Relations Russie-Ukraine: la politique de l'attentisme

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Fedor Loukianov - Sputnik Afrique
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Les présidents de Russie et d'Ukraine se sont rencontrés pour la première fois depuis le retour de Vladimir Poutine au poste de chef de l'Etat.

Les présidents de Russie et d'Ukraine se sont rencontrés pour la première fois depuis le retour de Vladimir Poutine au poste de chef de l'Etat. Les relations russo-ukrainiennes traversent une période curieuse. Rien ne se produit en apparence, et il n'y a pas de conflit apparent, mais dans les rares déclarations des deux camps on perçoit l'insatisfaction mutuelle et la tension.

Deux années se sont écoulées depuis la signature à Kharkov par Dmitri Medvedev et Viktor Ianoukovitch de l'accord qui a reçu le nom "la flotte en échange du gaz". Selon les termes de cet accord, l'Ukraine a commencé à acheter du gaz russe avec une importante remise, ce qui a garantit le stationnement de la flotte russe de la mer Noire en Crimée pratiquement jusqu'au milieu du siècle. A première vue, c'était le début de relations stratégiques privilégiées qui mèneraient à un niveau supérieur. Mais cette impulsion n'a pas connu d'évolution, l'accord de Kharkov n'est resté qu'une transaction isolée, et le reste des idées (russes) pour l'unification des secteurs industriels et la création d'un système de production commun dans le secteur énergétique, la construction aéronautique et la défense se sont arrêtées au niveaux des déclarations. Deux causes à cela. Premièrement, même en ayant un président "prorusse" la société ukrainienne et l'élite politique sont divisées à l'égard de la Russie, Kiev ne peut pas adopter une politique claire et précise envers Moscou. Deuxièmement, les craintes objectives existent qu'étant bien plus forte économiquement et politiquement la Russie absorbera simplement l'Ukraine.

La période d'hésitation a duré près d'un an, alimentée par la lutte politique intérieure en Ukraine, et le procès de l'ex-première ministre Ioulia Timochenko était la cerise sur le gâteau. Parmi les divers chefs d'inculpation qu'on aurait pu avancer contre Timochenko, on a choisi les moins convaincants et les plus aptes à provoquer un conflit politique – les contrats gaziers avec la Russie. Kiev comptait utiliser la condamnation en tant qu'argument pour revoir à la baisse les prix du gaz russe. Le refroidissement des relations avec Moscou a commencé à partir de cette période. En voulant obtenir des concessions sur la question gazière, Kiev a fait des déclarations aléatoires, tantôt en exigeant et en menaçant, tantôt, au contraire, en proposant la coopération. En surmontant la tentation d'une réponse ferme, la Russie a adopté une position d'attente, et ne s'est, apparemment, pas trompée. Depuis l'été dernier, la situation internationale de l'Ukraine a considérablement changé, et pas en mieux. Les relations avec l'Union européenne se sont dégradées en raison de l'affaire Timochenko, et le dialogue gazier n'apporte aucun résultat. La Russie refuse de revoir les accords sous la pression, et ses positions juridiques sont très solides. Et on ne parvient pas à une entente à l'amiable, car Moscou n'est prêt à diminuer le prix qu'à condition que Kiev accepte de partager son système d'acheminement du gaz ou si l'Ukraine adhère à l'Union douanière. La confrontation se déroule dans le contexte des efforts de la Russie pour construire des gazoducs à destination d'Europe – si toutes les "artères gazières" étaient achevées, Moscou n'aurait plus besoin du transit ukrainien.

On n'arrive pas toujours à trouver la logique de la politique ukrainienne. On a l'impression que l'attitude personnelle de Viktor Ianoukovitch envers Ioulia Timochenko prime sur toutes les raisons politiques et économiques. Finalement, la chancelière allemande Angela Merkel a récemment collé à l'Ukraine une étiquette identique à celle de la Biélorussie – des régimes pratiquement dictatoriaux. C'est clairement une exagération, mais c'est très révélateur. Et bien que l'Union européenne souhaite vivement empêcher le rapprochement entre Kiev et Moscou, les hommes politiques ne peuvent pas fermer les yeux sur la situation autour de l'ex-première ministre ukrainienne. Il est à noter que la Russie, qui réagit plus calmement en public, n'approuve pas non plus les autorités ukrainiennes à cet égard. Vladimir Poutine et Dmitri Medvedev se sont exprimés assez sévèrement au sujet de la condamnation et de la détention de Timochenko.

L'été dernier, à la question de savoir si "l'Ukraine adhérera un jour à l'Union douanière", la réponse la plus probable était "non". Le refus et l'impossibilité de faire un choix entre la direction pro-européenne et la direction prorusse distinguaient la politique ukrainienne depuis le début de l'indépendance du pays. Et la tentative de se tourner brusquement d'un côté ou de l'autre se terminait mal – il suffit de rappeler le résultat du gouvernement de l'ancien président ukrainien Viktor Iouchtchenko. Le président ukrainien le plus subtil, Leonid Koutchma, a toujours gardé une marge de manœuvre dans les deux directions.

Cependant, aujourd'hui la situation évolue de manière atypique. On a l'impression que Kiev se prive à dessein de la possibilité de manœuvrer, sans se laisser d'autre choix que celui du rapprochement avec la Russie. Après tout, la situation économique de l'Ukraine est loin d'être brillante, et Kiev a donc besoin d'un partenaire capable de le soutenir. Moscou a une position attentiste, estimant que compte tenu des tendances actuelles dans les relations entre l'Ukraine et l'UE, Kiev n'aura pas le choix.

L'adhésion de l'Ukraine à l'Union douanière se reflèterait sur le niveau de cette organisation. En l'absence de Kiev, c'est une entité prometteuse et intéressante, mais qui reste un prototype. Si l'Ukraine y adhérait, l'Union douanière (à terme l'Union eurasiatique) deviendrait un organisme puissant avec un grand marché intérieur et une économie diversifiée. C'est la raison pour laquelle l'implication de l'Ukraine sera une priorité de Vladimir Poutine, et au lieu des attaques, par lesquelles la politique russe s'est distinguée dans le passé, on a opté pour la tactique de l'attentisme.

 

L’opinion de l’auteur ne coïncide pas forcément avec la position de la rédaction

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