Un aveu de François Hollande

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Jacques Sapir - Sputnik Afrique
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Le Président Français, M. François Hollande, à la suite des Ministres, et non des moindres, du gouvernement tel Pierre Moscovici et Arnaud Montebourg a reconnu que l’Euro était aujourd’hui largement surévalué.

Le Président Français, M. François Hollande, à la suite des Ministres, et non des moindres, du gouvernement tel Pierre Moscovici et Arnaud Montebourg a reconnu que l’Euro était aujourd’hui largement surévalué.

Alors que le taux de change atteint 1,35 US Dollar, mais aussi (et c’est important) les 125 yens, cette surévaluation n’est plus niable. Elle est en passe de coûter très cher à l’économie française.

En effet, notre pays est, on le sait, l’un des pays les moins intégrés dans la zone Euro. Nous ne faisons avec nos partenaires que 50% de notre commerce international. Autrement dit le reste du commerce international de la France est fondé sur le Dollar, la Livre ou le Yen ou même d’autres monnaies. C’est la raison pour laquelle une hausse de l’Euro a des conséquences aussi désastreuses pour notre économie. Ces conséquences avaient été calculées en 2008 dans une note de l’INSEE à 1% de croissance en moins chaque fois que l’Euro s’appréciait de 10%.

Aujourd’hui, et compte tenu de ce que la zone Euro est en récession et par voie de conséquence le commerce en son sein lui aussi déprimé, le potentiel de croissance par les exportations est largement situé hors de la zone Euro. On peut donc penser que l’impact potentiel de cette hausse de l’Euro face aux autres monnaies aura des conséquences qui seront en réalité bien plus graves que celles qui avaient été calculées en 2008. On peut supposer que c’est à une contraction de -1,2% que nous serions confrontés dans le cas d’une appréciation de 10% de l’Euro si cette dernière devait se prolonger pour toute l’année 2013.

En supposant, et c’est une hypothèse qui apparaît aujourd’hui comme très optimiste, que cette appréciation ne dure que le premier semestre, c’est à une contraction supplémentaire de -0,6% de notre croissance que nous serions confrontés en fin d’année. On a déjà expliqué pourquoi la prévision du gouvernement d’une croissance de +0,8%, fondée sur un modèle économétrique relativement ancien (1), et dont les coefficients multiplicateur ne sont absolument plus représentatifs (2)  de la réalité actuelle de l’économie française, n’a aucune chance de se matérialiser (3). La prévision la plus optimiste que l’on puisse faire, eut égard aux accroissements d’impôts et aux baisses des dépenses publiques est aujourd’hui d’une croissance nulle (0,0%).

Mais il faut savoir que le pronostic pessimiste, développé en particulier par l’équipe de P. Artus à NATIXIS se situe vers les -0,5%. À ces chiffres, il faudra donc ajouter, si l’appréciation ne dure comme on l’a supposé qu’un semestre, un effet supplémentaire de -0,6%. Ceci donnerait donc, suivant les hypothèses, une évolution du PIB de la France en 2013 qui serait comprise entre -0,6% et -1,1%. L’écart entre ces chiffres et les prévisions sur lesquelles le budget pour 2013 a été construit en 2012 sera donc de 1,4% à 1,9% ce qui implique mécaniquement une perte de production de 28 à 38 milliards d’Euros et par ricochet une perte de recettes fiscales de 12,6 milliards à 17,1 milliards, soit l’équivalent de 0,6% à 0,85% du PIB. L’objectif d’une stabilisation du déficit à 3% du PIB devra donc être abandonné non seulement pour 2013 mais aussi pour 2014.

À ces chiffres, il faudra, bien entendu, ajouter le surcroît de chômage engendré par cette baisse supplémentaire de l’activité. On peut en chiffrer les conséquences entre 120 000 et 180 000 chômeurs supplémentaires, en plus de l’accroissement déjà attendu pour 2013. Or, une telle hausse du chômage aura, bien entendu, comme implication un nouvel accroissement des dépenses ne serait-ce que pour les allocations chômage. Le déficit induit total sera donc la somme des recettes manquantes et de ces coûts supplémentaires soit entre 15 et 19,6 milliards, soit 0,75% à 1% du PIB. La Commission Européenne n’aura probablement pas d’autre choix que de laisser faire. Il faudra, au mieux, attendre 2020 pour que la France ait, dans ces conditions et avec cette politique, un équilibre budgétaire.

