Après Boston, les risques intérieurs plus importants qu'extérieurs

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Fedor Loukianov - Sputnik Afrique
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L’attentat commis à Boston par deux immigrants de la zone postsoviétique a déconcerté beaucoup de commentateurs. Depuis le 11 septembre 2001, on était habitués à percevoir le terrorisme comme un phénomène mondial.

L’attentat commis à Boston par deux immigrants de la zone postsoviétique a déconcerté beaucoup de commentateurs. Depuis le 11 septembre 2001, on était habitués à percevoir le terrorisme comme un phénomène mondial.

Si les terroristes de Boston avaient été des adeptes de l'islam radical cherchant à chasser les Etats-Unis des "lieux saints" ou à se venger de la politique américaine, cela n'aurait étonné personne. De même si les auteurs de l’explosion avaient été des partisans d'extrême-droite qui haïssent l'Etat américain, notamment sous l’administration Obama. Là, c’est différent. Les frères Tsarnaev n'avaient aucune raison concrète de détester l'Amérique, qui leur a donné un toit et une éducation. Une vengeance face à la situation au Proche-Orient ? Ce n’est pas logique : ils n'ont aucun lien avec cette région. Jokhar Tsarnaev a bien affirmé avoir agi en réaction aux guerres américaines en Irak et en Afghanistan mais il semble surtout avoir cherché une justification plausible lors de ses interrogatoires.

Cette attaque illustre bien la nouvelle problématique du monde moderne, où la frontière s'est effacée entre l'intérieur et l'extérieur, le social et l'individuel. On ignore comment lutter contre les manifestations de l'extrémisme ou ce qu'il faut entreprendre pour empêcher cette violence.

Comparer les événements d'aujourd'hui et ceux du 11 septembre 2001 ne montre qu’une chose : tout a changé. Les attaques de 2001 à New York et à Washington ont stimulé des changements dans la politique mondiale. Une fois la Guerre froide terminée, les USA étaient devenus l'unique superpuissance et le crash des avions sur les tours jumelles et le Pentagone a mis en évidence que la menace émanait de partout pour l’Amérique. Par conséquent, les mesures pour la stopper devaient englober le monde entier. Dans les années qui ont suivi, les USA ont tenté de formaliser leur statut de leader mondial.

Le "terrorisme international" a, pendant un certain temps, comblé le vide laissé après l'effondrement de l'URSS – c’était un point de départ commun, un second pôle de résistance. L'Amérique s’est servie de la démocratie comme base idéologique car les démocraties sont inoffensives pour d'autres démocraties, d'après la sagesse libérale. Cependant, la démocratisation par la force, dont il a fallu user là où les conditions n'étaient pas réunies pour un processus naturel, a engendré une hostilité et une résistance croissante. D'autant que le "terrorisme international" était, dans le meilleur des cas, un terme général réunissant des phénomènes d'origines diverses qui nécessitaient une approche au cas-par-cas.

La revendication américaine du leadership mondial, sous le slogan de lutte contre le terrorisme, a provoqué une résistance latente ou flagrante pratiquement partout. Le système international ne voulait pas d’un seul capitaine. Le modèle de politique impériale porté par l'administration Bush s'est épuisé.

Avec Barack Obama, les discussions sur le terrorisme sont devenues un fond obligatoire. L'élimination de Ben Laden lui a permis de contrer tous les reproches, l’accusant d'avoir oublié les victimes du 11 septembre. Pour le reste Barack Obama s'est beaucoup éloigné des lignes tracées après les attentats de 2001 avec : la cessation des guerres en Irak et en Afghanistan ainsi que la tentative de minimiser la contribution militaire aux crises actuelles (leadership en coulisse en Libye et indifférence en Syrie) ; la réduction des dépenses militaires et la suspension des activités où elles ne sont pas vitales ; un soutien passif de la démocratie - et principalement si les changements sont déjà en cours ou se sont produits. Cette politique suscite des critiques.

Les principaux problèmes émanent de l'intérieur, même si certaines circonstances extérieures les catalysent. Et la réaction d'Obama est parfaitement logique : comment se fait-il que des jeunes qui vivaient parmi nous et recevaient notre éducation soient capables de commettre un tel acte ?

Après les attentats du 11 septembre 2001, les Etats-Unis avaient l'intention de changer le monde afin qu'il corresponde à leurs besoins et assure leur développement. Aujourd'hui, l'approche est inversée : il faut changer soi-même afin de correspondre aux défis du monde contemporain.

En douze ans, Washington a pris conscience que même la plus grande puissance était incapable de porter seule le fardeau de l'hégémonie mondiale. Actuellement, personne ne pourrait le partager : ceux qui en seraient capables ne veulent pas et ceux qui seraient prêts à le faire en sont incapables.

L'attentat de Boston met en évidence que la ligne de tension n’est pas entre les civilisations ou les religions, comme certains le prédisaient après la Guerre froide, mais au sein des sociétés.

Ce n'est pas un hasard si suite aux événements de Boston on a remis sur le tapis la politique migratoire et sociale des Etats-Unis – en affirmant que les malfaiteurs vivaient avec les allocations de l'Etat. Le problème des immigrés est depuis longtemps formulé en Europe, notamment celui de la seconde génération qui perd son ancienne identité sans en acquérir une nouvelle à part entière. La France, le Royaume-Uni, les Pays-Bas se sont retrouvés confrontés à ce problème il y a des années, alors qu'aux Etats-Unis on pensait que le four à fondre faisait fusionner tout le monde.

L'épuisement des modèles de croissance économique et de bien-être social, la stratification matérielle, le conflit de générations, les frictions entre les divers groupes ethniques coexistant dans un espace commun ou encore la polarisation politique qui ne génère aucune alternative : tout cela est propre à tous les pays, indifféremment de leur structure sociopolitique et leur orientation idéologique. Des Etats-Unis à l'Espagne, du Yémen à la Chine. Les manifestations terroristes ne sont ni la cause ni la principale conséquence : inutile de les mettre au centre de l'attention. Le terrorisme revient là où il a toujours été, dans la sphère d'activité des services de renseignement qui ont pour mission de le localiser et de le neutraliser. Les hommes politiques ont une tout autre mission.

L’opinion de l’auteur ne coïncide pas forcément avec la position de la rédaction

La Russie est-elle imprévisible? Peut-être, mais n'exagérons rien: il arrive souvent qu'un chaos apparent obéisse à une logique rigoureuse. D'ailleurs, le reste du monde est-t-il prévisible? Les deux dernières décennies ont montré qu'il n'en était rien. Elles nous ont appris à ne pas anticiper l'avenir et à être prêts à tout changement. Cette rubrique est consacrée aux défis auxquels les peuples et les Etats font face en ces temps d'incertitude mondiale.

Fedor Loukianov, rédacteur en chef du magazine Russia in Global Affairs.

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