Discussion de femmes: Gardez le surf pour les plages

© Photo Mikhail Kharlamov/ Marie Claire RussiaSvetlana Koltchik
Svetlana Koltchik - Sputnik Afrique
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J’ai récemment déjeuné dans l’un de ces petits cafés de Moscou où les tables sont confortablement installées à quelques centimètres les unes des autres. Au cours d’un déjeuner d’une heure, le couple assis à la table voisine de la mienne n’a pas dit un mot.

J’ai récemment déjeuné dans l’un de ces petits cafés de Moscou où les tables sont confortablement installées à quelques centimètres les unes des autres. Au cours d’un déjeuner d’une heure, le couple assis à la table voisine de la mienne n’a pas dit un mot.

Un homme et une femme, les deux plus ou moins de mon âge, n’ont pas détaché leurs yeux de leurs iPhone. Pas même lorsque la nourriture est arrivée, pas même lorsqu’il fut temps de payer l’addition.
 
Ils ont mangé en pilot automatique, surfant non stop sur le web. Et je ne suis pas sûre qu’ils aient remarqué, ni le goût des aliments, ni même la présence de l’autre. Leurs yeux étaient constamment fixés sur les petits écrans et la seule émotion palpable autour de cette table était l’irritation, je suppose lorsque les sites ne s’ouvraient pas suffisamment vite ou que les informations qu’ils recherchaient n’étaient pas disponibles.
 
Ces jours-ci des scènes de ce genre ont probablement lieu dans des cafés partout dans Moscou et ailleurs. Nous vivons dans un monde toujours «ON», faisant plus confiance à nos gadgets qu’aux êtres vivants.
 
Je me livre aussi sur mon Smartphone au surf compulsif sur le mode « ça ne peut pas attendre » dès que je le peux. J’essaie de ne pas le faire pendant un déjeuner ou un dîner, mais sinon je suis aussi plutôt accro. Je suis impatiente de vérifier mes e-mails dans le métro (juste en dehors du bureau et sur le chemin de la maison) et de regarder le film à gros budget qui vient de sortir via un réseau social, sans même faire l’effort de le télécharger.
 
J’ai aussi remarqué que ces dernières années mon attention a tellement diminué que lorsque je prends un livre, un vrai, pas un numérique (ce qui arrive de moins en moins souvent), je le feuillette plutôt que de le lire comme c’était mon habitude lorsque j’étais plus jeune.
 
Pourtant, et alors que j’ai écrit un certain nombre d’articles sur la nécessité de faire une cure de désintoxication numérique, je ne suis pas si nostalgique (allez, peut-être un tout petit peu) de l’époque sans téléphone portable et wifi. Comment le serais-je ? Les gadgets sont incroyablement utiles, ils rendent notre vie plus facile, nous font gagner du temps, développent notre créativité et nos compétences en matière de traitement de l’information et de prise de décision et facilitent, de tant de manières,  l’interaction humaine et la communication.

Mais je me demande si nous devons plus heureux dans une réalité où la satisfaction immédiate de nos désirs est de plus en plus accessible ?
 
Une bonne partie des neuroscientifiques ne sont, certainement pas très heureux de cette tendance. Ils insistent pour dire les dépendants de gadgets d’aujourd’hui, sont en train de devenir curieusement infantiles, leurs cerveaux régressant par certains égards, au niveau de ceux d’enfants de cinq ans voire, pire encore, de toxicos en manque des solutions rapides.
 
Le scientifique britannique Susan Greenfield, professeur de pharmacologie synaptique au collège Lincoln d’Oxford (www.susangreenfield.com), qui a étudié l’impacte des technologies modernes de l’écran sur le cerveau humain depuis deux décennies et qui a écrit plusieurs livres sur le sujet, mène le camp des sceptiques.
 