Mais ceci ne fait qu’évoquer les conséquences immédiates et mécaniques de la hausse de l’Euro. En réalité, cette dernière va venir aggraver la perte de compétitivité des entreprises françaises, provoquant une baisse supplémentaire de l’investissement et de nouvelles fermetures de sites industriels. Le rapport Gallois, publié au début du mois de novembre 2012, le disait déjà. Mais il semble bien que si tout le monde en a parlé à l’époque, nul ne l’a lu, du moins à fond (4). Les capacités de redémarrage de l’économie sont particulièrement sensibles à la chute des investissements. Même si, hypothèse peu probable, il y avait une reprise de l’activité mondiale en 2014, la France ne serait pas, ne serait plus, en état d’en profiter.

En fait, cette hausse de l’Euro va annuler les effets des mesures prises par le gouvernement, et en particulier celles du pacte «compétitivité-emploi». Cette hausse va enfoncer la tête des entreprises françaises sous l’eau. Le gouvernement n’aura pas d’autres possibilités que de chercher à comprimer encore un peu plus les salaires, et l’on sait que les chercheurs de Goldman-Sachs demandent à la France une baisse de 30% des rémunérations et des pensions. Si l’on prenait ce chemin, la demande des ménages s’effondrerait, avec les implications que l’on devine en matière de chômage. La seule solution, sauf à imaginer que nous ayons les moyens d’imposer notre politique à la Banque Centrale Européenne et à l’Allemagne consiste donc à sortir de ce cadre politique destructeur en quittant la zone Euro et en dévaluant largement le Franc.

Car, sur le fond, à quoi est due cette «force» actuelle de l’Euro? Au Japon, comme nous le savons, le nouveau gouvernement conservateur du Premier Ministre Shinzo Abe a décidé de mener une politique de dépréciation agressive du Yen pour relancer l’économie de son pays. Le changement annoncé à la tête de la Banque Centrale du Japon confirmera cette politique dont les effets ont déjà commencé à se faire sentir. Le 12 novembre 2012, il fallait ainsi 79,5 Yen pour un Dollar. Il en faut aujourd’hui 91, soit une dépréciation de la monnaie japonaise de 12%. Le gouvernement japonais n’a d’ailleurs pas fait mystère de son objectif d’aboutir à une dépréciation de 20% au moins de sa monnaie. Les États-Unis ont connu quant à eux un 4ème trimestre 2012 très décevant, avec une croissance nulle et une légère remontée du taux de chômage, qui atteint actuellement 7,9%.

La Banque Centrale des États-Unis est à nouveau à la manœuvre, et l’on s’attend à de nouveaux achats massifs de dettes publiques et privées. Il n’est alors pas surprenant que le Dollar baisse par rapport à l’Euro. Mais, dans la mesure où le Dollar est aussi en concurrence avec le Yen, en raison des échanges entre les États-Unis et le Japon, ce phénomène de baisse du Dollar tend à s’accentuer depuis les trois dernières semaines.
En d’autres termes, ce n’est pas tant l’Euro qui est fort que le Dollar, le Yen ou la Livre qui sont faibles. L’écart d’appréciation de l’Euro avec ces monnaies et avec le Franc Suisse en témoigne. La déclaration de Pierre Moscovici le dimanche 3 février selon laquelle l’Euro serait fort parce que sauvé est donc parfaitement inappropriée. On appréciera d’ailleurs comment, dans l’ensemble des autres pays, on n’hésite pas à faire fluctuer la valeur de la monnaie en fonction de l’état de l’économie. Il n’y a que la zone Euro qui s’y refuse !

(1) Caroline KLEIN et Olivier SIMON, Le modèle MÉSANGE réestimé en base 2000. Tome 1 – Version avec volumes à prix constant , Direction des Études et Synthèses Économiques, INSTITUT NATIONAL DE LA STATISTIQUE ET DES ÉTUDES ÉCONOMIQUES, Document de Travail, 2010, p.12.
(2) J. Sapir, “Faut-il croire les modèles de prévision?”, billet publié sur le carnet Russeurope le 12/11/2012.
(3) J. Sapir, “ La politique de la “méthode Coué” ”, billet publié sur le carnet Russeurope le 24/12/2012.
(4) L. Gallois, Pacte pour la Compétitivité de l’Industrie Française, rapport pour le Premier ministre, 5 novembre 2012, p. 50.

L’opinion exprimee dans cet article ne coïncide pas forcement avec la position de la redaction, l'auteur étant extérieur à RIA Novosti.

*Jacques Sapir est un économiste français, il enseigne à l'EHESS-Paris et au Collège d'économie de Moscou (MSE-MGU). Spécialiste des problèmes de la transition en Russie, il est aussi un expert reconnu des problèmes financiers et commerciaux internationaux.Il est l'auteur de nombreux livres dont le plus récent est La Démondialisation (Paris, Le Seuil, 2011).

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