Refroidissement Allemagne-Russie : pour combien de temps ?

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Fedor Loukianov - Sputnik Afrique
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La nouvelle rencontre au sommet entre l’Allemagne et la Russie se déroule dans une atmosphère très froide.

La nouvelle rencontre au sommet entre l’Allemagne et la Russie se déroule dans une atmosphère très froide. Vladimir Poutine et Angela Merkel n'ont jamais entretenu de relations cordiales mais cette fois, beaucoup de nuages assombrissent le ciel politique.

Au centre du conflit : Andreas Schockenhoff, homme politique conservateur, numéro deux de la fraction du CDU au Bundestag et chargé des relations avec la Russie.

Son rapport critiquant la politique intérieure et étrangère russe, cet été, a d'abord semé la confusion au ministère allemand des Affaires étrangères (MAE), qui a appelé à assouplir certaines formulations. Puis Schockenhoff s'est retrouvé confronté au MAE russe, qui a formellement refusé tout contact avec l'auteur, annonçant que ses pouvoirs n'étaient plus reconnus. Peu nombreux sont ceux qui partagent la position de Schockenhoff, au gouvernement allemand comme dans son parti. Beaucoup pensent que le moment est mal choisi pour se brouiller avec la Russie en raison de l'affaire Pussy Riot ou d'autres manifestations d'autorité, alors que la crise économique bat son plein. Cependant, il est évident qu'aucun homme politique allemand ne peut, à l'heure actuelle, se débarrasser du coordinateur des relations russo-allemandes – celui qui prendrait cette décision risquerait d’être accusé d’incapacité face à la pression du Kremlin. Pour cette raison, le MAE allemand insiste sur le fait qu'Andreas Schockenhoff continuera à exercer ses fonctions, "car ce n'est pas à Moscou de décider qui, des hommes politiques ou autres dirigeants allemands, doit faire tel ou tel travail".


Le rapport Schockenhoff, qui plus est assoupli par le MAE, n'aurait certainement pas attiré autant d'attention il y a encore 12 ou 18 mois et la résolution sévère sur les droits de l'homme, adoptée par le Bundestag à la veille de la rencontre entre les deux chefs d’Etat, n'aurait pas été un événement marquant. La Russie se serait indignée du manque d'impartialité de tels actes sans aller plus loin. Cependant aujourd'hui, le gouvernement russe réagit très brusquement à ce genre "d’attaques", menaçant de cesser la coopération entre les deux pays. L'Allemagne n'en est pas le seul exemple : on notera l’attitude officielle dédaigneuse envers les recommandations de l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe, la fermeture des programmes américains d’Usaid et Nunn-Lugar en Russie ou encore la réaction ferme à toute déclaration portant sur les processus politiques intérieurs. Tout cela n'est pas une coïncidence mais la nouvelle politique de la Russie, qui se débarrasse progressivement des institutions et des mœurs des années 1990. Le message est à peu près le suivant : "Désormais nous sommes un Etat fort et confiant et il faut effacer toute trace de l’époque où, par faiblesse, il fallait accepter des relations inéquitables et permettre aux autres de pointer du doigt les lacunes de la structure gouvernementale russe".

En fait, la Russie cherche à rétablir - certes, dans une forme plus avancée et moderne - les relations de l'URSS et de l'Occident pendant les périodes de détente de la Guerre froide. L'exemple allemand est le plus éloquent. Les grandes entreprises de la RFA étaient intéressées par les possibilités économiques soviétiques trois ans avant l'établissement officiel des relations diplomatiques - le Comité de l'économie allemande pour les relations Est-Ouest a été créé en 1952. Les contacts commerciaux et politiques se sont développés avec succès dans les années 1970 mais personne n'aurait eu l'idée de les associer directement à l'ordre gouvernemental et social soviétique. Il va de soi que l'Union soviétique fonctionnait de façon complètement différente, inutile d'en discuter - même après la signature de l'Acte final d'Helsinki, bien qu'il ait été le premier à introduire la protection des droits de l'homme dans la géopolitique européenne.

Le modèle que Poutine voudrait rétablir revient à faire reconnaître par l'Occident que la Russie est un pays différent par sa base idéologique et morale - et que c'est indiscutable - mais qu’elle fait partie intégrante de l'économie mondiale et est prête à poursuivre son intégration. Ce n'est pas un hasard si, sur fond de dégradation des relations avec des organismes politiques, notamment ceux qui se prennent pour les hérauts des normes humanitaires (Conseil de l'Europe, OSCE), Moscou poursuit son adhésion aux structures économiques mondiales comme l’OMC et prochainement l'Organisation de coopération et de développement économiques.

Vladimir Poutine est convaincu que comme 60, 40 et 25 ans auparavant, l'intérêt purement économique prendra le dessus sur toutes les motivations idéologiques.

C'est pourquoi il préfère rencontrer des hommes d'affaires qui parlent de choses pratiques et non ses homologues politiques - dont il est franchement fatigué.

Le président russe pense que, comme à l'époque soviétique, toute démonstration de fermeté est justifiée en fin de compte. L'Allemagne et certains autres pays occidentaux avaient accepté d'élargir leur coopération avec la Russie en dépit de la répression du "Printemps de Prague" par l'Union soviétique, sans parler de sa situation intérieure. Pour cette raison, il attend de l'Allemagne une nouvelle "Politique de l’est" (Ostpolitik), à l'instar de celle qui a ouvert les portes de l’URSS au début des années 1970 sans prétendre à sa transformation. Toutefois cette évolution – tout à fait fatale – s'est produite d'elle-même par la suite, car les fondations étaient pourries. Le père de la "Politique de l’est" Willy Brandt, décédé il y a 20 ans, a même eu le temps d'assister à l'effondrement de l'Union soviétique et à la réunification de son pays.


L’opinion de l’auteur ne coïncide pas forcément avec la position de la rédaction


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