Désarmement nucléaire : le flop de Barack Obama

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Jean-Dominique Merchet - Sputnik Afrique
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Le discours du président américain, prononcé le 19 juin devant la porte de Brandebourg, ne restera pas dans les annales de l’histoire diplomatique. On est loin du « Ich bin ein Berliner » de Jack Kennedy ou du « Mister Gorbatchov, tear down this wall » de Ronald Reagan.

Le discours du président américain, prononcé le 19 juin devant la porte de Brandebourg, ne restera pas dans les annales de l’histoire diplomatique. On est loin du « Ich bin ein Berliner » de Jack Kennedy ou du « Mister Gorbatchov, tear down this wall » de Ronald Reagan.

Le 5 avril 2009, nouvellement élu et pas encore prix Nobel de la paix, Barack Obama assurait, dans un discours à Prague, « son désir d’œuvrer en faveur (…) d’un monde sans armes nucléaires ». Quatre ans plus tard, sous un chaud soleil berlinois et les applaudissements allemands, le président américain est revenu sur le même sujet, en réaffirmant que « tant que les armes nucléaires existeront, nous ne serons pas véritablement en sécurité ». Obama maintient  son « rêve lointain » de « sécurité d’un monde sans armes nucléaires». Il assure que « nous pouvons assurer la sécurité de l’Amérique et de nos alliés en réduisant jusqu’à un tiers nos armes nucléaires stratégiques déployées », tout en appelant la Russie à des « réductions négociées » pour aller « au-delà des postures de la guerre froide ». Concernant les armes nucléaires tactiques en Europe, il souhaite aller vers une « réduction audacieuse » entre l’Otan et la Russie.

L’accueil russe a été glacial. « Comment pouvons-nous prendre au sérieux la thèse de la réduction de l'arsenal nucléaire stratégique quand les Etats-Unis augmentent le potentiel d'interception de ce même arsenal nucléaire stratégique? » a réagi Dmitri Rogozine, le vice-premier ministre, en charge du complexe militaro-industriel du pays. Pas question de discuter tant que les Etats-Unis maintiendront leur projet de déployer en Europe un bouclier antimissile. « Ne pas le comprendre signifie tout bonnement mentir, bluffer, ruser ou manifester un profond manque de professionnalisme » a conclu le responsable russe, de manière fort peu diplomatique.

Obama souhaitait aller plus loin que le traité New Start, conclu par les Etats-Unis et la Russie, qui est entré en vigueur en février 2011. Celui-ci prévoyait une réduction des arsenaux stratégiques à hauteur de 1550 têtes nucléaires déployées pour chacun des deux pays. La proposition faite à Berlin visait donc l’objectif d’environ 1000 têtes – c’est-à-dire 1000 bombes nucléaires transportées par des vecteurs d’une portée intercontinentale. A ces chiffres, il faut rajouter les têtes non-déployées, c’est-à-dire en stock ou obsolètes en attente de démantèlement, ainsi que les armes nucléaires tactiques. Au niveau mondial, il y aurait environ 17000 têtes, détenues à plus de 90% par les Etats-Unis et la Russie, les 7 autres puissances nucléaires se partageant le reste.

La volonté d’Obama de réduire les arsenaux nucléaires s’explique de plusieurs manières. Une réelle conviction d’abord. Le président américain ne croit pas que la dissuasion nucléaire soit une garantie de la paix. Il a hérité d’un arsenal issu de la guerre froide dont il aimerait bien se débarrasser sans mettre en cause la sécurité et l’influence de son pays. C’est – en France – une position très minoritaire dans la classe politique, mais elle est nettement plus débattue aux Etats-Unis avec des personnalités comme Henry Kissinger, George Shultz, William Perry ou Sam Nunn – tous anciens dirigeants et responsables à des titres divers de la sécurité nationale. On se souviendra même que Ronald Reagan rêvait de se passer de la dissuasion nucléaire grâce à sa guerre des étoiles.

A ces convictions politiques et morales, s’ajoutent des histoires de gros sous. Le Pentagone doit réduire son budget de plusieurs centaines de milliards de dollars au cours des prochaines années – conséquence de l’impasse budgétaire dans laquelle se trouvent les Etats-Unis. Or, les armes nucléaires coûtent chères à stocker et à maintenir. 500 têtes de moins ne changerait pas la sécurité des Etats-Unis et permettraient de continuer à financer des programmes horriblement couteux, comme l’avion de combat F-35, ou à investir dans les technologies du futur, comme les missiles hypersoniques.

C’est là la troisième raison de la désaffectation américaine pour le nucléaire : les armes conventionnelles de haute technologie, avec leur précision extrême et leur haut pouvoir de pénétration, permettent partiellement de remplacer les bombes nucléaires, même si elles n’en ont ni la puissance, ni surtout le pouvoir psychologique terrorisant.

Paradoxalement, l’arme nucléaire devient l’arme du plus faible, du moins riche. C’est ce que les stratèges français de l’âge nucléaire, comme Pierre-Marie Gallois, avait compris en avançant le concept de « pouvoir égalisateur de l’atome ». Cela, les Nord-Coréens et les Iraniens l’ont compris. Si Saddam Hussein ou Kadhafi avaient eu des armes nucléaires, ils seraient toujours installés dans leur Palais…

A Berlin, Barack Obama a également abordé la question des armes nucléaires tactiques déployées en Europe. Selon les experts, les Etats-Unis en comptent près de 500, déployés dans les pays membres de l'Otan. La Russie, elle, possède au total 2.000 charges nucléaires tactiques. Le rôle de ces armes, conçues à l’origine pour être employées sur le champ de bataille dans un affrontement titanesque, n’est plus très clair en 2013. Pas plus que celui de bombes B-61 américaines, au nombre de 180, réparties en Belgique, Allemagne, Italie, Pays-Bas et Turquie. Ces bombes à gravité d’ancienne génération (on les largue d’un chasseur-bombardier et elles tombent sous un parachute…) sont sous double clé : américaine et locale. Non seulement, Barack Obama n’a pas annoncé son intention de les retirer, mais il a même inscrit 537 millions de dollars à son projet de budget 2014 pour les moderniser, rapportait le New-York Times, fin mai. Ces armes dont l’intérêt militaire est discutable, présentent en revanche un immense avantage politique : grâce à elle, l’Otan reste une alliance nucléaire. Et, malgré son peu de goût pour les armes atomiques, Barack Obama semble déterminer à ne pas « dénucléariser » l’Alliance atlantique. Quitte à repousser encore son « rêve lointain ».

L’opinion de l’auteur ne coïncide pas forcément avec la position de la rédaction.

* Jean-Dominique Merchet, journaliste spécialisé dans les affaires de Défense. Auteur du blog français le plus lu sur ces questions, créé en 2007. Ancien de l’Institut des hautes études de défense nationale. Auteur de nombreux ouvrages dont : « Mourir pour l’Afghanistan » (2008), « Défense européenne : la grande illusion » (2009), « Une histoire des forces spéciales » (2010), « La mort de Ben Laden » (2012).

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