Yukiya Amano : "Nous ne pouvons pas discuter éternellement avec l'Iran"

© Sputnik . Alexei Nikolsky / Accéder à la base multimédiaYukiya Amano
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A la veille d'une grande conférence internationale intitulée "L'énergie nucléaire au XXIème siècle", prévue les 27-29 juin à Saint-Pétersbourg, Yukiya Amano, directeur général de l’AIEA, a accordé une interview au correspondant de RIA Novosti Andreï Zolotov à Vienne.

A la veille d'une grande conférence internationale intitulée "L'énergie nucléaire au XXIème siècle" qui se déroulera du 27 au 29 juin à Saint-Pétersbourg sous l'égide de l'AIEA et du gouvernement russe, Yukiya Amano, directeur général de l'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA), évoque cette rencontre, les négociations avec l'Iran et l'avenir de l'énergie nucléaire dans une interview accordée au correspondant de RIA Novosti Andreï Zolotov à Vienne.

Selon vous, que doit-il se passer à Saint-Pétersbourg pour que la conférence internationale sur l’énergie nucléaire soit réussie ?

Il s'agit de la troisième conférence internationale sur l'énergie atomique. La première s'était tenue à Paris et la deuxième à Pékin. Il y a deux ans, la centrale nucléaire de Fukushima a été touchée par une catastrophe, qui a influé sur la confiance en l'énergie nucléaire. Une large représentation des pays est attendue à la conférence. Et si les participants parvenaient réellement à discuter de l'avenir de l'énergie nucléaire dans le monde, je pense que ce serait un succès.

Des décisions importantes sont attendues ?

Non, on ne s'attend à aucune décision. Je pense simplement que le président fera le bilan des discussions.

Quelles questions sont importantes aujourd'hui pour l'industrie ? Lesquelles nécessitent une réponse rapide ?

Depuis l'accident de Fukushima la confiance dans l'énergie nucléaire s'est détériorée. Les gens s'interrogent : quel est l'avenir de cette énergie ? Premièrement, il est parfaitement clair que la sécurité doit être notre priorité absolue. Sans elle, l'énergie nucléaire n'aurait aucun sens.

Les points de vue divergent concernant l'avenir de l'énergie nucléaire. Pour l'industrie et les Etats il est primordial de comprendre quel sera cet avenir pour planifier leurs actions dans ce secteur.

Comme l’AIEA voit l’avenir de l'industrie nucléaire ?

En effet nous menons des recherches. En dépit des opinions exprimées après l'accident de Fukushima disant que le nucléaire n'avait pas d'avenir, la réalité est tout autre.  Nous avons un scénario minimum et un scénario maximum. D'après le scénario minimum, d'ici 2030 la quantité d'électricité produite par les centrales nucléaires augmentera de 23%. Et selon le scénario maximum de 100%, c'est-à-dire qu’elle doublera. C'est inférieur par rapport aux prévisions antérieures à l’accident de Fukushima mais cela indique de toute façon une croissance stable de la production d'électricité par les centrales nucléaires.

Pourquoi la conférence se déroule-t-elle en Russie ?

Tout d’abord la Russie l’a proposé. Ensuite, le pays est familier de la question puisqu’il emploie activement l'énergie nucléaire pour produire de l'électricité. La Russie produit des réacteurs dans le monde entier, a de l'expérience, des technologies, une industrie et la volonté d'organiser cette conférence. Voilà pourquoi elle s’y déroule.

La conférence se déroule immédiatement après l'élection présidentielle en Iran. Quelle est votre appréciation du choix de la population iranienne ? D'après vous, le nouveau président Hassan Rohani changera-t-il la politique iranienne dans les négociations sur la situation nucléaire ?

Il n’y a aucun lien entre la présidentielle iranienne et la conférence de Saint-Pétersbourg. C'est une coïncidence.

L'AIEA a suivi de près l’élection iranienne mais nous ne nous ingérons pas dans la politique des Etats-membres. Mais nous sommes déterminés à trouver une solution diplomatique au problème nucléaire iranien. Le dialogue n'est pas une fin en soi. Il doit être constructif et mener à des résultats concrets.

D'après vous, ce dialogue va-t-il changer de nature ?