 Elle prévient que la dépendance à Internet (par ailleurs, déjà reconnu comme une maladie) modifie nos cerveaux d’une manière inédite et pas nécessairement pour le mieux. Selon Greenfield, la préférence pour le «ici et maintenant, où l’immédiateté de l’expérience éclipse toute égard pour les conséquences » et « la pure envie d’une récompense certaine et quasi immédiate est liée à des systèmes chimiques similaires dans le cerveau qui peuvent aussi jouer un rôle dans la dépendance à la drogue ».

« Aujourd’hui les technologies de l’écran créent des environnements qui peuvent altérer la façon dont nous traitons l’information, le degré auquel nous prenons des risques, comment nous socialisons et sympathisons avec les autres et même comment nous percevons notre identité » écrit Greenfield sur son site.
 
Alors que nos cerveaux pourraient effectivement être soumis à une transformation irréversible, est-ce que nous, les « millénaires », avons maintenant besoin d’un stimulus différent pour être inspirés ou simplement pour se sentir en vie ? Pas nécessairement. En faisant quelques recherches récemment sur la notion de bonheur pour un autre article, je suis tombée sur un certain nombre d’études prouvant que nous avons peu changé lorsqu’il s’agit des choses qui nous rendent vraiment contents.
 
Ce n’est pas la satisfaction immédiate des pulsions mais la gratification différée qui nous apporte des émotions positives mémorables. Les résultats des recherches indiquent que les courses sur Internet sont moins agréables qu’aller vraiment dans les boutiques, même si c’est seulement pour faire du lèche-vitrines. Attendre quelque chose est plus agréable que l’avoir tout de suite. Plus encore, ce ne sont pas les acquisitions matérielles auxquelles l’âme humaine aspire, mais l’interaction humaine, et plus elle est réelle mieux c’est. Etre serré dans les bras de chair et d’os permet une libération beaucoup plus forte d’ocytocine, « l’hormone du bonheur », que des émoticons qui surgissent sur un écran d’ordinateur. 
 
Et c’est donner, et non recevoir qui nous exalte. De multiples études prouvent que les actes aléatoires de gentillesse et d’altruisme, comme aider des étrangers, nous donnent un coup de bonheur durable.

Enfin, ce n’est pas regarder notre écran d’IPhone qui nous garde en vie, mais sortir et mettre nos cinq sens en éveil. Et nous n’avons pas besoin de divertissements sophistiqués pour profiter de la vie. Dans une expérience menée par le psychologue et prix Nobel Daniel Kahneman de l’université de Princeton, dans laquelle les participants ont eu à reconstruire leurs activités en fin de journée et citer celles qui les ont le plus satisfait, ces dernières ont été le sexe, socialiser (en personne, pas en ligne ou au téléphone), se relaxer, faire du sport et manger.
 
Nos cerveaux sont peut-être en train de changer mais nos besoins affectifs et physiques réels restent les mêmes. Ce qui ne me semble pas une mauvaise chose.

L’opinion de l’auteur ne coïncide pas forcément avec la position de la rédaction

* Svetlana Koltchik, 33 ans, est la rédactrice en chef adjointe de l'édition russe du magazine Marie Claire. Elle est diplômée de la faculté de journalisme de l'Université de Moscou et de l'Ecole de journalisme de l'Université de Columbia à New York. Elle a travaillé dans l'hebdomadaire russe Argumenty i Fakty à Moscou, le journal USA Today à Washington et a écrit pour RussiaProfile.org ainsi que pour les éditions russes de Vogue et de Forbes.

La Russie a été toujours considérée comme une femme, et la notion de femme russe reste le stéréotype le plus répandu à l'égard des Russes, au sens positif mais aussi négatif. Mais n'est-ce qu'une fantaisie des hommes? Voilà une femme russe moderne, travailleuse et, disons, de plus en plus consciente de la globalisation, qui expose sa vision des tendances du monde contemporain, évoquant des questions de genre ainsi que des thèmes sociaux plus larges. Elle parle et laisse parler les autres femmes.


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