Quelles perspectives pour la Syrie après le plan Annan?

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Fedor Loukianov - Sputnik Afrique
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Les présidents russe et chinois, Vladimir Poutine et Hu Jintao, se sont exprimés à l'unisson en faveur du plan Annan pour la Syrie, et le ministère russe des Affaires étrangères s'est déclaré préoccupé par le refus déclaré de l'opposition syrienne de respecter ce plan à l'avenir.

Les présidents russe et chinois, Vladimir Poutine et Hu Jintao, se sont exprimés à l'unisson en faveur du plan Annan pour la Syrie, et le ministère russe des Affaires étrangères s'est déclaré préoccupé par le refus déclaré de l'opposition syrienne de respecter ce plan à l'avenir. Autrement dit, Moscou n'est pas disposé à abandonner le modèle dont la diplomatie russe a obtenu la mise en œuvre au printemps dernier.

En fait le plan Annan a été mis en œuvre grâce aux efforts de la Russie et surtout à l'obstination du MAE russe qui a forcé les autres acteurs à abandonner l'idée selon laquelle l'éviction de Bachar al-Assad était la condition sine qua non du règlement de la crise syrienne. Entre janvier et mai derniers, Moscou s'est montré capable de résister à une pression psychologique puissante et a administré la preuve qu'il était un acteur important et habile, il a par ailleurs obtenu le retour aux mécanismes classiques de règlement diplomatique et a démontré leur supériorité par rapport au scénario de "changement de régime par la force armée."

Néanmoins, il était clair d'entrée de jeu que le potentiel de la Russie était limité. Le plan Annan aurait probablement eu des perspectives de succès s'il était apparu au moins six mois auparavant. Mais au printemps 2012, le conflit s'était exacerbé à l'extrême. L'implication des forces extérieures, principalement aux côté de l'opposition syrienne, a également atteint un niveau critique. Trop d'acteurs sont apparus intéressés à torpiller les efforts visant à établir la paix. Parmi eux figurent aussi bien les adversaires de Bachar al-Assad qui refusent tout scénario hormis son renversement que les membres de l'entourage du président syrien qui sont toujours persuadés qu'il suffit de faire un dernier effort pour triompher définitivement.

Globalement, l'inefficacité et l'inflexibilité du gouvernement syrien est le catalyseur décisif de la tragédie syrienne. Toutes les tentatives de réformes et de changements, même hésitantes, n'étaient entreprises qu'avec beaucoup de retard, lorsqu'elles ne pouvaient plus renverser la situation, voire ne faisaient que l'aggraver. A quoi pouvait notamment servir l'adoption d'une nouvelle constitution par la voie référendaire alors qu'il n'y avait plus moyen de prouver à qui que ce soit que le plébiscite avait été honnête? Un fait désagréable pour la Syrie et son gouvernement: le soutien de Bachar al-Assad par une importante partie de la population ne change plus rien. Premièrement, la minorité hostile est nombreuse et elle s'appuie sur des alliés étrangers et bénéficie d'une confiance dans le monde. Deuxièmement, le sort des homologues d'al-Assad dans d'autres pays de la région montre clairement qu'à l'instant critique le dictateur reste pratiquement seul car la majorité de ceux qui le considéraient comme le moindre mal, ne veulent rien risquer pour l'aider.

Du point de vue de développement politique peu importe qui est le responsable de la tragédie de Houla qui a fait des dizaines de morts parmi les civils, dont des enfants, et qui a provoqué un regain de violence. Même s'il s'agit d'une provocation organisée par les adversaires du régime, c'est le gouvernement qui payera les pots cassés. Le gouvernement est par définition responsable de la stabilité et de la paix. Et s'il n'est pas en mesure de les garantir, il sape lui-même sa propre légitimité.

La Russie est confrontée à un choix difficile. Le plan Annan est au bord de l'échec, et s'il capotait effectivement, il serait pratiquement inutile d'insister sur un dialogue et des efforts de paix. Il n'y aurait plus d'arguments convaincants. Certes, il n'y a pas d'alternative non plus. La Russie ne soutiendra jamais une intervention armée, et Hillary Clinton bluffe lorsqu'elle insinue qu'une opération non avalisée par le Conseil de sécurité des Nations unies est possible. Ainsi, le seul plan réaliste pour les adversaires de Bachar al-Assad est de soutenir l'opposition avec de l'argent et des armes en espérant qu'à chances égales elle règlera elle-même son problème. Autrement dit, il s'agit de miser sur l'intensification de la guerre civile, et pour cela il faudra reconnaître le Conseil national syrien (CNS) le gouvernement légitime du pays. C'est ce qui s'est passé en Libye quelques semaines après le début de la rébellion en créant ainsi des raisons quasi légales du soutien des adversaires de Mouammar Kadhafi. Certains pays arabes et, probablement, la France pourraient répéter ce scénario en Syrie.

Afin de développer le succès de la politique russe au Proche-Orient enregistré début 2012, la Russie devrait formuler aujourd'hui un plan efficace de changement de régime en Syrie, non pas en renversant Bachar al-Assad et en aggravant le chaos, mais en douceur. La Syrie a besoin d'un nouveau modèle de gouvernement et on ne peut pas se limiter aux exhortations à organiser des élections libres qui régleraient à elles seules le problème. Non seulement Bachar al-Assad et les membres de son entourage exigeront des garanties de sécurité (ce ne serait pas compliqué, à condition qu'ils acceptent ce scénario) mais également les groupes sociaux et ethniques en Syrie qui craignent un règlement de comptes en cas d'avènement au pouvoir de la majorité sunnite. Il ne s'agit pas seulement des alaouites, actuellement avantagés, mais également des chrétiens et d'autres groupes qui font davantage confiance au régime en place qu'à un éventuel nouveau gouvernement. Des efforts internationaux seront nécessaires pour élaborer un système de gouvernement pour la Syrie, probablement tout aussi délicat et complexe que celui du Liban à une époque. L'expérience bosniaque pourrait également être "utilisée" avec certaines réserves: les Accords de Dayton sont aujourd'hui largement critiqués mais ils ont au moins le mérite d'avoir mis fin au bain de sang et d'avoir pacifié le pays même s'ils n'ont pas résolu ses problèmes à long terme.

La condition sine qua non serait que Bachar al-Assad accepte d'abandonner le pouvoir, à l'instar du modèle yéménite qui est souvent évoqué aujourd'hui. Et si au Yémen le départ d'Ali Abdullah Saleh a été "géré" par l'Arabie saoudite et par les Etats-Unis, en l'occurrence cette mission incomberait à l'Iran et à la Russie dans le but d'empêcher un effondrement qui serait fatal à leurs propres intérêts en Syrie. Seule l'implication de ses partenaires les plus proches pourrait forcer le gouvernement syrien à prendre les devants. Autrement, le scénario yéménite disparaîtrait de la liste et serait remplacé par un mélange des scénarios irakien, libyen et libanais de l'époque du chaos.

Moscou pourrait envoyer à Bachar al-Assad un message disant que la Russie a fait pour lui tout ce qu'elle a pu et qu'il n'a plus rien à espérer. Il n'y a aucune garantie qu'al-Assad dira "oui." Mais alors il sera le seul responsable de la suite des événements.

 

L’opinion de l’auteur ne coïncide pas forcément avec la position de la rédaction

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