compte aucun député à l'Assemblée nationale, alors qu'il enregistre entre 15 et 20% des intentions de vote à l'échelon national.

En France comme en Russie, la montée en puissance des tendances nationalistes a forcé les partis au pouvoir de Russie et de France à intégrer leur discours afin de séduire l'électorat solide qu'il représente. Cet effort d'appropriation de la rhétorique nationaliste est visible en Russie, où la plupart des forces politiques ont cherché à donner des gages aux nationalistes, parti au pouvoir en tête (en témoignent les mesures musclées annoncées par Poutine pour lutter contre l'immigration clandestine et imposer des examens aux migrants). Il l'est encore plus en France, où les initiatives du pouvoir (burqa, laïcité) et les "dérapages contrôlés" de certains membres du gouvernement visent à séduire cette partie de l'électorat, comme autant de clins d'œil en période électorale.

Comparaison n'est pas raison. Ces parallèles ne sous-entendent pas une similarité des pouvoirs ou  envore du phénomène complexe qu'est le nationalisme dans ces deux pays. Solidification des élites, captation de l'électorat nationaliste: la crispation qui règne en cette veille d'élections révèle pourtant que des questionnements proches parcourent les sociétés européennes, comme autant de lames de fond. Il conviendra de suivre comment les gouvernements sauront les gérer au milieu d'une incertitude mondiale croissante.

 

 

L’opinion de l’auteur ne coïncide pas forcément avec la position de la rédaction.

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