Il est très difficile de prédire l'évolution de la situation mais une chose est sûre : ce problème ne peut pas être réglé sans l'AIEA. L'Iran déclare que toute son activité nucléaire poursuit des fins pacifiques et c'est pourquoi il est dans son intérêt de coopérer avec l'AIEA, afin que l'agence certifie que toute son activité nucléaire est bien pacifique.

La date du prochain cycle de négociations sur "l'approche structurelle"– autrement dit sur l'accès de l'AIEA aux informations concernant le programme nucléaire iranien - a-t-elle déjà été fixée ?

Non car l'élection vient de s'achever. Nous en parlerons plus tard. Pour l'instant nous n'avons pas encore évoqué de points concrets comme le lieu et la date du prochain cycle de négociations.

J'ai entendu dire que cela pourrait avoir lieu dans la seconde moitié de juillet.

Je ne pense pas car ce sera le ramadan. Ce n'est pas la meilleure période pour négocier car il faut bien manger pour mener un dialogue productif (rire).

Avez-vous déjà rencontré Hassan Rohani ?

Oui, quand j'étais directeur général du ministère des Affaires étrangères du Japon pour le désarmement et la science. Je l'avais rencontré en tant que membre de la délégation japonaise. Il m'a laissé l'impression d'un homme qui connaît bien le thème nucléaire.

Pourriez-vous commenter la proposition iranienne faite aux puissances occidentales de construire conjointement des réacteurs à eau légère ?

Je ne peux pas faire de commentaires car nous n'en avons pas été informés. La décision revient aux puissances occidentales.

Lors de la dernière réunion du Conseil des gouverneurs, début juin, vous parliez du nombre accru de centrifugeuses installés en Iran. Comment l'AIEA évalue les capacités d'enrichissement de l'Iran ?

Notre but est de faire état de la situation en Iran à partir du plus grand nombre de faits possible. Nos inspecteurs ont visité et observé les sites iraniens pour conclure que l'installation des centrifugeuses se poursuivait. Mais beaucoup ne fonctionnent pas car elles doivent être chargées en hexafluorure d'uranium (fluorure d'uranium (VI)) pour fonctionner. Ce n'est pas le cas. Mais nous ignorons si elles fonctionneront ou non dans le futur. L'Iran continue à produire de l'uranium enrichi à 5 et à 20% et ses réserves augmentent. Une partie de l'uranium est convertie afin de fabriquer du combustible nucléaire.

De l'uranium produit en Iran ou importé ?

Nous l'ignorons.

Que pense l'AIEA de l’initiative visant à construire à l‘aide de la Russie une autre centrale sur le territoire iranien après Bouchehr ?

Si l'Iran décidait de construire une nouvelle centrale nucléaire, il devrait nous en informer et la placer sous les garanties de l'AIEA au moment opportun.

Si je comprends bien, l'AIEA n'a aucune réclamation à faire envers l'Iran concernant Bouchehr ?

Bouchehr se trouve sous les garanties de l'AIEA. Nous confirmons que la centrale nucléaire de Bouchehr a été construite à des fins pacifiques. Et nous en avons rendu compte.

La presse a rapporté que le corps de la centrale de Bouchehr s’était fissuré après un séisme. Pourriez-vous le confirmer ?

L'AIEA a envoyé ses inspecteurs vérifier que les sites de Bouchehr répondaient à des objectifs pacifiques. Il n'avait pas été demandé aux inspecteurs de vérifier les fissures. Par conséquent, nous ne pouvons pas le confirmer.

D'après vous, la centrale de Bouchehr est sûre ?

La sécurité relève de la responsabilité de l'Etat, de l'Iran dans le cas présent. Nous ne disons pas si tel ou tel site est suffisamment sécurisé. Notre fonction consiste à aider à rendre les sites nucléaires sûrs. Si cela nous était demandé, nous pourrions envoyer un groupe d'évaluation pour échanger des points de vue sur la sécurité de Bouchehr. Nous avons déjà envoyé de tels groupes pour parler d’un encadrement iranien mais la présence d'une organisation indépendante renforce également la sécurité d’un site. Nous serions également prêts à envoyer nos experts si l'Iran demandait une inspection de son réacteur.

Aucune demande n'a été formulée ?

Concernant le tremblement de terre – non.

Vous vous êtes récemment rendu en Russie pour une visite relativement longue. Quel en était le but ?

