Pourquoi Dmitri Medvedev est-il retourné aux Kouriles?

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Fedor Loukianov - Sputnik Afrique
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Dmitri Medvedev s'est à nouveau rendu aux îles Kouriles, cette fois en tant que premier ministre. Sa première visite en automne 2010, lorsqu'il occupait encore le poste de chef de l'Etat russe, a provoqué un scandale à Tokyo et une crise dans les relations russo-nipponnes.

Dmitri Medvedev s'est à nouveau rendu aux îles Kouriles, cette fois en tant que premier ministre. Sa première visite en automne 2010, lorsqu'il occupait encore le poste de chef de l'Etat russe, a provoqué un scandale à Tokyo et une crise dans les relations russo-nipponnes. Et la réaction du Japon aujourd'hui est également prévisible. Mais si la visite précédente pouvait s'expliquer par des considérations stratégiques, on ignore pourquoi il a fallu y retourner aujourd'hui.

La présidence de Dmitri Medvedev a été marquée par une attention accrue pour l'Asie, et dans ce cadre, sa visite aux Kouriles était parfaitement logique. Moscou a opté pour cette solution afin de montrer que la Russie est une puissance asiatique et qu'elle n'a pas l'intention de quitter l'Asie. Les îles considérées par le Japon comme litigieuses étaient une illustration parfaite pour montrer cette orientation, et pas seulement à Tokyo, mais également à d'autres pays d'Asie, y compris la Chine. D'autant plus que la première visite sur ce territoire a montré que le gouvernement fédéral russe accordait de l'attention même aux régions très éloignées du centre, et c'était un coup gagnant sur un plan politique.

La réaction du gouvernement japonais, dont Naoto Kan était le premier ministre à l'époque, a été étonnamment irréfléchie et non professionnelle. La dite visite a pris les Japonais au dépourvu (malgré les fuites concernant le voyage à venir, l'ambassade de Moscou affirmait à Tokyo jusqu'au dernier moment qu'il n'aurait pas lieu), ils se sont perdus entre leur volonté d'avoir une démarche ferme et la crainte que cela ne ferait qu'aggraver la situation. Les passages d'un extrême à l'autre ont semé la confusion parmi tous les observateurs et ont transformé le cabinet japonais en une cible pour les critiques, dans son propre pays. Toutefois, ce comportement était loin d'être la seule raison des griefs contre le gouvernement de Naoto Kan, et l'année dernière, le Japon a une nouvelle fois changé de premier ministre.

Le cabinet actuel du Parti démocratique dirigé par Yoshihiko Noda a un comportement bien plus professionnel et modéré, et Tokyo fonde beaucoup d'espoirs sur l'amélioration des relations avec le retour de Vladimir Poutine au poste présidentiel. C'est logique. Après tout, si des progrès, aussi modestes soient-ils, ont eu lieu dans les relations russo-nipponnes après la guerre froide, c'est bien grâce à Poutine. Pendant son mandat, le projet gazier de Sakhaline a été lancé, sa visite en 2009 en tant que premier ministre a été interprétée par tous comme prometteuse, et même en ce qui concerne l'éternelle question territoriale, en 2004, Poutine a fait comprendre aux Japonais qu'un certain compromis était possible. Toutefois, à l'époque, Tokyo a préféré ignorer cette allusion. Quoi qu'il en soit, Vladimir Poutine n'a certainement aucune intention d'entrer en conflit avec le Japon. De plus, il a toujours été méfiant envers l'Asie en raison de la répartition des forces, qui change rapidement au fur et à mesure de la croissance de la Chine, et le président russe est conscient que la Russie devra très probablement faire des efforts pour assurer l'équilibre dans cette région.

