Promenades populaires

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Hugo Natowicz - Sputnik Afrique
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Le pont du 9 mai, lors duquel les Russes commémorent la victoire de l’URSS sur l’Allemagne nazie, a été ponctué par des accrochages et une partie de "cache-cache" entre les manifestants d’opposition et l’OMON, la police anti-émeute. Changement de tactique ou épuisement de la contestation?

Le "pont" du 6 au 10 mai a été chargé sur le plan politique. D'une durée de quatre jours cette année, en vertu d’un décret présidentiel, c'est généralement un des premiers week-ends où les Moscovites se rendent à leur datcha, pour y planter les semences ou réparer les dégâts infligés par le long hiver. Cette année, le pont avait une autre spécificité: le dimanche 6 mai était marqué par l'investiture du nouveau président Vladimir Poutine, qui avait déjà occupé ce poste de 2000 à 2008. Dans la foulée, la Douma confirmait le lendemain la nomination de Dmitri Medvedev au poste de premier ministre.

Cette inversion des rôles au sein du "tandem dirigeant" n’a pas été du goût d’un certain nombre de Russes. Le sentiment que les fonctions étaient distribuées sans l’aval du peuple, au terme d’un conciliabule dont il serait exclu, a constitué l’un des premiers déclencheurs d’une grogne qui dure depuis plusieurs mois en Russie. Les fraudes électorales ont provoqué des manifestations de grande envergure, la vague de contestation ayant rassemblé jusqu'à cent mille personnes dans la capitale russe en décembre, avant de connaître une perte de vitesse constante.

La lassitude créée par les rassemblements à répétition a, tout au long du mouvement, poussé les protestataires à inventer de nouvelles actions, en rivalisant d’originalité: une des dernières était le "Grand anneau blanc", une chaîne humaine le long du Boulevard des jardins qui ceint la capitale. Les analystes se perdaient en conjecture pour savoir en quoi le rassemblement du 6 mai, baptisé "Marche des millions" (certainement en référence notamment à des propos d'Alexeï Navalny, qui promettait de rassembler un million de personnes pour "marcher sur le Kremlin") se distinguerait des précédents.

Bien décidés à signifier leur mécontentement aux dirigeants russes à la veille de l’investiture, les manifestants (8.000 selon la police, chiffre immédiatement démenti par les organisateurs) s’étaient donnés rendez-vous dimanche dans le centre de Moscou, pour une marche censée les mener jusqu’à la Place Bolotnaya, déjà théâtre de plusieurs rassemblements "pour des élections justes". L'événement, visant à notamment à dénoncer l'élection de Vladimir Poutine comme illégitime, en raison des fraudes électorales, a rapidement tourné à l'affrontement, se démarquant par la détermination des manifestants et la vigoureuse riposte de la police.

Jusqu’au-boutisme

Des toilettes publiques ont été renversées et transformées en barricades, et des projectiles ont été lancés. Les ténors de l’opposition (le blogueur Alexeï Navalny, le politicien des années 90 Boris Nemtsov, et le leader du Front de gauche Sergueï Oudaltsov, principal organisateur du rassemblement) ont appelé les manifestants à déployer des tentes et à occuper la place. C'était sans compter sur l'assaut des OMON, la police anti-émeute, qui a fait preuve de brutalité contre les manifestants. Des personnes ont été blessées de part et d’autre, 400 interpellations se sont produites; on était loin des meetings précédents, lors desquels les contestataires venus en famille décoraient de fleurs blanches les uniformes des policiers, dans une ambiance rappelant un Woodstock russe. Les parties en présence semblaient venues pour en découdre.

Le député de Russie juste et membre du Front de gauche Ilia Ponomarev a pour sa part expliqué qu'"à la différence des éditions précédentes, cette action visait à conclure et obtenir des résultats. C'est un événement qui rappelle moins un carnaval mais qui est plus politique". "Les gens veulent influer sur la présidence de Poutine. Pour cela, il faut montrer sa résolution et sa détermination à aller jusqu’au bout", a-t-il résumé la logique des opposants. Un jusqu'au-boutisme mûrement planifié, qui caractérise également la réaction des autorités: le passage à tabac d'un manifestant (une femme enceinte selon certaines sources), qui circule depuis sur Internet, pourrait déboucher sur des poursuites à l'encontre des forces de l'ordre.

Suite à ces échauffourées, l'opposition a annoncé le lancement d’une nouvelle stratégie: les "promenades populaires". Désormais, les manifestants sont appelés à se rassembler par surprise en groupes de 100 à 200, afin de harceler les forces de l’ordre. Le mot d'ordre a été respecté: tout le long week-end de mai, des groupes de manifestants étaient pourchassés par la police. Kitaï-Gorod, la place Pouchkine, le boulevard Chistie Proudy et la place du Manège ont notamment été le théâtre d'attroupements immédiatement dispersés par les forces de l’ordre.

Malgré leur caractère spectaculaire, les événements du week-end laissent planer le doute sur l'avenir du mouvement de contestation. Divisée, l'opposition n’a pas réussi à perpétuer l’esprit qui animait au départ les manifestations. Lâchés par les Moscovites venus en masse dans un premier temps, seul semble se maintenir un noyau de manifestants radicaux, prêt à jouer le coup de poing contre la police. L'argumentation des protestataires a en outre été ébranlée par la réélection de Vladimir Poutine avec plus de 63% des suffrages en mars dernier.

Il semblerait que la partie de cache-cache et les rixes du week-end du 6 mai, loin de signifier un renouvellement dans la tactique des manifestants, marquent l'épilogue de la vague de contestation entamée en 2012. Le mouvement pourrait entrer en hibernation jusqu'à ce que les événements ne lui donnent une seconde vie; l'actualité des prochains mois et des prochaines années ne devrait pas manquer de prétextes pour raviver sa flamme. 

 

 

L’opinion de l’auteur ne coïncide pas forcément avec la position de la rédaction.

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