Nous avions plusieurs objectifs, dont celui de nous entretenir avec les hommes politiques russes, y compris sur la préparation de la conférence de Saint-Pétersbourg. Le gouvernement russe s'y prépare très sérieusement. Nous aussi. Autre objectif : participer à la réunion de l'Association mondiale des exploitants nucléaires. Nous renforçons actuellement notre coopération avec cette association. Nous avons pour mission de contribuer à la sécurité des centrales nucléaires or nous n'avons pas de centrales. Les exploitant, si. Il serait très utile de mettre en place une coordination étroite avec eux. Par exemple, nous envoyons des missions sur les centrales et ils envoient les leurs. En l'absence de coordination, deux missions peuvent arriver en même temps dans une même centrale. J'ai également visité la centrale nucléaire de Kalinine et l'institut de Doubna. Mes voyages sont une route à double sens. Je partage les idées de l'AIEA et apprend à la fois en rencontrant les hommes politiques, les ingénieurs et les scientifiques.

Le président américain Barack Obama a récemment annoncé une grande initiative pour la réduction des armes stratégiques. Ces mesures influeront-elles sur le régime de non prolifération des armes nucléaires ? De nouveaux accords seront-ils nécessaires pour le recyclage de ces armements?

En cas d'accord sur une nouvelle réduction des armements, nous pourrions aider en termes de mécanisme de vérification. Par exemple, dans le cadre des anciens accords sur la réduction des armes nucléaires, la Russie et les USA recyclent le plutonium retiré de ces armes : les deux gouvernements ont fait appel à l'AIEA pour superviser la procédure. Cet ancien accord n'est pas encore appliqué. On est en train de déterminer quelle assistance nous pourrions apporter dans ce sens. J'ignore ce qu'il en sera mais si notre expérience était nécessaire, nous serions prêts à participer.

J'ai entendu dire que l'une des pierres d'achoppement dans les négociations entre l'AIEA et l'Iran était la question technique de savoir qui sortirait le verdict sur la présence ou l'absence de la composante militaire dans le programme nucléaire iranien à l'issue de la procédure – le secrétariat de l'AIEA ou le Conseil des gouverneurs, c'est-à-dire les pays membres de l'agence ?

La question portant sur la dimension militaire du programme nucléaire iranien date de 2003, voire avant. Elle a été soulevée par mon prédécesseur, le docteur Mohamed El Baradei, et j'ai hérité de son dossier. En novembre 2011 j'ai publié un rapport avec une annexe contenant l'analyse de cette question. Il y était dit que nous avions vérifié toutes les informations et que dans l'ensemble elles étaient fiables. Mais pour éclaircir la situation nous avons décidé de demander à l'Iran de coopérer avec nous. Le Conseil des gouverneurs avait alors demandé à l'Iran et à l'AIEA d'intensifier le dialogue. L'Iran le qualifie de "modalités" et nous d’"approche structurée". C'est un processus qui vise à clarifier la situation. Il s'agit d'un document plutôt bref.

Vous parlez de "phase finale" – qu'en sera-t-il lorsque nous tirerons au clair les questions actuelles ? Le secrétariat a son rôle, le Conseil des gouverneurs a le sien. Nous sommes chargés des vérifications. Si la question reste sans réponse, on le dit. Si elle était réglée, ce serait aux pays-membres représentés au Conseil des gouverneurs de décider ce qui doit être fait.

Mais l'Iran s'y oppose ?

Non. Nous cherchons une solution et il existe des différends. Ce n'est pas l'unique problème. Il en existe d'autres qui devront être abordées avec l'Iran.

Au cours de la dernière réunion du Conseil des gouverneurs début juin, vous avez dit que les négociations tournaient en rond. Personnellement, quel est le délai pendant lequel vous êtes prêt à poursuivre les négociations avec l'Iran – un an, trois ans, cinq ans, combien ?

Poser la question ainsi signifie de fixer un délai. Il est difficile de fixer un délai quelles que soient les négociations. Le Conseil des gouverneurs nous a demandé de négocier. Nous négocierons. Dix-huit mois se sont écoulés et nous n'avons pas encore atteint le résultat final. Nous en avons rendu compte. En cas de progrès, j'en parle. En l'absence de progrès, j'en parle également. Et le Conseil des gouverneurs doit y réagir.

Autrement dit, la décision leur revient ?

Je pense que oui. Nous faisons tout ce qui est en notre pouvoir pour assumer la responsabilité qui nous a été confiée par le Conseil des gouverneurs.

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