Dans cette situation, il est difficile de comprendre pourquoi Dmitri Medvedev avait besoin d'effectuer à ce moment précis un voyage de représentation sur l'île Kounachir. Rien de nouveau ne s'y est produit depuis sa visite deux ans auparavant, la situation n'a aucunement changé en mieux, les déclarations sont identiques, et l'appel adressé aux ministres russes à visiter ces territoires a, d'une part, déjà été lancé et, d'autre part, en tant que premier ministre, il suffirait d'en donner l'ordre à ses subordonnés. Cette seconde visite souligne plutôt l'absence de travail depuis la première visite qu'elle ne montre l'importance de la région. La réaction du Japon était programmée – aucun gouvernement japonais n'aurait pu rester sans réaction. Par conséquent, le seul résultat garanti est une détérioration prévisible des relations entre Moscou et Tokyo. Ce qui pourrait également faire partie d'une stratégie politique, mais la question est de savoir laquelle. Il y a deux ans, cela avait un sens. Mais aujourd'hui…

Les relations entre la Russie et le Japon sont otage de ce problème territorial, et aucune perspective de son règlement ne se profile à l'horizon. Il est évident que l'amoncellement d'arguments historiques sur l'appartenance des îles, accumulés au cours du litige entre les deux pays, n'aura d'incidence sur le règlement éventuel du conflit. Si on y parvenait un jour, ce ne serait que le résultat d'un arrangement politique (des arguments historiques seront nécessaires pour le justifier aux yeux de l'opinion publique, mais seulement à titre formel). Cet arrangement est peu plausible parce qu'aussi bien pour le Japon que pour la Russie c'est une question de prestige national, et ce genre de questions est des plus douloureux.

Cependant, en admettant tout de même qu'il y ait un compromis, le délai jusqu'à sa mise en œuvre est limité par deux facteurs, à savoir la situation politique intérieure en Russie et la situation dans le Pacifique (l'augmentation du poids géopolitique de la Chine).

Du point de vue de la politique intérieure russe, la décision d'un compromis avec Tokyo (qui exigera forcément des concessions) devrait vraisemblablement être prise par un gouvernement qui ne serait pas forcé de prendre en compte l'opinion publique. En d'autres termes, un gouvernement suffisamment autoritaire. En cas de référendum démocratique (chose qui a été récemment mentionnée par le ministre russe des Affaires étrangères Sergueï Lavrov concernant les îles), le résultat est connu d'avance – la population ne votera certainement pas en faveur de la cession de quelque chose au profit de quelqu'un d'autre. D'ailleurs, lorsque huit ans auparavant, Poutine faisait allusion à la possibilité d'une entente avec les Japonais, le moment était idéal – le gouvernement russe était non seulement suffisamment autoritaire, mais également sûr de ses perspectives à moyen terme. Aujourd'hui, la situation est moins certaine, mais cette issue reste encore possible.

Le second facteur concerne l'évolution de la Chine. L'équilibre des forces et de l'influence dans les relations entre Moscou et Pékin change, et globalement au profit de la Chine. Si les tendances actuelles se maintiennent, d'ici 5 à 7 ans, la politique étrangère russe, du moins en Asie-Pacifique, sera forcée de tenir davantage compte de l'avis de la Chine. Autrement dit, le niveau d'autonomie de la Russie pour la prise de décisions, interprétées par Pékin comme affectant ses intérêts, sera moindre à terme. Et le compromis entre la Russie et le Japon concernant la question territoriale ne remplira certainement pas de joie la Chine. Aussi bien en tant que précédent (la Chine est en litige avec pratiquement tous ses voisins en Asie orientale et en Asie du Sud-Est), que comme rapprochement de deux puissances régionales importantes.

Sur tous les plans (économie, géopolitique, sécurité), Moscou et Tokyo ont besoin de relations normalisées. La question territoriale représente le principal obstacle. Pour l'instant, elle paraît impossible à résoudre. Mais au moins, on pourrait ne pas jeter de l'huile sur le feu sans raisons apparentes.

L’opinion de l’auteur ne coïncide pas forcément avec la position de la rédaction

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