Afghanistan. Sur le Pont de l’Amitié

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Jean-Dominique Merchet - Sputnik Afrique
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Le dernier blindé français, qui quittera l’Afghanistan courant 2013, empruntera-t-il le « pont de l’Amitié » ? Ce n’est pas impossible, car, pour évacuer ses troupes, Paris est toujours à la recherche de routes sûres et bon marché.

Le dernier blindé français, qui quittera l’Afghanistan courant 2013, empruntera-t-il le « pont de l’Amitié » ? Ce n’est pas impossible, car, pour évacuer ses troupes, Paris est toujours à la recherche de routes sûres et bon marché. Mais le symbole serait fort, trop fort sans doute pour être politiquement acceptable. C’est en effet par ce pont que le dernier char soviétique est rentré au pays, le 15 février 1989 – au terme d’une guerre de dix ans. Avec le succès que l’on sait…

D’une longueur de 800 mètres, construit en poutrelles métalliques, le pont de l’Amitié enjambe l’Amou-Daria et sépare désormais l’Ouzbékistan de l’Afghanistan. L’homme qui, ce ce jour-là, fermait le convoi était un jeune général de 45 ans, à la tête de la 40e armée soviétique. Elle se retirait en bon ordre. Par la suite, Boris Gromov a fait une belle carrière politique, notamment à la tête de la région (oblast) de Moscou. Il est aujourd’hui sénateur. Le même destin sera-t-il réservé au dernier général français ?  Les Occidentaux n’aiment pas se l’entendre dire, mais il y a plus d’un point commun entre l’intervention militaire de l’URSS (1979-1989) et celle de l’Otan (2001-2014), comme l’auteur de cet article le racontait dans un livre « Mourir pour l’Afghanistan » (Editions Jacob-Duvernet, 2008).

Aujourd’hui, les Français s’en vont et ce n’est pas si facile à faire. L’armée française avait été engagée en Afghanistan dès la fin 2001, c’est-à-dire au début de l’opération américaine Enduring Freedom. L’idée était simple : les Américains ont été attaqués le 11 septembre, ce sont nos alliés, nous venons les aider. Avec une ligne de conduite : « nous sommes arrivés ensemble, nous repartirons ensemble ». Lorsque, en juin 2011, le président Obama annonce le désengagement américain à l’horizon 2014, l’Elysée publie, dans les heures qui suivent, un communiqué pour s’aligner sur le calendrier des Etats-Unis.  Cette doctrine française a duré jusqu’en janvier 2012. Nicolas Sarkozy est responsable de cette rupture et François Hollande s’est contenté de faire de la surenchère sur son rival... 

Le 20 janvier 2012, cinq militaires français sont assassinés par un soldat afghan sur la base de Gwan. Face à l'émotion de l'opinion publique et alors que la France entre en campagne électorale, Nicolas Sarkozy – très en colère -  annonce, le 27 janvier, que le retrait français s'opérera avec un an d'avance sur le calendrier prévu; c’est-à-dire à la fin 2013. Pour se démarquer, François Hollande affirme de son côté qu’" il n'y aura plus de troupes françaises en Afghanistan à la fin de l'année 2012". Il y donc eu consensus entre droite et gauche sur la nécessité de partir plus vite que les Américains, seul le rythme les oppose.

Partir oui, mais comment ? Les Soviétiques étaient venus en voisins : il suffisait de traverser un pont pour rentrer… Paris, en revanche, est à 5500 kilomètres de Kaboul et l’Afghanistan ne possède aucun rivage maritime. Très vite, les militaires et les diplomates expliquent au nouveau Président français qu’il ne pourra pas tenir sa promesse. C’est matériellement impossible de sortir en quelques mois tout le matériel accumulé depuis dix ans.

Il existe trois routes pour quitter l’Afghanistan : le Sud, le Nord et les airs. Le Sud, c’est le Pakistan. Grâce aux Américains, ce pays vient d’accepter de rouvrir la circulation aux convois de l’Otan, fermée pendant un semestre. C’est une route courte, mais dangereuse et chère. Les airs sont la plus sûre, la plus rapide mais la plus chère. Il faut tout charger à bord d’avions gros porteurs… dont l’Armée de l’air est dépourvue. La France doit donc louer des Antonov 124 à des entreprises russes ou ukrainiennes. L’heure de vol coûte environ 30 .000 dollars et un avion, si gros soit-il, ne peut guère charger plus de 6 ou 7 containeurs ou véhicules. Or, la seule armée française a plus de 1000 véhicules à sortir du pays. La route du Nord, via l’Asie centrale (Ouzbékistan, Kazakhstan) puis la Russie par le rail, est très longue et administrativement compliquée. Vraisemblablement, ces trois routes seront utilisées en même temps.  Ce qui signifie que la logistique française traversera, pour partie, la Russie, après être sortie d’Afghanistan par l’Ouzbekistan. Comme feu la 40ème armée soviétique…

Le contingent français ne se retirera pas complètement, puisque la France restera au sein de l’Isaf (la force de l’Otan) tant que celle-ci existera. Environ 500 militaires français seront toujours à Kaboul en 2014 pour remplir trois missions : la formation de l’armée et de la police locales, le fonctionnement d’un hôpital et, nouvelle tâche récemment confiée par les Américains, la gestion de l’aéroport international. Un traité d’amitié et de coopération entre la France et l’Afghanistan est en cours de ratification et Paris versera 230 millions d’euros d’aide à Kaboul au cours des quatre prochaines années.

Comme les Soviétiques en leur temps, les Français laissent en effet derrière eux un pays allié. Mikhaïl Gorbatchev avait pris la décision de quitter l’Afghanistan durant l’été 1986 : il lui faudra deux ans et demi pour y parvenir. C’est grosso modo le temps nécessaire à l’Otan… Lorsque le général Gromov franchît l’Amou Daria, un régime allié était solidement installé à Kaboul, celui du docteur Mohammed Najibullah. C’est alors un communiste nouvelle manière : la constitution de son pays ne venait-elle pas d’être placée  sous les auspices du «Dieu clément et miséricordieux» ? Son régime tiendra jusqu’en avril 1992 –  donc plus de trois ans après le départ des Soviétiques. Il s’effondrera sous les coups des Moudjahidines, dont une partie soutient aujourd’hui le pouvoir et l’autre combat les Occidentaux… Et si Najibullah s’effondra (il finira pendu à un réverbère…) c’est avant tout parce que son principal soutien extérieur, l’URSS, venait de sombrer corps et biens.

Le régime du président Karzaï survivra-t-il au départ des Occidentaux, dont les Français donnent le signal ? Si, dans des circonstances beaucoup plus difficiles, les Soviétiques y étaient parvenus, les Occidentaux devraient pouvoir le faire ! Reste à savoir combien de temps nos « amis de Kaboul » se maintiendront au pouvoir ?

* Jean-Dominique Merchet, journaliste spécialisé dans les affaires de Défense. Auteur du blog français le plus lu sur ces questions, créé en 2007. Ancien de l’Institut des hautes études de défense nationale. Auteur de nombreux ouvrages dont : « Mourir pour l’Afghanistan » (2008), « Défense européenne : la grande illusion » (2009), « Une histoire des forces spéciales » (2010), « La mort de Ben Laden » (2012).

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