Généralité objective et différences subjectives

© Sputnik . Alexei NaumovFedor Loukianov
Fedor Loukianov - Sputnik Afrique
S'abonner
Barack Obama entame son second mandat à la tête des Etats-Unis et ne pense donc déjà plus à sa réélection mais à l'héritage qu'il laissera derrière lui.

Barack Obama entame son second mandat à la tête des Etats-Unis et ne pense donc déjà plus à sa réélection mais à l'héritage qu'il laissera derrière lui.

De toute évidence, le contenu de cet héritage dépendra de sa réussite face aux défis intérieurs – des restrictions sur la possession d'armes par lesquelles commence son nouveau mandat en passant par les graves problèmes économiques, la dette ou encore la justice sociale.

Une période difficile attend également Obama en matière de politique étrangère et l'appréciation de son rôle dans l'histoire du monde et des USA dépendra de sa capacité à faire face aux graves crises internationales. Comme pour tout président américain, le leadership mondial des Etats-Unis est une nécessité. Cependant, contrairement à ses opposants qui pensent qu'il suffirait d'un léger effort pour regagner la gloire d'antan, il a conscience que les circonstances ont changé. Le monde est si complexe et non-linéaire que la pression implique le plus grand risque – de plus en plus souvent les résultats s'avèrent contraires aux attentes. La prudence d'Obama, considérée par les critiques comme une faiblesse – voire de la lâcheté – serait plutôt une prévoyance ou une manière de minimiser les risques.

Obama n'est pas partisan d'une hégémonie franche ni d'une ingérence agressive dans d'autres pays. Bien que, comme on a pu le voir pendant son premier mandat, il ne puisse pas l'éviter complètement – les USA sont les USA. Il privilégie la diplomatie et compte sur les institutions multilatérales, grâce auxquelles les Etats-Unis pourront transférer sur d'autres une partie du fardeau des crises mondiales. Enfin, Obama croit aux accords solides - mais pas forcément à long terme - avec les pays qui ne sont pas ses alliés. Si Chuck Hagel était nommé secrétaire à la Défense, le président se retrouverait bientôt secondé sur ces questions par un homme saluant le dialogue avec les ennemis jurés des Etats-Unis comme l'Iran, le Hamas et le Hezbollah.

La Maison blanche a déjà annoncé son retrait d'Afghanistan avant les délais prévus en y laissant un contingent très réduit – deux attitudes très critiquées.

Toutefois, le premier mandat d'Obama a montré qu’une perception adéquate de la réalité ne menait pas toujours à une réaction appropriée. Depuis la fin des années 2000, la politique étrangère des Etats-Unis fonctionne de plus en plus par impulsions et sans proposer de plans stratégiques. Un plan convaincant serait probablement impossible en principe car la situation internationale est imprévisible. Mais le gouvernement américain ne peut pas le reconnaître car cela reviendrait à dire que l'Amérique ne domine pas le monde et n'est qu'un pays ordinaire, peut-être plus fort mais tout aussi impuissant que les autres face aux processus incontrôlables.

En conservant sa puissante rhétorique de leader, Obama mènera en réalité une politique de réduction habile des ambitions, de définition des axes prioritaires de la politique étrangère et, par conséquent, des thèmes périphériques sacrifiés. L'Asie – avant tout dans le contexte de la croissance de la Chine – occupera de plus en plus de place dans la politique étrangère des Américains et certains thèmes habituels passeront forcément au second plan. D’autre part, l'administration devra impérativement réduire ses dépenses et il sera donc impossible de conserver le même niveau d'activité globale.

Dans ces conditions, la Russie est théoriquement un partenaire parfait pour les Etats-Unis.

Il ne reste plus rien de la confrontation systémique de la Guerre froide et, au fur à et mesure de sa disparition la principale arène stratégique de l'époque, l'Europe, où l'inertie de la confrontation est la plus forte, perd progressivement de son importance. Les frictions concernant divers conflits régionaux sont parfois très fortes (comme actuellement autour de la Syrie) mais c'est la norme dans les relations entre grandes puissances non alliées. Quoi qu'il en soit, ces différends ne sont pas quelque chose de susceptible d'aggraver brusquement les contacts bilatéraux, comme cinq ans auparavant en raison de la guerre en Géorgie. En revanche, la Russie détient toujours la "golden share" sur plusieurs thèmes importants aux yeux des Etats-Unis. A première vue, il suffirait de négocier et de trouver un accord, d'autant qu'Obama est enclin à faire des transactions dont son pays a besoin.

