Sombre présage

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Hugo Natowicz - Sputnik Afrique
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En Espagne, nouvel épicentre des inquiétudes qui minent la zone euro, un projet d'investissement de grande envergure a généré de virulents débats ces dernières semaines dans la presse et l'opinion publique.

En Espagne, nouvel épicentre des inquiétudes qui minent la zone euro, un projet d'investissement de grande envergure a généré de virulents débats ces dernières semaines dans la presse et l'opinion publique. Le magnat américain Sheldon Adelson a jeté son dévolu sur le pays pour accueillir Eurovegas, un projet pharaonique de ville consacrée aux jeux de hasard, inspirée par le Las Vegas américain.

Alors que le pays est miné par un chômage record qui devrait toucher 24,7% de la population en 2012, le richissime entrepreneur, dont le projet emblématique est la Venezia Tower de Las Vegas, a déchaîné les passions en assurant que le complexe ludique devrait créer 164.000 emplois directs et plus de 97.000 emplois indirects. Les investissements devraient s'élever à 18,8 milliards d'euros. Empressés de trouver un moyen de relancer l'économie du pays, les représentants des régions de Madrid et de Barcelone se sont rendus à Las Vegas pour organiser une véritable "opération séduction" en vue d'accueillir le projet sur leur territoire.

12 resorts (36.000 chambres), six casinos, neuf théâtres, trois terrains de golf, une salle de concert avec 15.000 fauteuils... Les chiffres avancés par la Las Vegas Sands Corporation sont éloquents. Mais il y a un hic de taille. Sheldon Adelson a avancé une série de conditions très strictes afin d'investir les sommes en question: s'il souhaite accueillir le projet, l'Etat espagnol devra réviser une partie conséquente de ses lois, ce qui ne va pas sans poser de sérieux problèmes éthiques.

Le magnat exige notamment une modification du droit du travail afin de faciliter l'embauche et les licenciements; un amendement de la Loi sur l'immigration afin d'accélérer l'octroi de permis de travail aux étrangers; deux ans d'exemption d'impôts et sur les cotisations à la sécurité sociale; l'expropriation des terrains censés accueillir le futur Eldorado. Last but not least: l'investisseur exige que les mineurs d'âge et les ludopathes reconnus puissent entrer dans les casinos, où il sera en outre permis de fumer, en contradiction avec la loi nationale.

Législation sur commande

Alors qu'en contexte de crise, la marge de manœuvre politique des gouvernants ne cesse de s'amenuiserface aux impératifs économiques, les diktats de M. Adelson sont inquiétants, et pourraient préfigurer une étape de plus dans le recul de l'Etat au sein des pays européens. L'acceptation des conditions formulées par le magnat signifierait en substance que l'Etat espagnol serait réduit à renoncer, au nom du respect des critères économiques imposés par Bruxelles et les agences de notation, à sa fonction première: la protection des citoyens et la recherche du bien commun. Les vues du milliardaire sur la politique migratoire jettent par ailleurs une lumière crue sur les liens unissant les intérêts du capital et les politiques favorables à l'immigration massive.

De nombreux observateurs ont expliqué comment, sur fond de crise de la dette, les Etats ont été contraints de plier devant les exigences du monde de la finance. Phagocytés par d'anciens représentants des grandes banques d'affaires américaines, telles que Goldman Sachs, les gouvernements des pays européens n'auront bientôt plus que deux fonctions principales: faire cadrer les indicateurs de leurs pays respectifs avec les diktats des agences de notations, en mettant en place des plans de rigueur de plus en plus violents, et contenir, à l'aide de la police, le mécontentent des peuples condamnés à observer passivement la disparition d'acquis sociaux devenus obsolètes. Maintenir les indicateurs économiques dans le "vert", faire régner l'ordre public: la calculatrice et la matraque pourraient constituer les principaux attributs de ce nouvel Etat globalisé, dont la crise en devenir semble sur le point d'accoucher.

Ruiné, impuissant politiquement, concurrencé dans ses fonctions par les intérêts privés: l'Etat pourrait sortir de la crise durablement transformé. Les cas d'école que sont l'Espagne et la Grèce semblent indiquer que nous nous trouverions au "début de la fin" de cet Etat conçu comme une "autorité souveraine s'exerçant sur l'ensemble d'un peuple et d'un territoire déterminés" (Petit Robert). Un recul aux conséquences encore difficiles à cerner, mais dont la situation aux Etats-Unis, caractérisée par la disparition rapide des institutions étatiques (police, pompiers...) et la privatisation croissante de la sphère publique, donne un avant-goût.

L'Eurovegas de M. Adelson présagerait-il un Far West européen déserté par l'Etat, où les entreprises dicteront peu à peu leurs lois?

 

 

L’opinion de l’auteur ne coïncide pas forcément avec la position de la rédaction.

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