Le même président, mais une autre Russie?

© Photo Mikhail Kharlamov/ Marie Claire RussiaSvetlana Koltchik
Svetlana Koltchik - Sputnik Afrique
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Dans la soirée du lundi 6 mars, le lendemain des élections présidentielles, je marchais le long de la rue Tverskaya, artère principale du centre de Moscou qui relie la place Rouge avec la place sur laquelle allait avoir lieu les manifestations de protestation.

Dans la soirée du lundi 6 mars, le lendemain des élections présidentielles, je marchais le long de la rue Tverskaya, artère principale du centre de Moscou qui relie la place Rouge avec la place sur laquelle allait avoir lieu les manifestations de protestation. En chemin, des douzaines de véhicules militaires et de nombreux policiers anti-émeute lourdement armés se tenaient prêts, comme si la capitale russe risquait une invasion ennemie majeure. Observer cette escorte menaçante n’était pas agréable, tout comme je n’étais pas contente du résultat des élections.
 
Pourtant, au fond, mon cœur se réjouissait. Je savais que j’étais loin d’être la seule à être mécontente, et cela était plutôt encourageant. Tout le monde dans mon large cercle d’amis et de connaissances, y compris ceux qui vivent à l’étranger, étaient allés voter le jour précédant. Beaucoup, moi y compris, sont allés voter pour la première fois depuis très longtemps (la dernière fois que j’ai voté c’était en 1996, je venais d’avoir 18 ans. Je passais cet être-là en Californie. Une journée de shopping à San Francisco  était alors une motivation suffisamment forte pour justifier un voyage matinal de trois heures entre la ville endormie de Modesto où je vivais et le consulat russe). Cette fois-ci, dans mes choix non plus, je ne me suis pas distinguée. Il s’avère que je ne connais personne qui ait voté pour le « Candidat no 1 ». Et maintenant, mon téléphone sonnait sans arrêt : des amis voulaient savoir à quel endroit nous pouvions tous nous retrouver à l’imminente manifestation. Certains d’entre eux n’avaient pas dormi la nuit précédente, s’étant portés volontaires pour surveiller le scrutin.
 
Ainsi, malgré les flics et le reste, pour moi c’était clairement une Russie un peu différente.
 
« Nous avons observé le décompte des voix et révélé de faux votes pour Poutine. Et vous, qu’avez-vous fait hier ? » disait une grande pancarte à la manifestation. Elle était tenue par un beau couple dans leur vingtaine qui me rappelait les observateurs des élections que j’ai rencontré la veille au bureau de vote de mon quartier. Certains étaient également vraiment très jeunes. J’ai demandé à Anna, une chercheuse en physique de 26 ans à la voix douce qui arborait un imposant appareil photo, un dictaphone numérique et un grand cahier, ce qui l’avait amenée à sacrifier tout son week-end pour observer des élections dont le résultat était plutôt prévisible. « Je me sens responsable de ce qu’il se passe dans le pays et je voulais apporter ma contribution, » dit Anna, affiliée à l’un des candidats à la présidentielle, Mikhaïl Prokhorov.
 
Cette fois-ci, elle n’était certainement pas la seule. Beaucoup de ceux qui se sont également portés volontaires pour observer les élections ont dit avoir ressenti la même chose. « C’était mon devoir de citoyen de faire en sorte que le vote se déroule sans violations, du moins dans mon bureau de vote, » dit ma amie proche Julia, 33 ans mère de deux enfants qui travaille et qui, avec son mari, ont passé la nuit entière à surveiller le dépouillement du scrutin dans deux différents bureaux de vote dans leur quartier.
 
Il me semble que, grâce à Internet et à quelque autres facteurs comme une relative stabilité économique, une toute nouvelle génération de russes a émergé. Pour l’instant,  ils ne l’emportent qu’à Moscou et dans une poignée d’autres grandes villes russes. Certains les qualifient de nouvelle « classe créative » sous-entendant une certaine éducation et statut économique, d’autre les appellent « les citoyens en colère » (le terme provient d’Allemagne qui a aussi vu récemment la naissance d’un phénomène de Wutburger, de gens qui protestent contre les politiques injustes du gouvernement). En tout cas, ce sont les gens qui s’IMPLIQUENT. Ils ont le temps, le courage et la volonté de remettre en question les autorités et de combattre la corruption avec les ressources disponibles. Leurs moyens vont de « l’écriture de blog en colère » aux actions devant les tribunaux, à l’engagement philanthropique et la participation à des manifestations de rue.
 
Jusqu’à très récemment, je pensais que la machine de la corruption d’état en Russie était si puissante qu’un individu était désespérément impuissant face à elle. C’est probablement encore le cas, mais les choses ont commencé à changer. J’observe un nombre croissant de gens autour de moi qui croient que la responsabilité civique est d’abord une responsabilité individuelle motivée par la dignité et le respect de soi. Ces principes de base sont essentiels dans les sociétés aux démocraties matures, mais ici, ils commencent seulement à prendre forme. Et cela, je crois, a le potentiel de provoquer un changement majeur.
 
« Un pays pourrait être encore le même, mais les gens sont déjà différents » dit mon amie de longue date Katia, qui travaille dans la finance. Jusqu’à il y a peu, des questions telles que la politique et les devoirs civiques n’avaient que peu d’écho chez cette jeune femme aisée de 34 ans qui aime le shopping et les voyages. Pourtant, dans les derniers mois, cette jeune femme s’est transformée en une activiste sociale culottée participant à toutes les manifestations et écrivant non-stop dans des blogs. Je connais des douzaines, si ce n’est des centaines de filles comme Katia un peu partout. Ce qu’elles font peut semble à premier abord de petites choses mais néanmoins cela établit un exemple qui soit une source d’inspiration pour les autres.
 
Les changements en Russie semblent avoir commencé à se produire non pas de haut en bas comme c’était toujours le cas, mais de bas en haut. Cela pourrait prendre plus de temps, mais c’est un processus évolutionnaire plus sûr et plus stable. J’espère seulement que cette métamorphose est irréversible, quelque soit la personne au pouvoir.

L’opinion de l’auteur ne coïncide pas forcément avec la position de la rédaction.

* Svetlana Koltchik, 33 ans, est la rédactrice en chef adjointe de l'édition russe du magazine Marie Claire. Elle est diplômée de la faculté de journalisme de l'Université de Moscou et de l'Ecole de journalisme de l'Université de Columbia à New York. Elle a travaillé dans l'hebdomadaire russe Argumenty i Fakty à Moscou, le journal USA Today à Washington et a écrit pour RussiaProfile.org ainsi que pour les éditions russes de Vogue et de Forbes.

La Russie a été toujours considérée comme une femme, et la notion de femme russe reste le stéréotype le plus répandu à l'égard des Russes, au sens positif mais aussi négatif. Mais n'est-ce qu'une fantaisie des hommes? Voilà une femme russe moderne, travailleuse et, disons, de plus en plus consciente de la globalisation, qui expose sa vision des tendances du monde contemporain, évoquant des questions de genre ainsi que des thèmes sociaux plus larges. Elle parle et laisse parler les autres femmes.

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