Quand le rouble tremble

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Hugo Natowicz - Sputnik Afrique
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Le rouble décroche face au dollar, tandis que le cours du pétrole passe sous la barre des 100 dollars: comment réagit la Russie?

"Nous sommes prêts à faire face à n'importe quelle évolution des événements, car nous disposons des réserves nécessaires. Pour le moment, les prix du pétrole restent supérieurs à ceux prévus par le budget", a indiqué le vice-premier ministre Arkadi Dvorkovitch lors d'un point de presse à Moscou la semaine dernière.

Alors que le rouble est sous pression, c'est la première fois que le pouvoir commente les effets sur la Russie de la crise de la dette en Europe, qui après la Grèce met désormais sous pression l'Espagne. L'existence même de cette déclaration, plus que son contenu, doit attirer l'attention: les effets de la tourmente, qui questionne l'existence de la monnaie unique européenne, commencent à se faire sérieusement sentir en Russie.

Le dollar a atteint face au rouble des niveaux inégalés depuis mai 2009, à l'apogée de la crise, ravivant des souvenirs difficiles. Jeudi 31 mai, le billet vert atteignait 33,48 roubles, la monnaie européenne étant quant à elle remontée à 41,42 roubles, un niveau lui aussi élevé. Simultanément, le pétrole s'effondrait, passant sous la barre psychologique des 100 dollars, alors qu'il virevoltait aux alentours des 124 dollars en mars dernier. Alors que l'économie russe est très liée aux variations des cours des matières premières, il n'en fallait pas moins pour que les autorités russes déclarent le branle-bas de combat.

Le grand public russe est sensible aux variations du rouble, qui a pour premier effet d'enchérir (dans le cas présent) le séjour des touristes qui se rendent par millions en vacances dans le reste du monde durant la période d'été, qui approche à grands pas. Alors que les nuages s'accumulent au dessus de l'économie européenne, l'inquiétude envahit désormais les pages des journaux et les conversations des Russes.

Il semble bien loin le temps où en 2008, la Russie se posait en "havre de paix" au sein d'une crise qui allait en réalité emporter l'ensemble du monde, touchant de plein fouet l'économie du pays. 2008-2009: la première "vague de crise", initiée avec la chute de la banque américaine Lehman Brothers, a porté un coup sérieux à la confiance envers l'économie russe, cette dernière ayant connu une des plus fortes récessions au sein des pays développés. Les premiers discours rassurants, comme celui du président (d'alors) Vladimir Poutine indiquant qu'"il n'y a pas de crise chez nous", avaient rapidement cédé la place à la panique.

A l'époque, la devise russe a subi une violente dévaluation sur fond de dégringolade du baril de pétrole: l'or noir était en effet passé en quelques mois de 147 dollars à 47 dollars, une catastrophe pour une économie fortement dépendante du pétrole. Le rouble, quant à lui, a perdu au plus fort de la crise jusqu'à 30% de sa valeur. Le gouvernement a été contraint de puiser dans les réserves afin de tenir ses engagements sociaux (retraites principalement), tandis que la Banque centrale se lançait dans des opérations de grande envergure pour maintenir le rouble à flots.

Changement d'optique

Cette bérézina a mis à nu les faiblesses de l'économie russe en temps de crise, notamment sa dépendance aux prix pétro-gaziers, et révélé le manque de conscience flagrant des dirigeants russes concernant l'intégration de la Russie au sein d'un monde globalisé. La crise de 2008-2009 a eu pour principal conséquence d'inciter le gouvernement à la plus grande prudence dans l'élaboration des budgets ultérieurs, en utilisant pour ses prévisions un baril de pétrole à 58 dollars, un horizon encore éloigné du niveau actuel. Les niveaux élevés de l'or noir durant l'ensemble de l'année 2011 ont en outre permis à l'économie russe de se rétablir, le pays comptant obtenir un budget à l'équilibre en 2015.

La problématique de la crise a cependant changé. Les problèmes de dette ne concernent que de façon secondaire la Russie, qui ne se situe qu'au 99e rang du classement des pays en fonction de la dette publique rapportée au nombre d'habitants et au PIB, loin derrière les pays "développés" (Japon en tête, Etats-Unis 3e, France 12e). La Russie a ainsi réussi, notamment grâce à la politique austère de l'ancien ministre des Finances Alexeï Koudrine, à résister au virus de l'endettement qui menace l'Europe et les Etats-Unis.

Pour autant, la Russie a peu de chances d'être épargnée par la tourmente économique mondiale. Très intégrée au sein d'un monde globalisé, elle n'a pas résolu le problème de l'"humiliante dépendance envers les matières premières" constatée par Dmitri Medvedev alors qu'il était président, la volatilité du rouble dévoilant les fragilités persistantes de l'économie russe.

Partant de ce constat, le commentateur de Kommersant FM Stanislav Koutcher affirme que la "situation autour du rouble a des effets moins économiques que socio-psychologiques, et pourrait avoir des conséquences politiques", en aggravant différents problèmes non résolus liés au niveau de vie et au "sentiment d'instabilité" qui persiste en Russie. "Le problème n'est pas la hausse du dollar, mais la chute inexpliquée du rouble", conclut-t-il, renvoyant la balle dans le camp des hommes politiques. Un des risques pour la Russie serait en effet que les turbulences économiques se conjuguent avec l'instabilité politique qui dure dans le pays depuis six mois jour pour jour, avec des conséquences encore difficiles à mesurer.

L’opinion de l’auteur ne coïncide pas forcément avec la position de la rédaction.

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