Russie-Chine, changement d'équilibre?

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Fedor Loukianov - Sputnik Afrique
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La version finale de la Stratégie-2020 publiée la semaine dernière comporte un certain scoop, auquel on n'a pas encore accordé toute l'attention qu'il mérite.

La version finale de la Stratégie-2020 publiée la semaine dernière comporte un certain scoop, auquel on n'a pas encore accordé toute l'attention qu'il mérite. Dans la partie du document consacrée aux questions de l'économie et de la politique étrangères de la Russie, il est dit: "Les principaux risques pour la Russie associés à l'apparition de nouveaux "centres de force" sont dus à la montée du potentiel économique et du rehaussement du statut international de la Chine."

Selon les auteurs, la transformation imminente du yuan en une monnaie mondiale, puis d'investissement et de réserve pourrait conduire à la déstabilisation du système monétaire international et à la limitation des possibilités d'utilisation du rouble russe dans les transactions internationales." "La haute compétitivité de l'industrie de traitement chinoise continuera d'être un facteur d'évincement des producteurs russes fabriquant des marchandises similaires du marché russe et fera obstacle à l'expansion du commerce et des investissements des entreprises russes à l'étranger." "Le renforcement des positions de la Chine en Asie centrale est capable de saboter les perspectives d'implication de cette région dans les projets d'intégration russes." Enfin, "le comportement plus actif en termes de négociation et d'intervention de la Chine en tant que "nouveau membre riche" du "club des leaders mondiaux", le renforcement du format G2 (Etats-Unis et Chine) dans la gestion des processus économiques dans le monde et l'augmentation de l'influence de la Chine au sein du Fonds monétaire international (FMI) et de l'Organisation mondiale du commerce (OMC)" nuiront au développement des pays tiers, notamment de la Russie.

Toutefois, par la suite le document précise qu'il est impossible d'accélérer la modernisation de la Russie, notamment de la Sibérie et de l'Extrême-Orient russes, "sans utiliser les capacités financières, d'innovation et d'investissement de l'Asie-Pacifique en tant que source de développement de l'économie du pays. La Chine est un partenaire prioritaire de la Russie en Asie-Pacifique."

La Stratégie-2020 est le résultat du long travail de divers experts. Pendant la dernière étape, qui a demandé 18 mois, sur ordre du premier ministre russe Vladimir Poutine a été créé un organisme composé d'une vingtaine de groupes de travail dirigé par deux économistes libéraux, Iaroslav Kouzminov du Haut collège d'économie et Vladimir Maou de l'Académie d'économie nationale. Bien que le document publié ne reflète pas entièrement le programme d'action du futur président et du gouvernement russes, il décrit la situation et les mesures à accomplir. Le statut de celui qui a commandé la recherche confère à cette dernière davantage d'importance, bien qu'on ignore généralement dans ce genre de cas dans quelle mesure le document reflète les idées des auteurs ou les desiderata de l'initiateur.

Quoi qu'il en soit, jusqu'à présent en Russie on n'avait encore jamais dit aussi ouvertement et clairement dans des documents d'un tel niveau que la croissance et le développement de la Chine représentaient en fait une menace. Dans son récent article sur la politique étrangère, publié à une semaine de l'élection présidentielle, Vladimir Poutine a rapidement mentionné les problèmes existants, par exemple, dans le domaine de l'immigration, mais il était très positif à l'égard de la Chine pour tout le reste. En particulier, le futur président a écrit que la Russie devait gonfler les voiles de son économie avec le vent chinois. Le ton de la Stratégie-2020 signifie-t-il un changement d'approche?

Il ne faut très probablement pas tirer des conclusions allant trop loin en s'appuyant sur ce texte. Le statut semi-officiel du document permet toujours de s'en distancier. C'est probablement ce qui se passera, lorsque les camarades chinois demanderont des explications à leurs collègues russes. Et cela arrivera forcément, car Pékin ne laisse jamais les déclarations de ce genre passer inaperçues. Certes, on peut écrire tout ce qu'on veut sur l'Otan et les Etats-Unis sans craindre une réaction de leur part, mais ce n'est pas le cas de la Chine.

Cependant, il existe bien sûr des craintes non exprimées associées à la croissance de la Chine en Russie. Dans l'histoire contemporaine, la Russie est pour la première fois plus faible que son voisin, d'autant plus que l'écart continuera à se creuser. Cela incite à réfléchir à un nouveau modèle de comportement, à la manière de cohabiter avec la Chine telle qu'elle est aujourd'hui et surtout dans 5-10 ans, si la dynamique actuelle se maintient. Et la recherche de la réponse à cette question sera la partie principale de l'ordre du jour du futur président Poutine, bien qu'il soit tout de même plus intéressé par l'Europe et l'Occident, qu'il comprend, que par la Chine qu'il a parfois du mal à comprendre.

Toutefois, on ignore pourquoi il faut exprimer de telles craintes dans un document d'une telle importance, car il n'est pas question d'une quelconque politique hostile de Pékin envers Moscou, mais des effets connexes associés au développement de la Chine. (Parmi les préoccupations, l'une d'elles n'est pas justifiée – on ne parle plus de la perspective du G2 depuis deux-trois ans, on a compris que rien de tel ne se produira.) De toute façon, la Russie ne pourrait pas s'y opposer, d'ailleurs elle aurait tort de le faire, et la démonstration d'un tel manque de confiance en soi aggraverait plutôt l'asymétrie des relations que l'inverse.

Il convient tout de même de noter que la Stratégie-2020 contient également quelques propositions concrètes pour équilibrer les capacités de la Russie et de la Chine. On parle notamment de la nécessité de diversifier les partenaires économiques afin que la Chine ne demeure pas le principal et le seul partenaire de Moscou en Extrême-Orient. Cependant, l'alarmisme généralisé demeure présent.

Ces craintes sont explicables, mais il faut les traiter différemment sans les exprimer publiquement. La Russie a besoin d'un programme d'action actif et le plus positif possible à l'égard de la Chine avec de nombreuses propositions et idées de développement conjoint. Ce programme doit émaner de Moscou et être de nature préventive. La passivité conduirait à une situation où Pékin dicterait à Moscou son ordre du jour dans la partie asiatique de la Russie, simplement en l'absence d'alternatives. Et alors l'inquiétude, pour l'instant potentielle, se transformerait en une menace économique tout à fait réelle. Et la Russie n'aurait personne d'autre à blâmer qu'elle-même.


L’opinion de l’auteur ne coïncide pas forcément avec la position de la rédaction

 

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