La bataille de Skolkovo

© Photo Arnaud DubienArnaud Dubien
Arnaud Dubien - Sputnik Afrique
S'abonner
Un an après le retour de Vladimir Poutine au Kremlin, les conflits se multiplient dans les cercles de pouvoir à Moscou. Alors que l’horizon économique de la Russie s’assombrit et que les jours de Dmitri Medvedev à la tête du gouvernement paraissent comptés, c’est autour du projet Skolkovo que se cristallisent les tensions.

Un an après le retour de Vladimir Poutine au Kremlin, les conflits se multiplient dans les cercles de pouvoir à Moscou. Alors que l’horizon économique de la Russie s’assombrit et que les jours de Dmitri Medvedev à la tête du gouvernement paraissent comptés, c’est autour du projet Skolkovo que se cristallisent les tensions.

Pour mémoire, ce projet a été officiellement lancé en novembre 2009. Deux mois après avoir publié sa fameuse tribune « Russie, en avant ! », qui se voulait le manifeste de la modernisation qu’il appelait de ses vœux, Dmitri Medvedev annonce la construction d’un centre de recherche et de développement ex-nihilo dans la banlieue de Moscou. L’objectif est de doter la Russie d’une « Silicon Valley » ayant vocation à diffuser de l’innovation dans l’ensemble du tissu économique. Depuis, plusieurs accords de partenariat ont été signés avec de grands groupes comme Microsoft, Cisco, Ericsson ou Nokia. La France s’est également intéressée au projet, Alstom et l’AREP, entre autres, ayant annoncé leur intention de s’implanter à Skolkovo. La fondation créée pour mettre en œuvre le projet est co-pilotée par Craig Barrett, l’ancien PDG d’Intel, et Viktor Vekselberg, le patron de Renova. En principe, l’inauguration de Skolkovo est prévue l’année prochaine.

Depuis plusieurs semaines cependant, le projet fait essentiellement parler de lui dans la rubrique judiciaire des médias russes. Plusieurs responsables de la fondation Skolkovo ont été mis en examen pour de supposées malversations financières et devraient être prochainement déférées devant la justice. Surtout, le dossier Skolokovo a donné lieu, fin avril, à un échange inédit entre Vladislav Sourkov, à l’époque vice-Premier ministre en charge de l’innovation, et le général Markine, le porte-parole du Comité aux investigations près le Parquet général de Russie. Cette structure, dirigé par Alexandre Bastrykine, un ancien camarade de faculté de Vladimir Poutine, est le « bras armé » judiciaire du pouvoir russe et joue un rôle majeur ces derniers mois, que ce soit dans la campagne anti-corruption lancée par le pouvoir ou dans la mise au pas des opposants comme Guennadi Goudkov (privé de son mandat de député en septembre 2012) ou Alexeï Navalny (dont le procès a débuté à la mi-avril à Kirov). Finalement, Sourkov – après avoir dénoncé le zèle funeste des procureurs – jettera l’éponge. Une décision interprétée comme la fin d’une époque à Moscou : Sourkov, chantre de la « verticale du pouvoir » et de la « démocratie souveraine », démiurge du système politique russe au cours du deuxième mandat de Vladimir Poutine (2004-2008), a été poussé vers la sortie par des forces plus conservatrices et, surtout, enclines à user de méthodes moins subtiles que lui.

Le dossier Skolkovo est en train de devenir un dossier éminemment politique. On apprend que le député Pomomarev, élu sur la liste de Russie juste mais qui, comme Guennadi Goudkov, a participé aux manifestations de l’opposition de rue à l’hiver 2012, risque de perdre son immunité parlementaire. Il fait l’objet d’une enquête qui vise à déterminer si les 750000 dollars d’honoraires reçus au titre de conférences à Skolkovo ne relèvent pas d’un emploi fictif voire d’un financement de l’opposition. Viktor Vekselberg a quant à lui été auditionné. Skolkovo étant un projet emblématique de la présidence Medvedev, il est difficile de ne pas faire le lien avec les mésaventures récentes d’autres hommes d’affaires ayant eu le vent en poupe entre 2009 et 2012 (et l’imprudence de miser sur un second mandat Medvedev). On pense à Akhmed Bilalov, l’ancien patron de KSK (société publique chargée de développer le tourisme dans le Caucase du Nord, partenaire de la Caisse des dépôts), ou les frères Magomedov, co-actionnaires du port de Novorrossiïsk.

Pour l’instant, Vladimir Poutine n’a fait aucune déclaration pouvant être interprétée comme une remise en cause du projet Skolkovo. Contrairement à ce que l’on lit ou entend souvent en Occident, le président russe n’est pas moins convaincu que son Premier-ministre de la nécessité de moderniser la Russie. Reste que ce dossier est instrumentalisé par le « parti du renvoi », qui voit dans Skolkovo un héritage libéral du mandat Medvedev à éradiquer. Les derniers développements ne sont en outre pas du meilleur effet vis-à-vis des investisseurs occidentaux et asiatiques. Ils donnent en tout cas la mesure de la violence des affrontements qui ne manqueront pas d’éclater lorsque se posera la question du remplacement de Dmitri Medvedev et, a fortiori, celle de Vladimir Poutine.

L’opinion de l’auteur ne coïncide pas forcément avec la position de la rédaction

Arnaud Dubien dirige, depuis mars 2012, l’Observatoire franco-russe à Moscou. Diplômé de l’INALCO et de l’IEP de Paris, il a été, de 1999 à 2006, chercheur Russie-CEI à l’Institut de relations internationales et stratégiques. Il a ensuite dirigé plusieurs publications spécialisées sur l’espace post-soviétique, parmi lesquelles l’édition russe de la revue Foreign Policy et les lettres confidentielles Russia Intelligence et Ukraine Intelligence. Ces dernières années, Arnaud Dubien a par ailleurs travaillé comme consultant du Centre d’analyse et de prévision du ministère des Aff aires étrangères, ainsi que de grands groupes industriels français. Il est membre du Club de Valdaï.

Tatarstan : Moscou calme le jeu

Poutine : l’heure des choix

Moscou-Washington : frimas persistants

"L'œil de Moscou" - La Russie, les BRICS et l’Afrique

 

Fil d’actu
0
Pour participer aux discussions, identifiez-vous ou créez-vous un compte
loader
Chat
Заголовок открываемого материала