Cependant, les relations entre les Etats-Unis et la Russie, au seuil du second mandat de Barack Obama, ne sont pas uniformes. La Russie ne fait pas partie des priorités des USA mais elle est existentielle pour le président, qui espère grâce à Moscou avancer dans le règlement des questions prioritaires. Ni la Maison blanche ni le Kremlin n'aspirent à un véritable conflit mais il a finalement éclaté fin 2012 suite à l'adoption de la "loi Magnitski" et la réaction russe à celle-ci. L'atmosphère est tendue, bien qu'il n'y ait pas de raisons objectives à cela. Dernièrement, rien ne s'est produit qui aurait mis en évidence des différends fondamentaux. L'altercation parlementaire mentionnée ci-dessus est plutôt de nature émotionnelle et virtuelle mais il s'avère que la question des perceptions, pour soi-même et pour l'interlocuteur, prend des dimensions irrationnelles dans ce contexte international. Dans le cas de la "loi Magnitski" et de la "riposte" étrange de Moscou, la polémique tourne autour de la souveraineté : dans quelle mesure les affaires et les processus intérieurs peuvent faire l'objet d'un débat externe ? Le fait que l'histoire tragique de l'avocat russe soit l'élément déclencheur de cette affaire n'est qu'une coïncidence : on aurait trouvé autre-chose.

Il ne faut probablement pas s'attendre à une détérioration de la situation – la vague de décembre se calmera en laissant seulement un arrière-goût désagréable. Mais les relations ne se développeront pas non plus. La Russie et les Etats-Unis n'ont pas d'ordre du jour qui correspondrait aux tâches du présent et de l'avenir. Washington compte sur un "redémarrage-2" – la poursuite du dialogue sur les thèmes qui ont permis d'atteindre un certain succès en 2009-2010. Et avant tout – la poursuite de la réduction des armes nucléaires. Mais la Russie ne veut pas entendre parler de nouveaux accords en la matière car tout lui convient déjà. Telle est la disposition finale dont on ignore l’issue. Les négociations sur la stabilité stratégique restent le noyau des relations, qu'aucun autre thème n'est en mesure de remplacer. L'expérience des années 2000 montre que lorsqu'une partie - l'administration de Bush à l'époque - n'est plus intéressée par la réduction des armements, une dégradation dangereuse des rapports commence. Au vu de sa nature imprévisible, le contexte international jouera certainement sur la dégradation des relations, alimentera la méfiance et la suspicion, plutôt que d’inciter au rapprochement.

L’opinion de l’auteur ne coïncide pas forcément avec la position de la rédaction

La Russie est-elle imprévisible? Peut-être, mais n'exagérons rien: il arrive souvent qu'un chaos apparent obéisse à une logique rigoureuse. D'ailleurs, le reste du monde est-t-il prévisible? Les deux dernières décennies ont montré qu'il n'en était rien. Elles nous ont appris à ne pas anticiper l'avenir et à être prêts à tout changement. Cette rubrique est consacrée aux défis auxquels les peuples et les Etats font face en ces temps d'incertitude mondiale.

Fedor Loukianov, rédacteur en chef du magazine Russia in Global Affairs.

"Un monde changeant": Un an de plus avec Bachar al-Assad

"Un monde changeant": Sergueï Lavrov – homme politique de l'année en Russie

"Un monde changeant": "Loi Magnitski" : la Russie rejette l'ingérence dans ses affaires intérieures

"Un monde changeant": Gouverner pour ne rien changer

"Un monde changeant": Le bastion de la morale dans une mer d'incertitude

"Un monde changeant": L'état de santé de Poutine et le sort du gouvernement russe

"Un monde changeant": Le séparatisme, une idée persistante

"Un monde changeant": La nostalgie russe des congrès du Parti communiste

"Un monde changeant": Refroidissement Allemagne-Russie : pour combien de temps ?

"Un monde changeant": USA-Russie : Refroidissements, redémarrages… jusqu’à quand ?

Fil d’actu
0
Pour participer aux discussions, identifiez-vous ou créez-vous un compte
loader
Chat
Заголовок открываемого материала