Ukraine : éternels dilemmes

© Photo Arnaud DubienArnaud Dubien
Arnaud Dubien - Sputnik Afrique
S'abonner
Alors que le Premier ministre ukrainien, Mykola Azarov, est attendu la semaine prochaine à Paris, Kiev envoie des signaux contradictoires sur son positionnement international.

Alors que le Premier ministre ukrainien, Mykola Azarov, est attendu la semaine prochaine à Paris, Kiev envoie des signaux contradictoires sur son positionnement international.

Fin mai, l’Ukraine sollicitait et obtenait le statut d’observateur de la part de l’Union douanière constituée de la Russie, de la Biélorussie et du Kazakhstan, qui a vocation à se transformer en Union économique eurasienne à l’horizon 2015 et dont on sait qu’il est le projet géopolitique majeur du troisième mandat de Vladimir Poutine. Dans le même temps, les autorités ukrainiennes réitéraient la priorité accordée au vecteur européen. En avril, elles avaient libéré Iouri Loutsenko, ex-ministre de l’Intérieur de Ioulia Timochenko (tout en restant inflexible quant à cette dernière). L’objectif est d’obtenir, lors du sommet du Partenariat oriental qui doit se tenir à Vilnius cet automne, la signature de l’Accord de partenariat et d’association en souffrance depuis de nombreux mois.

Ce jeu de balancier entre Russie et Occident n’a rien de nouveau. Il est même une constante de la diplomatie ukrainienne depuis la présidence de Léonid Koutchma en 1994. A intervalle régulier, Kiev se rapproche de la Russie (le plus souvent en raison de difficultés politiques internes ou de brouilles avec les Occidentaux sur les droits de l’homme), tout en veillant à ne pas s’engager de façon irréversible avec elle. Dès que les circonstances le permettent, l’Ukraine prend ensuite ses distances avec l’ancienne métropole et entame un cycle de rapprochement avec l’Occident (essentiellement l’Union européenne, l’hypothèse otanienne étant close depuis l’élection de Viktor Ianoukovitch). Le contexte international est cependant de moins à moins favorable à l’Ukraine.

Certes, les relations avec Moscou sont incomparablement meilleures que sous la présidence de Viktor Iouchtchenko. La signature des accords de Kharkov en 2010, en vertu desquels la flotte russe de la mer Noire peut stationner à Sébastopol jusqu’en 2042, le recentrage du discours officiel ukrainien sur la Deuxième guerre mondiale, la Grande famine de 1932-1933 et d’autres épisodes douloureux instrumentalisés après la « révolution orange » ont favorisé l’apaisement avec la Russie. Mais aucune percée stratégique n’a eu lieu. Et rapidement, incompréhensions et frustrations se sont accumulées. Le Kremlin fait pression pour obtenir la cession des gazoducs d’exportation ukrainiens et l’entrée de l’Ukraine dans l’Union douanière. Kiev estime avoir fait sa part du chemin et attend un autre traitement de la part de la Russie.

Côté européen, on s’exaspère de la dégradation des libertés publiques (symbolisée par la « chasse aux sorcières » lancée contre de nombreux proches de Ioulia Timochenko), mais aussi de la dérive de plus en plus ouvertement népotiste du régime de Viktor Ianoukovitch (dont les appétits du fils aîné Alexandre inquiètent sérieusement les oligarques en place, y compris ceux de Donetsk). Si elle demeure attractive, malgré la crise, l’Union européenne n’a plus vocation à intégrer l’Ukraine en son sein.

Les prochains mois seront décisifs pour l’Ukraine. Conseils et pressions plus ou moins amicales  en provenance de Moscou et de Bruxelles vont aller croissant à partir de septembre. Moscou a décidé de miser sur la « famille » en privilégiant la signature de nouveaux contrats gaziers, tout en favorisant une montée des tensions en Transnistrie, province sécessionniste de Moldavie qui a une frontière commune avec l’Ukraine et dont cette dernière entendait faire la priorité de sa présidence de l’OSCE. La Commission et les capitales européennes vont quant à elles lier la signature de l’ACP et la libération de Ioulia Timochenko. Une exigence difficile à satisfaire pour Viktor Ianoukovitch à moins de deux ans des élections présidentielles.

L’opinion de l’auteur ne coïncide pas forcément avec la position de la rédaction

Arnaud Dubien dirige, depuis mars 2012, l’Observatoire franco-russe à Moscou. Diplômé de l’INALCO et de l’IEP de Paris, il a été, de 1999 à 2006, chercheur Russie-CEI à l’Institut de relations internationales et stratégiques. Il a ensuite dirigé plusieurs publications spécialisées sur l’espace post-soviétique, parmi lesquelles l’édition russe de la revue Foreign Policy et les lettres confidentielles Russia Intelligence et Ukraine Intelligence. Ces dernières années, Arnaud Dubien a par ailleurs travaillé comme consultant du Centre d’analyse et de prévision du ministère des Aff aires étrangères, ainsi que de grands groupes industriels français. Il est membre du Club de Valdaï.

Moscou : pourquoi le Kremlin provoque des élections municipales anticipées

Tatarstan : Moscou calme le jeu

Poutine : l’heure des choix

Moscou-Washington : frimas persistants

"L'œil de Moscou" - La Russie, les BRICS et l’Afrique

Fil d’actu
0
Pour participer aux discussions, identifiez-vous ou créez-vous un compte
loader
Chat
Заголовок открываемого материала