Tumultueux débats

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Hugo Natowicz - Sputnik Afrique
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La Russie a toujours suscité d'interminables débats, notamment en France. Une tendance historique qui s'intensifie dernièrement alors que les manifestations se succèdent dans le pays, phénomène nouveau et marquant des derniers mois.

La Russie a toujours suscité d'interminables débats, notamment en France. Une tendance historique qui s'intensifie dernièrement alors que les manifestations se succèdent dans le pays, phénomène nouveau et marquant des derniers mois. Dans ces discussions souvent enflammées, le vécu personnel et les passions des interlocuteurs prennent souvent le dessus, échappant rapidement à tout cadre de pensée objectif.

Où va la protestation en Russie? Il faut avant tout reconnaître que les attentes sont très fortes en France, où l'on observe une série de manifestations de solidarité instinctive avec l'opposition, des activistes de Pussy Riot aux grévistes de la faim d'Astrakhan, en passant par les opposants interpellés. Dans un pays où la révolution et mai 1968 ont marqué les consciences et où tout élan "libérateur" est perçu avec sympathie, difficile de se montrer sceptique ou même prudent. Il faut prendre parti, et pas n'importe lequel: contre Poutine l'autoritaire, homme à abattre. Toute autre position semble rapidement suspecte. Pourtant, comprendre la situation russe exige pour commencer une prise de distance vis-à-vis de nos penchants et affinités personnels.

Le flou autour des événements de Russie a été entretenu par les arguments d'une presse occidentale souvent connue pour son manque (volontaire?) de recul, et sa vision militante de la réalité de ce pays. La situation y a été abondamment comparée au "printemps arabe", en tentant d'y plaquer hâtivement une problématique (géographique, sociale, historique) inadaptée. Cet éclairage ressort régulièrement dans les débats enflammés au sujet de la Russie, le départ des dirigeants russes étant hâtivement souhaité comme celui de Ben Ali et consorts.

Un peu de prudence et de recul historique s'imposent: la chute d'un régime constitue un risque non négligeable, et il convient d'abord de chercher à savoir si les Russes sont prêts à replonger dans des temps troublés. La Russie, connue pour la révolution de 1917, a été le théâtre d'un bouleversement beaucoup plus récent qui a eu lui aussi une portée dramatique et traumatisante pour le pays: la Perestroïka, et la trop violente transition vers l'économie de marché; une époque marquée par la descente aux enfers économique du pays jusqu'au défaut de paiement de 1998, l'explosion de la toxicomanie et de l'alcoolisme, et une perte des repères généralisée. Mais le pire était ailleurs: dans le sentiment de voir la Russie brusquement rétrogradée du statut de grande puissance dictant les dynamiques mondiales à celui de pays du tiers monde. Une blessure dans la conscience russe qui est loin d'être refermée.

Plaquer, selon le schéma arabe, les attentes d'une hypothétique "libération" sur la Russie est un non-sens: c'est précisément le redressement du pays sur la scène internationale et sa main ferme qui ont valu à Poutine, un ancien du KGB, une longue période de popularité. Sa présidence peut être critiquée, mais le fait est que le Russe moyen a vu son pays regagner les positions douloureusement perdues lors de la transition du communisme à l'économie de marché. Le soutien à M. Poutine a été unanime pendant la décennie 2000, et n'a commencé à se fissurer qu'à la toute fin du mandat de Dmitri Medvedev (2008-2012).

Mais les temps changent, et le souvenir des années 1990 ne grantit plus l'immunité des dirigeants russes. Le "système Poutine" n'est pas en mesure de venir à bout de la corruption, que l'on pourrait comparer à un court-circuit dans la relation entre le citoyen et le pouvoir; les maillons intermédiaires du système étatique parasitant ce dernier pour s'enrichir. C'est de la lutte contre la corruption qu'est notamment né le blogueur Alexeï Navalny, un des leaders de l'opposition connu pour son charisme. L'usure liée au long règne du tandem dirigeant a en outre contribué à créer l'impression qu'un clan monopolisait le pouvoir, suscitant une vague colère qui a immédiatement obtenu de la compassion de l'Occident.

La vigoureuse contestation fait parfois dire que "les Russes" voudraient la fin du régime actuel. Cette généralisation doit être tempérée. Non par sympathie cachée pour les dirigeants du pays ou par mépris pour les manifestants, mais par souci d'objectivité. Vladimir Poutine a été élu avec 63% des voix. Un score qui, même si on retranche une éventuelle composante liée à des fraudes, ne serait pas en dessous de 50%. Les manifestants ne représentent pas toute la Russie. Ils appartiennent principalement à une classe moyenne-aisée concentrée dans les grandes villes. Férue d'Internet, constamment branchée sur Twitter, elle est rompue aux méthodes d'"agit-prop" et n'hésite pas à utiliser son savoir-faire technologique, parfois à la limite de la manipulation. Son envie de changer la Russie est légitime et doit être entendue; c'est de cette catégorie de Russes que dépend l'avènement d'une véritable modernisation du pays. Mais cela ne la dispense pas de respecter la volonté de la majorité.

Pour conclure. L'actualité récente a de quoi refroidir les apôtres de la "libération à tout prix"; les événements qualifiés de "printemps arabe" se sont accompagnés d'un élan d'enthousiasme populaire, médiatique, et politique sans précédent en Occident. La chute d'un "dictateur" étant nécessairement synonyme d'avancée vers la démocratie, il était de bon ton de s'émerveiller des événements en cours. Le doute est venu plus tard, quand différents partis islamistes sont arrivés en tête d'élections en Tunisie et en Egypte, et que la Libye annonçait qu'elle entendait mettre en place une législation basée sur la charia.

Cela ne semble pas inciter à la prudence les contempteurs catégoriques de Poutine. Les forces qui sommeillent dans le pays, et que pourrait libérer une trop violente déstabilisation politique, sont peut-être aux antipodes de ce qu'espèrent les Occidentaux émerveillés par le "printemps russe". A savoir une explosion de l'ultranationalisme, tendance dormante qui a déjà relevé la tête ces dernières années, et qui constitue un des moteurs, et pas des moindres, du mouvement d'opposition qui a éclaté fin 2011-début 2012 (les ultranationalistes sont les ennemis jurés de Poutine). Les Russes rêveraient-ils secrètement d'une démocratie à l'occidentale? A observer les courants qui parcourent la société russe, rien n'est moins sûr.

La sagesse devrait nous inciter à considérer les événements russes avec moins de militantisme, en laissant s'exprimer la lutte entre les forces contradictoires qui animent le pays, et reste pour le moment dans un cadre civilisé. On sait ce que l'on quitte, mais qu'on ne sait jamais ce qu'on trouve, dit le proverbe.

 

 

L’opinion de l’auteur ne coïncide pas forcément avec la position de la rédaction.

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