Viktor Tsoï, étoile filante du rock russe

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Hugo Natowicz - Sputnik Afrique
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Un an avant la chute de l'URSS disparaissait Viktor Tsoï, figure éphémère et marquante de la scène rock russe naissante. Aujourd’hui encore, sa mémoire reste chère au cœur d’un grand nombre de Russes: peu d'artistes modernes ont fait l'objet d'un tel culte.

Hugo Natowicz, pour RIA Novosti

Né d'un père d'origine coréenne et d'une mère russe à Léningrad (Saint-Pétersbourg), Viktor Tsoï étudie dans un premier temps les arts plastiques. Une carrière brisée par une passion irrépressible pour la guitare. Rapidement, il décide de se lancer pleinement dans la musique. Le rock plus précisément, à une époque (la fin des années 1970) où une telle vocation ne va pas de soi. Tsoï commence à fréquenter les milieux underground locaux, et devient bassiste du premier groupe punk russe, les "Satisfacteurs automatiques". En ce début de Perestroïka, le chanteur connaît de graves difficultés personnelles: il commettra une tentative de suicide et traversera une profonde crise créative au milieu des années 1980. Pour gagner sa vie, il enchaîne les petits boulots, et fera notamment le ménage dans un sauna.

Après une phase de gestation à Léningrad, creuset intemporel des grandes tendances artistiques russes, c'est à Moscou que Tsoï connaîtra son envol, réactivant le schéma de concurrence entre les deux "capitales". En quittant sa ville natale, l'artiste s'émancipe des célébrités du rock léningradois, et commence à se faire un nom. La rupture est aussi bien artistique que personnelle: la rencontre avec Natalia Razgolova, qui deviendra sa seconde femme, sera déterminante pour le chanteur. Avec l'apparition de Tsoï dans le film Igla (aiguille), l'artiste et son groupe Kino sont projetés dans la gloire.

Kino, groupe inclassable au confluent de la pop, de la new-wave et du rock, avec des accents punk, est accueilli par des stades combles et des fans hystériques lors des concerts en Russie et en Ukraine, ainsi que dans les pays d'ex-URSS. Le rythme des tournées s'accélère de façon vertigineuse: au cours des sept premiers mois de l'année 1990, le groupe donnera plus de 70 concerts aux quatre coins de l'immense pays. Une montée en puissance qui débouchera sur l'épuisement du chanteur et sa mort prématurée. Le dernier concert se tient au stade Loujniki de Moscou, dans une ambiance survoltée.

Accompagné de son groupe Kino, Tsoï a su incarner les aspirations et les désillusions d'une sacrifiée, celle de la guerre d'Afghanistan et de la Perestroïka. D'une voix basse et lancinante, il chante le quotidien gris (Chagrin), ces objets rassurants de la vie de tous les jours (Un paquet de cigarettes), la solitude et l'angoisse de l'avenir (Coucou). Un de ses tubes les plus marquants est sans doute Une étoile nommée soleil, qui conte le sacrifice des jeunes générations dans des guerres insensées, et la chute icarienne de celui qui tente de réaliser ses rêves.
 
"Deux mille ans de guerre

Sans cause particulière.

La guerre, les jeunes c'est leur affaire

Un médicament contre les rides

Du sang rouge sur le sol, rouge vif

Dans une heure ce sera juste de la terre

Dans deux heures y pousseront des fleurs et de l'herbe

Dans trois heures elle sera de nouveau en éveil

Chauffée par les rayons d'une étoile nommée soleil.

 

On le sait bien, ça a toujours été comme ça

Le destin a toujours préféré

Ceux qui vivent selon les lois des autres

Ceux qui sont voués à mourir jeunes.

Il a oublié les mots oui et non.

Oubliés, les médailles et les noms.

Il est capable de s'élancer jusqu'aux étoiles

Sans considérer que c'est un rêve

Avant de chuter, brûlé, par une étoile nommée Soleil"

 

Certains ont vu dans ses chansons un sens politique (Changement), l'auteur insistant quant à lui sur la liberté d’interprétation de chacun. C'est peut-être le flou de sa poétique qui fait l'intemporalité de ce tube, systématiquement diffusé lors des récentes manifestations de l'opposition. Plus qu'un bouleversement politique, Peremen (le titre en russe) décrit surtout la révolution intérieure, sociale, et esthétique qui caractérise l'époque. Une "révolution des consciences", selon le critique musical Artemi Troitski. Si Tsoï touche, c'est aussi en raison de la tristesse de ses chansons, tellement en phase avec ce qu'il est convenu d'appeler l'"âme russe". De sa voix lancinante, il a incarné à la perfection le sentiment de mélancolie qui enveloppe les années grises de la Perestroïka.

Tsoï est mort au faîte de sa gloire le 15 août 1990 dans un accident de la route à quelques kilomètres de Riga (Lettonie), non loin de la datcha où l'artiste se reposait avec sa femme et son fils. Si les circonstances de son décès sont entourées de mystère, il semblerait qu'il se soit endormi au volant de sa voiture. L'onde de choc de sa disparition est énorme, et contribue à en faire une icône. Un culte qui s'est même propagé aux générations nées après sa mort, dont témoigne la phrase culte "Tsoï jiv" ("Tsoï est vivant").

Sorte de Jim Morrison russe, sa tombe située dans le cimetière Bogoslovskoie de Saint-Pétersbourg est toujours le repaire des fans, qui viennent y chanter ou s'y recueillir autour d’une bière. A Moscou, un mur tagué lui est consacré sur la mythique rue Arbat, non loin de la statue d’un autre chantre russe, plus classique certes, Boulat Okoudjava. Un conflit avait d'ailleurs éclaté suite aux projets visant à détruire ce mur situé sur l'une des rues les plus touristiques de Moscou. Des associations de jeunesse étaient toutefois parvenues à obtenir sa conservation.

Chantre d’une étoile nommée soleil, le legs de Tsoï est extrêmement vivace. En scrutant le ciel, peut-être trouverez-vous l’astéroïde N°2740, baptisé en l’honneur de la star. Voici quelques pistes pour écouter ce chanteur discret et touchant, "dernier héros" d'un pays disparu un an après lui.

 

L’opinion de l’auteur ne coïncide pas forcément avec la position de la rédaction.

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