Sommes-nous vraiment plus nombreux qu’il n’y paraît?

© Photo Mikhail Kharlamov/ Marie Claire RussiaSvetlana Koltchik
Svetlana Koltchik - Sputnik Afrique
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"Nous sommes plus nombreux qu’il n’y paraît" titrait la couverture du dernier numéro de Bolshoi Gorod ("Grande Ville"), un hebdomadaire populaire de Moscou. Le slogan, très visible, imprimé en rouge sur du jaune vif, occupe toute la première page du magazine.

"Nous sommes plus nombreux qu’il n’y paraît" titrait la couverture du dernier numéro de Bolshoi Gorod ("Grande Ville"), un hebdomadaire populaire de Moscou. Le slogan, très visible, imprimé en rouge sur du jaune vif, occupe toute la première page du magazine.

A l’intérieur, un certain nombre de pages sont dédiées à des slogans semblables, en rouge sur fond jaune, attirant l'attention et s’attaquant aux problèmes les plus brûlants de la Russie: le besoin de réformer de l’armée, la libération de ceux qui sont emprisonnés pour des crimes financiers, la garantie de la liberté de rassemblement dans les rues et des élections justes, pour n’en mentionner que certains. Plusieurs experts, dont un avocat, un éminent homme d’affaires, un grand éditeur, un militant des droits de l’homme, un économiste réputé, un directeur d’hôpital et un enseignant donnent, chacun, leur avis sur la façon d’améliorer le piètre état du pays.

J’aime vraiment beaucoup ce magazine et j’essaie de mettre la main dessus chaque fois que possible (il est distribué gratuitement dans de nombreux restaurants, cafés, bars et autres endroits publiques de Moscou). D’habitude, les articles sont bons et c’est une version russe, originale et unique du Village Voice de New York.

Pourtant, le slogan initial du magazine m’a laissé un peu perplexe.

Je me suis demandée qui étaient exactement les "nous" ? Les 99%, une allusion à la devise du mouvement Occupy "Nous sommes les 99%"? Ceux qui désapprouvent ou s’opposent ouvertement au président nouvellement élu et au parti au pouvoir ? Ou bien ceux qui sont tout simplement mécontents de la façon dont les choses se passent dans le pays en ce moment mais qui manquent d’enthousiasme pour publiquement exprimer ce sentiment, préférant la relative stabilité d’aujourd’hui aux pénuries alimentaires et aux taux élevés de criminalité des années 90 ? Et quid du soi-disant "reste de la Russie", une notion largement utilisée ces jours-ci à la fois par l’élite au pouvoir et par l’opposition ?

"La Russie est un grand pays, et le seul problème est son peuple" a dit une fois Valeria Novodvorskaia, l’un des politiciens libéraux les plus radicaux en Russie, qui est un ardent opposant depuis le début des années 90. C’est une affirmation plutôt hardie, mais elle aussi partagée par beaucoup en Russie. Il est assez courant, en particulier parmi les nombreux moscovites que je connais, de s’opposer au "peuple", à ces "masses inertes" de la population russe qui utilisent encore la télévision d‘état comme principal moyen d'information (les derniers chiffres du comité russe des statistiques indique qu’un foyer en Russie détient en moyenne au moins 1,5 postes de télévision alors que 55% des foyers n’ont pas accès à Internet et que 47% des personnes interrogées sur le sujet disent qu’ils n’ont pas du tout besoin d’Internet).

Pendant longtemps, beaucoup, moi y compris, ont aimé prétendre que la Russie que nous n’aimions pas, n’existait pas. Des voyages fréquents à l’étranger et un plan B pour émigrer, des emplois dans des entreprises multinationales, des amis cosmopolites et un mode de vie semblable à celui de nos pairs occidentaux, nous ont permis de nous évader sur un air de simplification désolée.

Le problème de cette profonde division, au choix, culturelle, politique, mentale ou socio-économique en Russie, a été effectivement utilisé et abusé à de nombreuses reprises dernièrement. Ceux au pouvoir ont eu à coeur d’expliquer que "Moscou la rebelle" et "le reste de la Russie" plus loyale et accommodante, étaient deux planètes différentes.

Cette division, cependant, existe. Pour moi, c’est particulièrement révélateur lorsque je regarde les réactions en ligne à des articles politiques controversés, quelque soit l’affiliation politique du média. Les commentateurs, la plupart anonymes, attaquent ceux qui ont des opinions divergentes avec une arrogance, une agressivité et même une haine extrême. Ce phénomène Internet, appelé "Shitstorm" en Europe est en plein essor ici aussi.

"Ce que quatre-vingt-dix pourcent de la race humaine veut c’est de la nourriture, un logement, une vie de famille sans danger et être laissé en paix par les patrons et les agités. Malheureusement, le un pourcent qui sont intéressés par le pouvoir, les idées et les idéologies sont ceux qui donnent le la", écrit l’écrivain Aldous Huxley en 1947.

Les provocations de la "Shitstorm" mises à part, je pense plutôt qu’un sentiment d’insatisfaction largement partagé prévaut aujourd’hui en Russie, et qu’il est bien plus puissant que le soi-disant gouffre culturel et socio-économique. Quand je voyage hors de Moscou et que je parle avec des gens hors de mes cercles, je trouve que, quelque soit le niveau d’éducation et le statut économique, nous sommes tous concernés par plus ou moins les mêmes choses: des routes sûres, des écoles décentes, une sécurité sociale digne de confiance, l’éradication de la corruption et d’autres défis institutionnels qui se retrouvent à chaque coin du globe.

Certains appellent de leurs voeux un changement de régime radical, tandis que d’autres croient encore aux miracles d’un nouveau terme de Poutine. Mais la plupart sont prêts pour les réformes.

Du coup, je pense que nous sommes tous dans le même bateau, non? Je me demande seulement si ceux auxquels s’adresse le slogan "nous sommes plus nombreux qu’il n’y paraît" l’ont réalisé.

 

L’opinion de l’auteur ne coïncide pas forcément avec la position de la rédaction

* Svetlana Koltchik, 33 ans, est la rédactrice en chef adjointe de l'édition russe du magazine Marie Claire. Elle est diplômée de la faculté de journalisme de l'Université de Moscou et de l'Ecole de journalisme de l'Université de Columbia à New York. Elle a travaillé dans l'hebdomadaire russe Argumenty i Fakty à Moscou, le journal USA Today à Washington et a écrit pour RussiaProfile.org ainsi que pour les éditions russes de Vogue et de Forbes.

La Russie a été toujours considérée comme une femme, et la notion de femme russe reste le stéréotype le plus répandu à l'égard des Russes, au sens positif mais aussi négatif. Mais n'est-ce qu'une fantaisie des hommes? Voilà une femme russe moderne, travailleuse et, disons, de plus en plus consciente de la globalisation, qui expose sa vision des tendances du monde contemporain, évoquant des questions de genre ainsi que des thèmes sociaux plus larges. Elle parle et laisse parler les autres femmes.

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